Objet de la demande :
Les parties demanderesses sollicitent, au bénéfice de l’urgence, d’être autorisées à poursuivre la fabrication et la commercialisation du vaccin INFANRIX en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne, en Italie, en Suède, en Grèce, en Suisse, au Lichtenstein et en Autriche, pays désignés par le brevet européen n°0 527 753 de la société Connaught, et ce jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le fond du litige qui oppose les parties.
Les parties entendent toutefois limiter dans un premier temps le débat à l’analyse de la compétence internationale du tribunal de céans et sollicitent qu’il soit sursis à statuer sur le surplus de la demande.
Situation du litige :
Connaught Laboratories Ltd, ci-après dénommée Connaught, est une société de droit canadien faisant partie du groupe pharmaceutique Pasteur Mérieux Connaught, membre du groupe pharmaceutique Rhône-Poulenc.
Elle est titulaire d’un brevet européen n°0527753 relatif à la « purification et l’utilisation de pertactine, protéine de la membrane externe de BORDETELLA PERTUSSIS » (bactérie à l’origine de la maladie de la coqueluche).
Ce brevet a été délivré le 15 juin 1997, avec priorité au 4 avril 1990.11 est vigueur en Autriche, Belgique, Suisse, Danemark, Allemagne, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Lichtenstein, Luxembourg, Pays-bas et Suède.
La SA. Smithkline Beecham Biologicals, ci-après dénommée SKB., est, quant à elle une société pharmaceutique de droit belge.
Elle fabrique dans ses laboratoires, établis au siège social Rixensart, notamment des vaccins destinés à combattre la coqueluche. Ceux-ci sont commercialisés sous la marque INFANRIX.
Il ne semble pas contesté que ces vaccins contiennent de la pertactine purifiée.
SKB. soutient néanmoins qu’elle possédait de bonne foi « l’invention » avant la date de priorité du brevet de Connaught et que, dès lors, celui-ci serait nul.
Les actions pendantes entre parties :
Parallèlement à la présente action en référés, diverses procédures sont actuellement pendantes entre les parties.
1. Par citation du 14 janvier 1997, SKB. et sept autres sociétés du groupe Smithkline Beecham en Europe ont introduit une action au fond devant le tribunal de première instance de Bruxelles, visant titre principal, à interdire de prononcer la nullité du brevet européen n° 0 527 753 en tant qu’il désigne la Belgique et à titre subsidiaire, à entendre dire pour droit qu’elles ne se rendent pas coupables de contrefaçon du brevet précité, et ce dans tous les pays qu’il désigne et où elles vendent leurs vaccins INFANRIX.
Cette procédure au fond a été introduite à l’audience du 17 avril 1997 et renvoyée au rôle.
2. Sous bénéfice d’une ordonnance en abréviation des délais de citer du 7 mars 1997, SKB. et Smithkline Beecham Pharma SA. ont également cité Connaught devant le juge des saisies de Nivelles afin de s’entendre dire pour droit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner des mesures de saisie, de mise sous scellés ou sous séquestre qui seraient demandées par Connaught dans le cadre d’une saisie- description fondée sur le brevet européen n°0 527 753.
3. Par requête du 17 mars 1997, Connaught a introduit une procédure en saisie-description devant le juge des saisies du tribunal de première instance de Nivelles pour obtenir l’autorisation de procéder, au siège de SKB., à Rixensart, à la description des vaccins, et/ou procédés contrefaits de nature à établir l’existence et l’étendue de la contrefaçon.
Par décision du juge des saisies du 18 mars 1997, M. de Kemmeter a été désigné en qualité d’expert pour procéder à cette description.
Le 4 avril 1997, un procès-verbal reprenant les premières opérations de recherche et de description entamées par l’expert a été dressé.
Il a également été convenu que certains documents et informations complémentaires seraient communiqués par SKB. à l’expert.
Le 5 mai 1997, SKB. a formé opposition à l’encontre de l’ordonnance précitée.
