EN FAIT
A. a) Y., fille de feu A., a déposé le 5 décembre 2007 auprès du Tribunal de première instance une action en reddition de comptes à l'encontre de X. SA, Luxembourg, actionnée au siège de sa succursale genevoise, et de Z. ayant son siège à Genève, alors représentée par Me B..
b) Par actes du 8 janvier 2008, communiqués le 10 janvier, le Tribunal cita les parties à comparaître à une audience d'introduction de la 16ème Chambre fixée le 7 février 2008.
c) Par lettre du 24 janvier 2008 adressée à la 16ème Chambre, avec copie au Conseil de Z., le conseil de Y. invita le magistrat saisi à ordonner la suspension de l'instance par application analogique de l'art. 113 lit. f LPC, au motif que la Commission du Barreau devait statuer sur un problème lié à la constitution de Me B. pour Z..
d) Lors de l'audience d'introduction du 7 février 2008, les trois parties citées comparurent par avocat, Me Maurice HARARI se constituant pour X. SA et Me B. confirmant sa constitution pour Z..
Le conseil de la demanderesse persista dans sa demande de suspension de l'instance à laquelle les défenderesses ne s'opposèrent pas.
Le Tribunal ordonna dès lors sur le siège la suspension de l'instance, d'entente entre les parties, en application de l'art. 113 lit. a LPC.
Il notifia cette décision par jugement du même jour, communiqué le 12 février 2008 aux parties.
e) Par courrier du 7 avril 2008, Me B. avisa le Tribunal qu'il cessait de représenter les intérêts de Z. dans ce dossier et que Me Maurice HARARI lui succéderait. Ce dernier le confirma par lettre du 9 avril 2008.
f) Par requête conjointe du 16 avril 2008, les parties, sous la plume de leurs avocats, sollicitèrent du Tribunal la reprise de l'instance.
g) Celle-ci fut ordonnée par jugement du 21 avril 2008, communiqué le lendemain aux parties.
Dans cette même décision, le Tribunal convoqua les parties à une audience de comparution personnelle des mandataires fixée d'abord au 5 mai 2008, puis remise au 20 mai 2008 sur demande du conseil des défenderesses.
h) Lors de cette audience, dont procès-verbal fut dressé, le conseil de la demanderesse signifia les traductions des pièces qu'il avait produites avec la demande.
Quant au conseil des défenderesses, il déclara soulever un incident d'incompétence ratione loci au nom de X. SA et un incident de litispendance concernant Z. en relation avec la procédure introduite en Italie par Y. à l'encontre notamment de C., également liquidateur de Z..
Le Tribunal ordonna, séance tenante, l'ouverture d'une instruction limitée à l'incident d'incompétence ratione loci et fixa à cet effet aux parties des délais pour la signification de leurs écritures, la cause étant ajournée au 25 septembre 2008 pour plaider sur cet incident.
i) Agissant dans les délais impartis, X. SA d'une part, Y. d'autre part se signifièrent leurs conclusions, la première concluant à l'incompétence du Tribunal à raison du lieu pour connaître de la demande à son égard, la seconde concluant à son rejet de l'incident, se prévalant en premier lieu de sa tardiveté.
Z. n'a pas formé de conclusions.
j) Statuant par jugement JTPI/13926/2008 rendu le 30 octobre 2008 et notifié aux parties, y compris à Z., le 31 octobre, la 20ème Chambre du Tribunal, à qui la cause avait été réattribuée dès le 20 juin 2008, rejeta l'exception d'incompétence ratione loci, condamnant X. SA aux dépens comprenant une indemnité de procédure valant participation aux honoraires d'avocat de Y. ainsi qu'à un émolument de décision.
A titre préparatoire, le Tribunal ajourna ensuite la cause au 27 novembre 2008 pour plaider sur exception de litispendance.
k) En substance, le Tribunal a rejeté l'incident d'incompétence territoriale pour des raisons formelles, considérant que X. SA n'avait pas soulevé l'exception d'incompétence à l'audience d'introduction comme l'exigeait l'art. 97 al. 1 LPC, mais seulement lors de l'audience ultérieure de comparution personnelle des mandataires, retard qui emportait la déchéance du moyen. Le fait que l'instance ait été suspendue dans un premier temps n'a pas été jugé pertinent.
B. a) Par acte déposé le 28 novembre 2008 auprès du greffe de la Cour de justice, X. SA fait appel dudit jugement.
Elle conclut à son annulation et au renvoi de la cause au premier juge pour qu'il statue sur le fond de l'exception d'incompétence ratione loci qu'elle a soulevée.
b) Bien que mise en cause devant la Cour, Z. n'a pas répondu à l'appel.
