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Résumé de la décision Un particulier domicilié en Belgique a été condamné par deux jugements du Landgericht Bonn (DE) à payer à la demanderesse une certaine somme d’argent. Sur requête de cette dernière, le tribunal de première instance de Bruges (BE) a déclaré les jugements exécutoires en Belgique. Le défendeur fit opposition puis se pourvut en cassation. Il argua du fait que les jugements n’avaient été régulièrement signifiés qu’au cours de l’instruction de l’opposition et que dés lors le jugement rendu par le tribunal de Bruges avait été rendu sur la base de documents incomplets en violation des arts. 46 et 47 de la Convention de Bruxelles.
La Cour de cassation (BE) rejette le pourvoi. Elle constate d’une part, qu’en vertu de l’art. 33 al. 1 et al. 3 de la Convention de Bruxelles, les modalités de dépôt de la requête sont déterminées par la loi de l'Etat requis et les documents mentionnés aux arts. 46 et 47 sont joints à la requête. Et qu’en vertu de l’art. 47 al. 1, la partie qui demande l'exécution doit produire tout document de nature à établir que, selon la loi de l'Etat d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée. D’autre part, cela ne signifie pas que les règles de procédure nationale en ce qui concerne le délai et la forme du dépôt de la requête, ne peuvent prévoir une régularisation de la procédure par le dépôt de la preuve de la signification après que la requête ait été introduite, tant que le but poursuivi par les arts. 33, al. 3 et 47, al. 1, est respecté. En effet, ce dernier article doit être interprété en ce sens que lorsque les règles de la procédure nationale le permettent, la preuve de la signification du jugement peut être rapportée après le dépôt de la requête, à savoir au cours de la procédure d'opposition introduite subséquemment par la partie à l'égard de laquelle l'exécution est demandée (CJCE 14. 3. 1996 – C-275-94 – Van der Linden). La signification étant intervenue au cours de l’opposition, la cour de cassation rejette le pourvoi.
LA COUR,
Vu les jugements attaqués, rendus le 3 mars 1993 et le 30 juin 1993 par le tribunal de première instance de Bruges ;
Vu l'arrêt rendu par la Cour le 30 septembre 1994 ;
Vu l'arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés européennes le 14 mars 1996 ;
Sur le moyen libellé comme suit: violation des articles 33, 36, 37, 39, 46, 47 et 48 de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, modifiée par la Convention relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et par la Convention relative à l'adhésion de la République hellénique, approuvée par la loi du 13 janvier 1971, publiée au Moniteur Belge du 31 mars 1971 et par la loi du 31 juillet 1986, publiée au Moniteur Belge du 17 octobre 1986,
en ce que, dans le jugement attaqué du 30 juin 1993, le tribunal de première instance a déclaré la tierce opposition recevable mais non fondée par les motifs suivants: « Bien qu'il peut se déduire des documents produits par la défenderesse en ce qui concerne les jugements des 25 mai 1976 et 1er septembre 1976, qu'ils ont été signifiés et déclarés exécutoires, il y a lieu néanmoins de constater que la défenderesse ne prouve pas si et comment ces significations ont eu lieu. Elle ne prouve pas qu'en application de l'article 1er, 2°, de la Convention du 25 avril 1959 (Convention entre le Gouvernement belge et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne en vue de faciliter l'application de la Convention de La Haye du 1er mars 1954 relative à la procédure civile, signée à Bruxelles le 25 avril 1959), les documents ont été transmis directement par les autorités judiciaires allemandes compétentes au procureur du Roi dans le ressort duquel se trouve le destinataire (Cass 7 mai 1982, R W, 83/84, 185). Le défaut de preuve d'une signification régulière ressort d'ailleurs aussi du second jugement allemand du 8 juillet 1987, rendu sur l'opposition du demandeur formée contre les premiers jugements rendus par défaut respectivement le 25 mai et le 1er septembre 1976. On peut y lire que le représentant de la défenderesse déclare qu'il n'est pas en possession de la preuve de la signification. Il a été considéré que l'opposition a été formée en temps utile, compte tenu de la date de la signification communiquée par