Connaught ne conteste pas le pouvoir de juridiction du tribunal de céans en ce qui concerne la Belgique, mais soutient, en revanche, qu’un juge belge n’a pas de pouvoir de juridiction ou de compétence internationale pour autoriser, en référé, la poursuite de la fabrication et de la commercialisation des vaccins INFANRIX à l’étranger au motif qu’il n’existerait aucune base juridique à une telle compétence.
Quant à la compétence :
Attendu que les parties s’accordent pour fonder la discussion de la compétence internationale du juge des référés sur l’art. 635 du code judiciaire ; que cet article prévoit une énumération limitative des conditions dans lesquelles un étranger peut assigner et être assigné devant une juridiction nationale et dispose en son point 5° que :
« Les étrangers peuvent être assignés devant les tribunaux du royaume, soit par un belge, soit par un étranger, dans les cas suivants :
…
S’il s’agit de demandes en validité ou de mainlevée de saisies- arrêts formées dans le royaume, ou de toutes autres mesures provisoires ou conservatoires » ;
Que tel que rédigé, si l’art. 635-5° du code judiciaire ne dit pas explicitement que le juge belge peut prononcer des mesures provisoires ou conservatoires applicables en dehors de son territoire national, il ne l’exclut pas non plus ;
Que cette question relève en réalité de la force exécutoire d’une décision appelée à produire ses effets à l’étranger et par conséquent, de l’appréciation souveraine des juridictions étrangères ou de l’application de conventions internationales ;
Attendu que si les jugements ordonnant une mesure provisoire ou conservatoire sont généralement destinés à être exécutés et à épuiser leurs effets sur le territoire du for et non à l’étranger (G. DE LEVAL, « Le juge et l’arbitre – Les mesures provisoires » Rev. dr. hit. comp., 1993, p.12), il n’en demeure pas moins que le critère territorial fondant la compétence internationale du juge n’exclut pas qu’une mesure provisoire ou conservatoire ne soit pas toujours prise par le juge du lieu d’exécution, qu’il peut arriver qu’il faille procéder à l’exécution de celle-ci dans un pays étranger (en ce sens M. FALLON, « Le référé international en matière civile et commerciale », Revue de droit de l’ULB., p. 50, n°7) ;
Que l’art. 24 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 n’exclut pas que des mesures provisoires ou conservatoires ordonnées dans un Etat à la suite d’une procédure de nature contradictoire, puissent faire l’objet d’une reconnaissance et d’une autorisation d’exécution dans un autre Etat (C.J.C.E., le 21 mai 1980, aff. 125/79 Denilauler, Rec., 1980, p. 1553) ;
Que de même, certains Etats n’hésitent pas à autoriser des saisies conservatoires de biens situés sur le territoire d’autres Etats ou à interdire certains comportements au delà de leur territoire national (en ce sens Paris, 28 janvier 1994, Bijblad Industriële Eigendom, 1994, p. 395 et svtes) ; que cette solution est justifiée par le fait qu’autoriser une mesure d’exécution sur des biens situés à l’étranger n’implique pas plus d’immixtion dans l’action des organes étrangers chargés de l’exercice de la coercition, que celui de prononcer un jugement ordinaire de condamnation, devant, lui, être exécuté hors du pays d’origine ; que dans les deux cas, la souveraineté de l’Etat étranger est protégée par les règles d’exequatur et par la soumission de formes d’exécution à la loi de ce pays (P. GOTHOT, D. HOLLEAUX, La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, Ed. Jupiter, p. 91, n° 158, cités par G. DE LEVAL, Traité des saisies, p.48) ;
Attendu que M. Fallon (op. cit. p. 528) estime que « sous un angle théorique, le juge, qu’il soit des référés ou même des saisies, ne cesse d’exercer une « mission exclusivement juridictionnelle » – au sens propre, il dit le droit – et n’exerce aucun acte matériel de coercition sur des personnes ou sur des biens.
