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Résumé de la décision Après obtention d’un jugement par défaut, dépourvu de considérants de fait et de droit, par la High Court de Londres (UK), une société anglaise X. obtînt l’exequatur de cette décision en Suisse et fit notifier à une société suisse Y. un commandement de payer une certaine somme plus intérêts. La société Y. forma opposition contre ce commandement de payer, qui fut accueillie par le juge suisse. Après le rejet de sa première requête, la demanderesse réclama la mainlevée définitive de l'opposition, en produisant une attestation établie par le Master of the Supreme Court of England and Wales (UK), certifiant que l'acte introductif d'instance a été valablement notifié à la défenderesse, que la compétence du tribunal repose sur l'art. 17 de la Convention de Lugano et que le jugement, rendu par défaut, est exécutoire. La société demanderesse déboutée, tant par le Président du Tribunal du district de Lausanne (CH) que par le Tribunal cantonal vaudois (CH), se pourvut en cassation.
Le Tribunal fédéral (CH) rejette le pourvoi formé par la société anglaise. En effet, d’après les conditions de l'art. 54ter al. 3 de la Convention de Lugano, le chef de compétence sur lequel s'est fondé le juge de l'Etat d'origine doit être identifiable. Par conséquent, l'exequatur ne peut être accordée lorsque le jugement ne comporte ni état de fait, ni motifs, à moins que la règle de compétence ne puisse être déterminée d'emblée à la vue du dossier. En l’espèce toutefois, cette dernière condition n'est pas remplie. De surcroît, les juridictions inférieures ont à bon droit insisté sur la nécessité que la compétence, en tant qu'élément de la décision elle-même, soit constatée, fût-ce dans une motivation complémentaire, par le juge ayant statué au fond ; hypothèse qui n'est pas réalisée dans le cas présent. Le pourvoi est donc rejeté.
Il convient de rappeler que le requérant débouté pour n'avoir pas produit les documents visés par l'art. 47ch. 1 CL peut former une nouvelle requête munie des pièces qui faisaient défaut (Donzallaz, op. cit., vol. II, no. 3780 ;Droz, op. cit., no. 604 ; Kropholler, op. cit., N. 9 ad art. 33CB/CL ; IPRspr. 1980 no. 163 et 1988 no. 198 in fine), ce qu'a d'ailleurs fait la recourante ; peu importe alors que ces pièces n'aient été établies, comme en l'espèce, que pour les besoins de la seconde procédure. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu d'examiner si, à l'instar de la preuve de la signification de la décision (art. 47 ch. 1 in fine CL ; arrêt de la CJCE du 14 mars 1996, Van der Linden, aff. C-275/94,Rec. 1996 I p. 1407 ss. ; critique : Gaudemet-Tallon, Rev. crit.1996 p. 510 ss), celle de son caractère exécutoire peut être administrée pour la première fois en instance (cantonale) de recours (pour l'affirmative : Kropholler, ibidem ; d'un autre avis : Huet, Clunet 1997 p. 620).
b) L'examen des conditions de l'art. 54ter al. 3 CL (cf. supra, consid. 3b) suppose que le chef de compétence conventionnel sur lequel s'est fondé le juge de l'Etat d'origine soit identifiable. Aussi faut-il s'en tenir ici (art. 28al. 2 CL), comme pour le motif de refus prévu par l'art. 54al. 2 CL (ATF 123 III 374 consid. 4 p. 384), au principe quel'exequatur ne saurait être accordé lorsque le jugement ne comporte ni état de fait ni motifs, à moins que la règle de compétence ne puisse être déterminée d'emblée sur le vu du dossier (ibidem : « ohne weiteres aus den Akten ersichtlich »).De l'avis de la cour cantonale, cette dernière hypothèse n'est pas réalisée ; à suivre son raisonnement, la norme attributive de compétence ne pourrait pas résulter d'une déclaration postérieure à la décision elle-même.
La question de savoir si le requérant peut, au stade de l'exequatur, invoquer un novum proprement dit pour établir la compétence du juge de l'Etat d'origine est controversée (cf. Geimer/Schütze, op. cit., N. 45 et Kropholler, N. 23 ssad art. 28 CB/CL). Il faut préciser qu'aucune difficulté particulière ne se pose lorsque le droit de l'Etat où le jugement dépourvu de considérants a été rendu prévoit la possi-bilité d'une motivation subséquente de cette décision auxfins d'exécution à l'étranger (pour le droit allemand : para. 313bal. 3 ZPO ; Leipold, in : Stein/Jonas, Kommentar zur Zivilprozessordnung, 21e éd., ibidem, N. 25) ; dans un tel cas, le requérant peut naturellement s'appuyer sur le jugement complété (arrêt non publié de la IIe Cour civile du 30 juillet1999 dans la cause 5P.165/1999, consid. 6 in fine). Cette solution n'est cependant pas transposable à la présente affaire, car l'attestation dont se prévaut la recourante ne peut être assimilée à une « décision » - même comprise largement - au sens de l'art. 25 CL (sur cette notion : Kropholler,op. cit., N. 9 ss. ad art. 25 CB/CL et les citations) ; du reste, l'intéressée ne le prétend pas.
Dans un arrêt non publié du 8 mars 1995 (dans la cause 4P.334/1994, consid. 4c), la Ie Cour civile du Tribunal fédéral a exclu de manière générale la prise en considération de nova proprement dits par le juge de l'exequatur (visant, en l'occurrence, à substituer à un chef de compétence non reconnu [for contractuel] un autre qui eût permis la mainlevée définitive [for de la prorogation]) ; elle a estimé, en substance, que les droits du débiteur subiraient une atteinte sérieuse si l'exécution pouvait être autorisée en présence défaits que le créancier n'a avancés qu'à l'occasion de la mainlevée (art. 32 CL), voire de la procédure unilatérale(art. 26 CL). Cette solution doit être suivie en l'espèce. Il serait, en effet, choquant de laisser libre cours à une exécution forcée - susceptible d'aboutir à la faillite - sur le vu d'un « certificate » établissant, après que la décision a été rendue, la norme conventionnelle sur laquelle le tribunal aurait admis sa compétence, sans que l'intimée, qui n'a jamais eu connaissance des démarches entreprises à cette fin par sa partie adverse avant le dépôt de la seconde requête de mainlevée, soit en mesure d'en contester la teneur. C'est également avec raison que l'autorité inférieure insiste sur la nécessité que la compétence, en tant qu'élément de la décision elle-même, soit constatée, fût-ce dans une motivation complémentaire, par le juge ayant statué au fond, hypothèse qui n'est pas réalisée dans le cas présent.
5. En conclusion, le recours doit être rejeté avec suite de frais et dépens à la charge de son auteur (art. 156al. 1 et 159 al. 2 OJ).