N et L sont les auteurs d'un livre X, le scandale de l'affaire D, publié aux éditions F ;
Que dans cet ouvrage, il est question d'un enregistrement secret de conversations entre N et C, dont la teneur accréditerait la thèse d'un réseau pédophile où seraient notamment impliqués des personnalités belges illustres, dont le roi des Belges ;
Qu'en note de bas de p. , l'ouvrage renvoie (notamment) aux « enregistrements sonores de l'Y (…) novembre 2000 » ;
Que l'Y, organisme de radiodiffusion de droit public établi en Allemagne, reproche à cet ouvrage de la citer comme une des sources des propos ainsi avancés dans l'ouvrage ; qu'il conteste que l'enregistrement en question accrédite de tels propos ;
Discussion
1. Quant à la régularité de la citation
Attendu que par ordonnance rendue sur requête unilatérale par le président du tribunal de céans le 16 octobre 2001, l'Y. a été autorisée à citer les parties défenderesses pour l'audience du lundi 22 octobre 2001 à 9 h 30 pour autant que la citation leur soit signifiée pour le mercredi 17 octobre 2001 à 18 h au plus tard ;
Que la signification de l'exploit introductif de la présente instance est régie par le règlement C.E. 1348/2000 du 29 mai 2000 ;
Que suivant l'art. 14 du règlement, la signification par voie postale aux personnes à citer reste possible, tant pour la France que pour le Luxembourg ;
Que le moment de la signification doit être déterminé selon les dispositions de l'art. 9 de ce règlement (cf. M. EKELMANS, « Le règlement 1348/200 relatif à la signification et à la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires », JT, 2001, p. 481, spéc. no. 20) ; qu'en l'espèce, c'est donc la date (et l'heure) de l'envoi par voie postale qui détermine le moment de la signification (art. 40, C. jud. ; FETTWEIS, Manuel de procédure civile, no. 238) ;
Que l'exploit de citation est daté du 17 octobre 2001 mais ne mentionne aucune heure ;
Qu' y sont annexés des récépissés de dépôt au bureau de poste d'Uccle 5 de quatre envois recommandés, respectivement à l'huissier H à Luxembourg et à l'huissier A à Paris (par application de l'art. 4 du règlement C.E. 1348/2000) ainsi qu'aux parties s.a. Flammarion et Nicolas, tous datés du 17 octobre 2001 ;
Que l'Y. démontre, par un courrier de la poste, que le bureau en question fermait à 17 h le mercredi 17 octobre 2001, en sorte qu'on doit admettre que le pli fut adressé en temps utile ;
Que toutes les parties ont par ailleurs admis de reprendre les débats ab initio après la procédure de récusation, et de façon contradictoire à l'encontre de la partie N qui fut représentée à dater du 5 décembre 2001 ;
(…)
2. Quant à la compétence territoriale
Attendu que la s.a. F soulève l'incompétence ratione loci du tribunal de céans ;
Attendu qu'il est exact que l'Y. ne pourrait se prévaloir, comme facteur de rattachement avec les tribunaux de Bruxelles, du domicile de la partie Lavachery, puisqu'ainsi qu'il a été exposé, cette partie n'a en réalité ni domicile, ni résidence en Belgique, pas plus que les deux autres parties défenderesses ;
Que, conformément à l'art. 5, al. 3, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et à l'interprétation que donna à cette disposition la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 7 mars 1995 (arr. C-68-93, Shevill-Alliance Presse, D., 1996, p. 61 et note PARLÉANI), on peut admettre que la partie qui se prétend victime d'un dommage causé par voie de presse puisse agir en réparation, soit devant les tribunaux du lieu d'établissement de l'éditeur (compétents pour réparer l'intégralité des dommages résultant de l'acte fautif) soit devant les juridictions de chaque État dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation (compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l'État de la juridiction saisie) ;
Que ces principes permettent de considérer que les tribunaux belges ont vocation à connaître de l'action en réparation qu'introduirait l'Y., pour ce qui concerne le préjudice qu'elle aurait subi du fait de la diffusion du livre litigieux sur le territoire belge ;