le représentant du demandeur (c'est-à-dire la signification du 6 janvier 1987, pièce 16 défenderesse) (voir pièce 17 défenderesse). Parmi les documents produits par la défenderesse au cours de la procédure sur requête unilatérale ne figurait pas la preuve de la signification, de sorte que l'article 47.1 de la Convention n'a pas été respecté. Au cours de la procédure d'opposition, la défenderesse a cependant fait une nouvelle signification le 6 janvier 1987 conformément aux dispositions du droit interne belge, à l'intervention de l'huissier de justice Vandemoortele. L'article IV, alinéa 2, du Protocole annexé à la Convention du 27 septembre 1968 permet, par dérogation à l'Accord du 25 avril 1959 entre la Belgique et l'Allemagne, que les officiers ministériels de l'Etat requis transmettront les documents au destinataire dans les formes prévues par la loi de l'Etat requis. Que c'est ce que la défenderesse a finalement fait par l'exploit de signification du 6 janvier 1976, de sorte qu'il y a lieu d'admettre que l'article 47.1 de la Convention a été respecté. (...) 6. Bien que le jugement a quo ait été rendu sur la base de documents incomplets, il n'y a pas lieu de ne pas le confirmer. Dans le cours de la procédure de tierce opposition, la défenderesse a introduit les régularisations nécessaires afin d'obtenir un jugement d'exequatur. Dans ces circonstances, il ne serait pas raisonnable de mettre tous les frais de la procédure d'exequatur à charge du demandeur », après avoir d'abord autorisé la défenderesse, par jugement interlocutoire du 3 mars 1993, à produire l'expédition du jugement allemand du 1er septembre 1976, Landgericht Bonn, qui n'était pas joint à son dossier, en raison de l'intérêt que présentait cette pièce pour l'appréciation de la cause,
alors que, en vertu de l'article 33, dernier alinéa, de la Convention du 27 septembre 1968, les documents mentionnés aux articles 46 et 47, doivent être joints à la requête tendant à obtenir la formule exécutoire. Qu'aux termes de l'article 46 de ladite convention, la partie qui demande l'exécution d'une décision doit produire: 1. une expédition du jugement réunissant les conditions nécessaires à son authenticité, 2. s'il s'agit d'une décision par défaut, l'original ou une copie certifiée conforme du document établissant que l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent a été signifié ou notifié à la partie défaillante. L'article 47 de la Convention prévoit que cette partie doit, en outre, produire: 1. tout document de nature à établir que, selon la loi de l'Etat d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée, 2. s'il y a lieu, un document justifiant que le requérant bénéficie de l'assistance judiciaire dans l'Etat d'origine. Si l'article 48, alinéa 1er, de la Convention précise qu'à défaut de production des documents mentionnés aux articles 46, n°2 et 47, n°2, l'autorité judiciaire peut impartir un délai pour les produire ou accepter des documents équivalents ou, si elle s'estime suffisamment éclairée, en dispenser, une telle faculté n'est pas prévue en ce qui concerne les documents prévus par les articles 46, sub n°1 et 47, sub n°1. Il s'ensuit que le document établissant que la décision est exécutoire et a été signifiée et l'expédition de cette décision doivent être produits au plus tard au moment où est présentée la requête tendant à obtenir l'exequatur. Qu'il s'ensuit aussi que la décision doit être signifiée avant que l'exécution puisse être requise. En l'espèce, la demande de la défenderesse tendant à l'exécution de jugements allemands en Belgique, qui a fait l'objet d'un jugement rendu le 2 février 1982, daté du 29 jui11et 1980. Les jugements rendus par défaut ont, certes, d'abord été signifiés au demandeur le 6 janvier 1987, en d'autres termes, pendant la procédure de tierce opposition. Selon le jugement du 3 mars 1993, l'expédition du jugement rendu par défaut le 1er septembre 1976 n'a pas davantage été produit, de sorte que, dans les jugements attaqués, le tribunal ne pouvait décider légalement que la défenderesse pouvait régulariser la procédure dans le cours de la procédure de tierce opposition en signifiant au cours de ce11e-ci les jugements rendus par défaut dont l'exécution a été demandée par requête uni1atérale du 29 jui11et 1980, ensuite par le dépôt dudit exploit de signification et par le dépôt après le jugement interlocutoire du 3 mars 1993, rendu dans le cadre de la procédure de tierce opposition, de l'expédition du jugement rendu par défaut le 1er septembre 1976 (violation des dispositions citées par le moyen) et, dès lors, ne pouvait décider légalement, par confirmation du jugement du 2 février 1982, de déclarer exécutoires les jugements rendus par défaut le 25 mai 1976 et le 1er septembre 1976, comme demandé par requête unilatérale du 29 jui11et 1980 (violation de ces mêmes dispositions) ;