…
C’est plutôt pour l’accomplissement des actes matériels d’exécution que l’intervention exclusive des autorités du lieu de la mesure s’impose à l’évidence, au nom du respect de la souveraineté des Etats, tandis que l’ordonnancement institutionnel propre à chaque système juridique soumet l’intervention de ces autorités à celle d’une juridiction relevant de ce système. ce double postulat étant propre au droit international et l’autre au droit interne – explique qu’il faille obtenir, selon les conditions que prescrit l’Etat intéressé, l’exequatur d’un jugement étranger afin d’obtenir des mesures matérielles d’exécution sur le territoire. Mais cette condition est également suffisante. Elle permet aux autorités juridictionnelles de l’Etat requis d’apprécier, en fonction du seul droit de l’Etat requis, si la décision étrangère qui ordonne une mesure est susceptible, non pas d’être exécutée comme telle sur le territoire, mais d’être reçue par le juge requis, dont la décision constitue alors le titre exécutoire pertinent » ;
Attendu par ailleurs, qu’il n’existe pas de règle de droit international public qui semble interdire d’office l’adoption d’une mesure juridictionnelle de droit privé à propos de biens localisés à l’étranger ou d’un comportement à adopter à l’étranger ;
Attendu que Connaught reproche aux demanderesses d’avoir recours à l’« antisuit injonction », institution de droit anglo-saxon permettant au tribunal d’interdire au justiciable d’entamer ou de poursuivre une procédure à l’étranger ;
Que les mesures postulées par les demanderesses ne tendent ni à voir le juge des référés se prononcer sur la contrefaçon, ni à voir interdire à la défenderesse de procéder à l’étranger ; les demanderesses sollicitent d’être autorisées à continuer à poursuivre la fabrication et la commercialisation des vaccins litigieux ;
Que si toute demande de mesure provisoire ou conservatoire visant à avoir un effet non seulement territorial mais aussi extra- territorial peut avoir une incidence sur les procédures que Connaught pourrait être amenée à intenter à l’étranger, il n’est nullement demandé de voir refuser à Connaught le droit d’introduire une procédure à l’étranger, ni d’’interdire à un juge étranger de prononcer les mesures qu’il estimerait opportunes ;
Attendu que si solliciter devant le juge des référés des mesures provisoires ou conservatoires, dont l’exécution de certaines devra être réalisée dans un autre Etat, ne semble pas pouvoir être exclu de la compétence internationale de celui-ci, il n’y a pas lieu pour autant d’ignorer les difficultés liées à cette exécution ;
Qu’à ce propos M. Fallon (op. cit. p. 53. 8) remarque très judicieusement que :
« L’absence d’une règle certaine de droit international public interdisant l’adoption d’une mesure juridictionnelle de droit privé à propos de biens localisés à l’étranger ou d’un comportement à adopter à l’étranger ne suffit évidemment pas à justifier nécessairement une telle mesure, car le droit national applicable, au fond ou à la procédure, peut encore exercer d’autres contraintes. On songe principalement à la condition d’urgence, voire d’intérêt ou de sanction de l’abus de droit, que le juge saisi doit respecter dans la mesure prévue par son propre droit. Or, en demandant en Belgique une mesure dont l’objet se localise à l’étranger tout en sachant que la décision belge à intervenir devra faire l’objet d’une procédure d’exequatur à l’étranger, le plaideur ne choisit sans doute pas la voie la plus rapide.
…
Le risque d’un « détournement manifeste de procédure » au détriment du défendeur peut être plus grand à propos des situations internationales que des situations internes, où les juridictions en conflit appartiennent au même système juridique. En somme, c’est lors de l’examen du bien-fondé de la demande plutôt que lors de la vérification de la compétence, que le juge appréciera très concrètement le degré d’urgence en fonction de l’effectivité que la mesure à entreprendre est susceptible d’obtenir. » ;
Attendu, eu égard à l’ensemble des éléments précités, qu’il y a lieu d’admettre la compétence internationale du juge des référés belge relative aux demandes sollicitées par les parties demanderesses ;
Attendu qu’il y a lieu, conformément à la demande des parties demanderesses et défenderesse, de surseoir à statuer sur le surplus ;
PAR CES MOTIFS,
Nous, DONNY,
vice-président désigné pour remplacer le président du tribunal de première instance de Bruxelles ;
Assisté du greffier SNEESSENS ;
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant au provisoire, contradictoirement ;
Rejetant toutes conclusions autres plus amples ou contraires ;
Nous déclarons compétent pour connaître des demandes ;
Sursoyons à statuer sur le surplus ;