Qu'en ce qui concerne la compétence territoriale du juge des référés, on admet qu'elle se définit en principe en fonction du tribunal territorialement compétent pour connaître du fond, voire, si l'urgence le justifie, en fonction du lieu où la mesure demandée en référé doit être exécutée, même en partie (P. MARCHAL, « Les référés », Rép. not., t. XIII, livre VII, p. 78, no. 48) ;
Que, même si l'Y. est établie en Allemagne, il n'est pas contesté que le livre litigieux est diffusé, notamment, en Belgique en sorte que le fait dommageable allégué se produit, notamment, en Belgique ;
Que Nous sommes par conséquent territorialement compétents pour connaître de la demande ;
3. Quant au fond du référé
Attendu que l'Y. prétend avoir subi un préjudice qui justifierait, vu l'urgence, que soient décrétées les mesures qu'elle sollicite ;
Attendu que le livre litigieux est incriminé en ses p. s 124.125, 128.129 et 130 ;
Qu'il y est d'abord expliqué (aux p. s 120 à 123) comment fut organisé un rendez-vous entre C et N, en vue d'obtenir de ce dernier des confidences qui furent enregistrées à son insu ;
Que l'Y. ne conteste pas être intervenue dans ce contexte ; qu'espérant obtenir des informations intéressantes au sujet de l'existence éventuelle d'un réseau pédophile en Belgique, elle a effectivement eu des contacts avec M. N et a, semble-t-il, fourni du matériel et de la logistique en vue de permettre l'enregistrement de cette conversation ;
Qu'elle expose cependant avoir constaté qu'aucune confidence exploitable n'avait été réellement recueillie lors de l'entretien de la part de N et que l'implication de personnalités connues dans les prétendues « parties fines » relatées dans l'ouvrage ne résultait, en réalité, que des propos avancés par Costa et non contredits par N ; qu'en conséquence, elle explique s'être contentée de conserver cet enregistrement dans ses rushes à titre de « document subsidiaire », ne contenant que des informations non vérifiées ;
Qu'ainsi, l'Y. ne conteste pas avoir pris part à l'enregistrement litigieux, mais reproche à l'ouvrage de faire croire que cet enregistrement accréditerait ce qui est exposé, notamment, à la p. 128 du livre, où il est indiqué :
« N. livre même de multiples exemples, expliquant qu'on y pratiquait le trafic de drogue, que la came y circulait librement, que les partouzes se révélaient assez violentes et que, si la présence d'enfants à ces ébats n'était pas régulière, elle était en revanche garantie si nécessaire!
En verve de confidences, N. n'hésite pas à citer, parmi les participants à ces drôles de réunions, ……. » ;
Attendu cependant que l'Y. ne produit pas, comme tel, l'enregistrement sonore de la conversation entre N et C auquel se réfère l'ouvrage ;
Qu'elle produit seulement une cassette vidéo qui est un montage présentant un documentaire en allemand au sujet de l'affaire D, avec un commentaire et des interviews de diverses personnes ; que ce document ne reprend pas in extenso l'entretien entre N et C, dont question dans le livre ; qu'on y aperçoit seulement, un court instant, N ;
Que le tribunal est donc dans l'impossibilité de contrôler si l'enregistrement sonore auquel le livre litigieux fait référence, accrédite ou non les propos relatés dans l'ouvrage ;
Qu'au demeurant, l'ouvrage renvoie non seulement à cet enregistrement sonore, mais aussi à un enregistrement récapitulatif de C, en sorte que les propos incriminés peuvent, selon le renvoi, être accrédités par l'une ou l'autre de ces sources ;
Attendu, par conséquent, que l'Y. ne démontre pas que le livre comprendrait un renvoi injustifié à un « enregistrement sonore de l'Y. » ;
Attendu au demeurant que le préjudice qui pourrait résulter de cette situation dans le chef de l'Y. ne serait, en tout état de cause, pas suffisamment conséquent pour justifier les mesures sollicitées en référé ;
Que l'action de l'Y. doit être déclarée non fondée ;
[...]
Par ces motifs,
Nous, ...
Déclarons les demandes principale et reconventionnelle recevables mais non fondées.