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Résumé de la décision Une société X, spécialisée dans la production, la vente et l'import-export de produits pharmaceutiques a mis au point un antidépresseur pour lequel elle a introduit une demande internationale de brevet, ayant l'intention de commercialiser cet antidépresseur sous la forme d'un sel connu. Par la suite, elle et ses sociétés sœurs, ont assigné devant le Tribunal civil de Bruxelles (BE) deux sociétés parties d’un groupe pharmaceutique qui avait développé le sel utilisé par la société X, la première en tant que titulaire d'un brevet européen, d'un brevet belge et d'un brevet anglais portant sur ce sel et son procédé de fabrication, la deuxième jouant un rôle prédominant en Belgique pour la commercialisation des produits pharmaceutiques du groupe. L’objet de la demande était celui d’entendre déclarer lesdits brevets nuls et de faire déclarer que la fabrication, la commercialisation et l'utilisation de l'antidépresseur ne tombait dans le champ d'application d'aucune des revendications desdits brevets. Les défenderesses contestèrent la compétence de la juridiction saisie.
Le Tribunal civil de Bruxelles (BE) se déclare compétent pour connaître du litige sur la base de l’art. 6, no. 1 de la Convention de Bruxelles. Cette disposition requiert l'existence d'un lien de connexité entre les demandes introduites contre différents défendeurs, à savoir qu'il doit exister un risque de décisions contradictoires même si les deux demandes pourraient être poursuivies indépendamment devant des tribunaux distincts. En l’espèce, la cour estime d’une part, que les deux demandes visent à obtenir un résultat identique (fabrication et commercialisation du sel) contre deux sociétés appartenant au même groupe économique. D’autre part, les demandes sont également connexes en ce qu'elles reposent toutes deux sur une interprétation identique du champ de protection d'un même brevet européen. Les juridictions belges sont donc compétentes.
Objet de l'action :
En termes de citation, l'action tendait à entendre déclarer les brevets BE 1011664 A6 du 9/11/1999 et EP 0970955 nuls et à entendre déclarer que la fabrication, la commercialisation et l'utilisation de l'antidépresseur P.M. ne tombe pas dans le champ d'application d'aucune des revendications desdits brevets.
En termes de conclusions additionnelles, l'action est limitée, à titre principal, à entendre ordonner que les exceptions soient jointes au principal en vertu de l'art. 869 du Code civil et que les défenderesses concluent à toute fui et, à titre subsidiaire, à entendre le Tribunal se déclarer compétent, recevoir l'action et renvoyer la cause devant la chambre spécialisée en matière de brevet avec un calendrier de dépôt de conclusions.
Les faits :
Il est acquis que les trois premières demanderesses sont des sociétés sœurs spécialisées dans la production, la vente et l'import-export de produits pharmaceutiques tandis que les deux autres demanderesses se chargent de la commercialisation des produits en Allemagne.
La première demanderesse a mis au point un antidépresseur pour lequel elle a introduit une demande internationale de brevet le 10/6/1997, les demanderesses ayant l'intention de commercialiser cet antidépresseur sous la forme d'un sel connu sous le nom de P.M..
Les démarches administratives en vue de la commercialisation du produit ont été entamées, en particulier au Danemark, où l'autorisation de commercialisation a été obtenue en octobre 2000.
Les défenderesses font partie du groupe pharmaceutique S.B. qui a, entre autre, développé des sels de la molécule P., dont le P.M..
La première défenderesse est titulaire d'un brevet européen, d'un brevet belge et d'un brevet anglais portant sur ce sel et son procédé de fabrication.
La seconde défenderesse apparait, selon la pièce 2 des demanderesses, comme titulaire d'enregistrement/importateur d'un autre sel de P. commercialisé sous le nom S. par le groupe S.B.
Par contre, la seconde défenderesse, n'est pas titulaire des brevets précités et n'est pas non plus titulaire d'un accord de licence notifié auprès de l'Office de la propriété industrielle.
Il existe, par ailleurs, des procédures pendantes au Pays-Bas, en Angleterre et au Danemark introduites par les actuelles défenderesses à l'encontre des demanderesses.
Discussion :
Attendu que les défenderesses contestent tant la compétence du Tribunal que la recevabilité de l'action des demanderesses.