Y. a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.
Le Procureur général, entendu conformément à l'art. 44 al. 2 LOJ, s'en est rapporté à justice.
c) Le 10 décembre 2008, Z. a déclaré renoncer à l'exception de litispendance qu'elle avait soulevée le 20 mai 2008.
d) Lors de l'audience de plaidoiries tenue le 3 mars 2009 par la Cour, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.
Leurs moyens seront examinés, ci-après, dans la mesure utile.
EN DROIT
1. Déposé dans le délai et selon la forme prescrits par la loi, l'appel est recevable (art. 296 et 300 LPC).
Le jugement entrepris a été rendu en premier ressort (art. 26 LOJ).
Saisie d'un appel ordinaire (art. 291 LPC), la Cour dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen.
2. 2.1. Selon l'art. 97 al. 1 LPC, disposition sur laquelle le premier juge et les parties se sont appuyés, l'exception d'incompétence territoriale doit être présentée, sous peine de déchéance, à l'audience d'introduction à la différence des autres moyens de défense dirigés contre l'instance qui doivent, sous peine de déchéance, n'être présentés simultanément qu'avant toute défense au fond, en tête de l'écriture de défense par le défendeur, en temps diligent par les autres parties (art. 97 al. 2 LPC).
Le législateur cantonal a ainsi expressément institué un régime plus rigoureux pour l'exception d'incompétence à raison du lieu que pour les autres fins de non recevoir (BERTOSSA/GAILLARD/GUYET/SCHMIDT, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, n. 11 ad art. 97 LPC).
2.2. L'appelante, qui conteste avoir agi tardivement, soutient que l'audience d'introduction se serait déroulée en deux phases en raison de la suspension de l'instance prononcée in limine litis.
L'audience du 7 février 2008, réduite à l'appel des parties et à la suspension de l'instance, n'aurait pas été menée à son terme et ne se serait effectivement achevée qu'avec l'audience appointée le 20 mai 2008 après la reprise de l'instance.
L'appelante en veut pour preuve que le juge n'a pas appliqué les art. 121 et 122 LPC, n'a pas entendu les parties au sujet de l'instruction préalable, n'a pas accordé de délai à la demanderesse pour communiquer ses pièces et aux défenderesses pour produire leur réponse et n'a pas fixé la date des plaidoiries.
Il a d'emblée suspendu l'instance après avoir constaté l'accord des parties sur ce point.
L'audience du 20 mai 2008 avait pour but, toujours selon l'appelante, de recueillir d'éventuelles fins de non-recevoir et de régler les modalités de l'instruction préalable, étapes qui avaient été omises le 7 février 2008.
L'appelante en déduit qu'en présentant son exception d'incompétence à l'audience du 20 mai 2008, elle a encore agi au stade de l'introduction de la cause et ne peut être déchue de son droit.
2.3. Le litige revêt un caractère international.
L'intimée a ouvert action en reddition de comptes à l'encontre des deux sociétés défenderesses au fond en se prévalant d'un rapport de mandat qui aurait lié son défunt père à celles-ci.
Son action revêt ainsi une nature civile et non pas successorale, de sorte que la Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale du 16 septembre 1988 (CL) est bien applicable au présent litige qui oppose l'intimée domiciliée à Genève à l'appelante ayant son siège au Luxembourg, étant relevé que la Suisse et le Luxembourg ont ratifié la CL (art. 1 CL).
L'intimée, demanderesse au fond, entend attraire l'appelante devant les tribunaux genevois en se prévalant de l'art. 5 ch. 5 CL.
Il n'y a pas lieu en l'état d'examiner si les conditions d'application de cette disposition sont réunies ici, ce que l'appelante conteste, dès lors que cette question relève du fond de l'incident alors que c'est un motif formel de procédure qui a conduit le premier juge à rejeter l'exception d'incompétence ratione loci.
Comme évoqué supra, le Tribunal a estimé que l'exception avait été soulevée tardivement au vu de l'art. 97 LPC et que l'appelante était ainsi déchue de son droit.
2.4. En matière internationale, le for et, partant, l'exception d'incompétence sont régies par la LDIP, sous réserve des traités internationaux, en l'occurrence par la CL (HOHL, Procédure civile, tome II, 2002, n. 1547 p. 36, BERTOSSA et alii, op. cit., n. 18.3 ad art 97 LPC).
Le différend soumis au Tribunal n'entrant pas dans l'une des catégories réservées à la compétence exclusive d'une juridiction (art. 16 CL), le premier juge n'était pas tenu d'examiner d'office sa compétence (art. 19 CL).
L'art. 18 CL énonce le principe, également consacré par le droit suisse (art. 6 LDIP et 10 al. 1 LFors), selon lequel le juge d'un Etat contractant devant qui le défendeur comparaît est compétent.
Cette règle n'est cependant pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence.