Attendu qu'il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que: 1. le demandeur a été condamné par les jugements des 25 mai et 1er septembre 1976 du Landgericht Bonn à payer à la défenderesse respectivement les sommes de … DM, majorée des intérêts, et de …, majorée des intérêts ; 2. qu'à la demande de la défenderesse, le tribunal de première instance de Bruges, a déclaré les jugements exécutoires en Belgique par jugement du 2 février 1982 ; 3. que le 4 mai 1982, le demandeur a fait opposition à ce jugement ; 4. qu'au cours de l'instruction de l'opposition, et après la réouverture des débats, les jugements du Landgericht ont été pour la première fois régulièrement signifiés le 6 janvier 1987 ; 5. qu'après avoir constaté que le jugement du 2 février 1982 a été rendu sur la base de documents incomplets et que dans le cours de la procédure d'opposition la défenderesse a fait les régularisations nécessaires, le jugement attaqué a considéré que, dans ces circonstances, l'opposition est non fondée mais que les dépens doivent être compensés ;
Attendu qu'en vertu de l'article 33 de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, les modalités de dépôt de la requête sont déterminées par la loi de l'Etat requis ;
Qu'en vertu de l'article 33, alinéa 3, les documents mentionnés aux articles 46 et 47 sont, certes, joints à la requête, mais que cela ne signifie pas que les règles de procédure nationales auxquelles se réfère l'article 33, alinéa 1er en ce qui concerne le délai et la forme du dépôt de la requête, ne peuvent prévoir une régularisation de la procédure par le dépôt de la preuve de la signification après que la requête a été introduite, tant que le but poursuivi par les articles 33, alinéa 3 et 47, alinéa 1er, de la Convention est respecté ;
Qu'en vertu de l'article 47, alinéa 1er, de cette Convention, la partie qui demande l'exécution doit produire « tout document de nature à établir que, selon la loi de l'Etat d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée » ;
Que dans son arrêt du 14 mars 1996, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit que ce dernier article doit être interprété en ce sens que lorsque les règles de la procédure nationale le permettent, la preuve de la signification du jugement peut être rapportée après le dépôt de la requête, à savoir dans le cours de la procédure d'opposition introduite subséquemment par la partie à l'égard de laquelle l'exécution est demandée, à condition que celle-ci dispose d'un délai raisonnable pour exécuter volontairement le jugement et que la partie demandant l'exécution supporte les frais de tout acte de procédure inutile ;
Qu'il s'ensuit que, en vertu du droit communautaire, la production subséquente, au cours de la procédure d'opposition, de la preuve de la signification reste possible et entraîne, en principe, le rejet de l'opposition pour autant que la partie contre laquelle l'exequatur est ordonné dispose d'un délai raisonnable pour exécuter volontairement le jugement ;
Attendu que le jugement attaqué du 30 juin 1993 a déclaré la tierce opposition contre le jugement du 2 février 1982 recevable mais non fondée, spécialement par les motifs qu'en vertu du droit communautaire rien ne s'oppose à ce qu'une signification régulière ait lieu au cours de la procédure d'opposition ; que le demandeur ne soutient pas et n'a pas soutenu devant le juge du fond qu'il n'a pas disposé d'un délai raisonnable pour exécuter volontairement le jugement ;
Attendu que le moyen ne peut être accueilli dans la mesure où il invoque la violation du droit communautaire ;
Que, pour le surplus, il n'invoque la violation d'aucune disposition légale de droit national ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi ; condamne le demandeur aux dépens.