Quant à la compétence
Attendu que les défenderesses ne contestent pas la compétence du Tribunal en ce qui concerne l'action en nullité du brevet belge et du brevet européen en tant qu'il couvre le territoire belge et, ce, en vertu de l'art. 16.4 de la Convention de Bruxelles ;
Attendu qu'en ce qui concerne l'action déclaratoire, les demanderesses fondent la compétence du Tribunal sur les arts. 2 et 6.1 de la Convention de Bruxelles ;
Que l'art. 2 dispose que les personnes domiciliées sur le territoire belge son assignées en Belgique quelle que soit leur nationalité et justifierait donc la compétence du Tribunal pour la seconde défenderesses ;
Que l'art. 6.1 de la Convention de Bruxelles qualifié de « règle des co-défendeurs » permet d'assigner un co-défendeur devant le Tribunal du domicilie d'un autre défendeur et justifierait donc que le Tribunal soit également compétent à l'égard de la première défenderesse ;
Attendu que les défenderesses considèrent à tort que le Tribunal doit se déclarer incompétent à l'encontre de la seconde défenderesse au motif que les deux actions seraient sans objet ou irrecevable à son égard à défaut de brevet ou de licence dans son chef ;
Qu'elles confondent la compétence et la recevabilité qui sont deux exceptions distinctes, la question de la recevabilité ne pouvant être abordée par le Tribunal tant qu'il ne s'est pas prononcé sur sa compétence ;
Que la situation de la seconde défenderesse ne soulève aucun problème d'incompétence ;
Que l'art. 6.1 de la Convention de Bruxelles requiert l'existence d'un lien de connexité entre les demandes introduites contre les différents défendeurs interprété au sens large, à savoir qu'il doit exister un risque de décisions contradictoires même si les deux demandes pourraient être poursuivies indépendamment devant des tribunaux distincts ;
Qu'en l'espèce, les demanderesses affirment que les deux demandes visent à obtenir un résultat identique (à savoir la libre fabrication et commercialisation de la P.M.) contre deux sociétés appartenant au même groupe économique et où la seconde défenderesse joue, à tout le moins, un rôle prédominant en Belgique pour la commercialisation des produits pharmaceutiques du groupe ;
Que les demandes seraient également connexes en ce qu'elles reposent toutes deux sur une interprétation identique du champ de protection d'un même brevet européen ;
Que les défenderesses confondent à nouveau la compétence et la recevabilité en soulignant qu'il ne pourrait exister de connexité entre la demande dirigée contre la première défenderesse et celle dirigée contre la seconde parce que cette dernière est irrecevable ;
Que le Tribunal ne peut, en effet, conclure à l'irrecevabilité s'il ne s'est pas préalablement déclaré compétent ;
Attendu qu'il est exact que la seconde défenderesse n'est titulaire d'aucun des brevets litigieux et que les défenderesses contestent l'existence d'une licence dans son chef ;
Qu'elles précisent ne pas encore avoir obtenu l'autorisation de mise sur le marché de la P.M. et qu'à défaut de commercialisation, la défenderesse n'a pas besoin d'obtenir de licence des brevets de la première défenderesse ;
Que les défenderesses ne contestent, cependant, pas que la seconde défenderesse est responsable de la commercialisation en Belgique d'un autre sel sous le nom S. ;
Qu'il apparaît donc que la seconde défenderesse sera très logiquement chargée de la commercialisation de la P.M. dès que le groupe jouira des autorisations requises ;
Qu'en toute hypothèse, les défenderesses ne peuvent nier l'unité économique et la volonté d'obtenir un résultat identique à l'encontre de l'ensemble des sociétés du groupe invoqués par les demanderesses ;
Qu'il y a lieu de retenir l'existence d'un lien de connexité entre les demandes formées à l'encontre des deux défenderesses ;
Quant à la recevabilité :
Attendu que les défenderesses font grief aux demanderesses de ne pas justifier d'un intérêt à agir en Belgique ;
Que, d'une part, les demanderesses ne démontreraient pas qu'il existe une situation de droit ou de fait qui est gravement menacée par l'attitude des défenderesses puisqu'elles reconnaissent que leur produit n'est pas encore sur le marché et, d'autre part, en toute hypothèse, l'action déclaratoire serait irrecevable à l'encontre de la seconde défenderesse qui ne bénéficierait pas d'une licence pour commercialiser le S. comme le prétendent les demanderesses ;
Que la seconde défenderesse ne représentant pas une menace grave sur le territoire belge, les demanderesses n'auraient pas d'intérêt à attirer le litige sur ce territoire par son intermédiaire ;
Attendu que l'affirmation des défenderesses selon laquelle la seconde défenderesse n'a pas obtenu de licence pour commercialiser le S. est contraire à la pièce 2 produite par les demanderesses ;
Que la seconde défenderesse y apparaît comme « titulaire d'enregistrement/importateur » ;
Que le Tribunal souhaite savoir à quel titre la seconde défenderesse intervient dans le cadre de la commercialisation (comprise au sens large) du S. ;
Qu'il leur appartient de s'expliquer plus avant à cet égard ;
Par ces motifs, le tribunal,
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant contradictoirement,
Se déclare compétent pour connaître des actions en nullité et en déclaration de non-contrefaçon ;