L'art. 18 CL n'indique pas jusqu'à quel stade de la procédure le défendeur peut comparaître et décliner la compétence du juge.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), la contestation de la compétence, si elle n'est pas préalable à toute défense au fond, ne peut en tout état de cause se situer après le moment de la prise de position considérée, par le droit national, comme la première défense adressée au juge saisi (ACJCE/150/1980 Elefanten Schuh Gmbh c/ Pierre Jacqmain du 24.06.1981, consid. 16 ; ATF 133 III 295, consid. 5.1 ; DONZALLAZ, la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, vol III, 1998, n. 7138).
La CL, qui a rang de droit fédéral, pose ainsi une limite temporelle à ne pas dépasser dans l'application du droit cantonal de procédure qui régit en principe cette question (DONZALLAZ, op. cit., no. 7139).
Le défendeur est forclos à soulever l'exception, selon la jurisprudence de la CJCE relative à l'art. 18 CL dès qu'il comparaît, c'est-à-dire dès qu'il présente un moyen qui vise directement au rejet de la demande. En revanche, n'entrent pas dans cette définition les actions qui s'inscrivent préalablement à la défense, comme les requêtes de suspension ou d'ajournement de la procédure (ATF 133 III 295 consid. 5.1 et réf. citées).
Ainsi, selon le Tribunal fédéral, le défendeur qui présente d'abord une requête de suspension et ne soulève l'exception d'incompétence ratione loci qu'après avoir reçu notification de la décision rejetant sa requête ne peut se voir reprocher d'avoir comparu au sens de l'art. 18 CL et n'est pas déchu du droit d'exciper de l'incompétence du Tribunal (ATF 133 III 295 consid. 5.2).
2.5. Examinée à la lumière de l'art. 18 CL et de la jurisprudence y relative, il apparaît que la question litigieuse ne peut pas être tranchée dans le sens retenu par le premier juge qui a appliqué le droit cantonal (art. 97 LPC), sans doute de manière correcte, mais incompatible, s'agissant d'un litige à caractère international, avec les dispositions de la CL et leur interprétation jurisprudentielle.
Or, dans le cas présent, l'on ne saurait reprocher à l'appelante d'avoir procédé au fond (au sens défini par la CJCE) alors qu'elle n'a fait qu'accepter une demande temporaire de suspension de l'instance, présentée in limine litis par l'intimée, suspension qui avait pour seul but de permettre à l'autorité cantonale de surveillance des avocats de régler un problème déontologique relatif à la constitution du conseil de la codéfenderesse de l'appelante. Cette suspension, dont l'objet était de nature administrative, ne concernait aucunement le litige proprement dit, de sorte qu'en soulevant son déclinatoire de compétence à la première audience utile suivant immédiatement la reprise de l'audience, et avant présentation de tout autre moyen de défense de procédure ou de fond, l'appelante a sauvegardé son droit de contester la compétence du Tribunal saisi.
La solution adoptée par le premier juge, contraire à celle-ci, contrevient à l'art. 18 CL et doit être par conséquent annulée.
3. Compte tenu de ce qui précède, il est inutile d'examiner si la décision du Tribunal était ou non compatible avec le principe constitutionnel de l'interdiction du formalisme excessif (art. 29 al. 1 Cst, TF, SJ 2005 I 12 consid. 2.1) et si l'attitude de l'intimée, qui s'est prévalue de la tardiveté de l'exception soulevée par l'appelante, ne relevait pas de l'abus de droit (art. 2 al. 1 CC).
4. Le jugement entrepris sera mis à néant et la cause retournée au premier juge afin qu'il entre en matière et statue sur le mérite de l'incident d'incompétence territoriale soulevé par l'appelante, cela conformément au principe du double degré de juridiction cantonal (art. 312 LPC ; BERTOSSA et consorts, op. cit., n. 4 ad art. 291 LPC).
5. L'intimée, qui succombe en définitive dans les deux instances, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel (art. 176 al. 1, 308.313 LPC).
Aucune indemnité de procédure n'est allouée au conseil de Z. qui n'a pas déposé de conclusions au nom de celle-ci.
6. Le présent arrêt, rendu en matière civile, ne constitue pas une décision finale (art. 90 LTF).
En outre, s'agissant d'une action en reddition du comptes, la valeur litigieuse en est indéterminée (art. 51 al. 2 LTF).
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté par X. SA contre le jugement JTPI/13926/2008 rendu le 30 octobre 2008 par le Tribunal de première instance dans la cause C/27267/2007-20.
Au fond :
Annule ledit jugement.
Et statuant à nouveau :
Renvoie la cause au Tribunal de première instance afin qu'il statue sur le bien-fondé de l'exception d'incompétence ratione loci soulevée par X. SA.