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Résumé de la décision Une société X et une société Y fabriquent toutes deux des pompes pour le débit de la bière et ont longtemps entretenu des relations commerciales amicales. Plus tard, la société X a reproché à l’autre de contrefaire un de ses appareils et de le commercialiser et a obtenu du juge belge une ordonnance l’autorisant à établir des actes de contrefaçon de la part de la société Y, faisant interdiction à cette dernière de se défaire des objets apparemment contrefaits et désignant un séquestre pour assurer leur garde. Invoquant le même grief, elle a aussi cité la société Y devant du Tribunal de commerce de Tourcoing (FR) pour faire cesser cet acte de concurrence déloyale (contrefaçon d’un de ses appareils). Déboutée, elle fit appel. La société Y, pour sa part, saisit le Tribunal civil de Bruxelles (BE) afin d’obtenir la rétractation de l’ordonnance belge.
Le Tribunal civil de Bruxelles (BE) fait droit à la requête de rétractation. Il considère que la décision française est reconnue d’emblée en Belgique en vertu de l’art. 26 de la Convention de Bruxelles. Le fait que la décision française ait été rendue en matière de concurrence déloyale ne revêt pas, selon le tribunal, une importance décisive. En effet, le juge des saisies n'a pas le pouvoir de rendre une décision dont les motifs déterminants reviendraient à affirmer exactement le contraire des juges français, la contrefaçon alléguée n'étant au demeurant qu'une variété particulière d'acte de concurrence déloyale.
1 – Objet de l'action :
Attendu que l'action tend à obtenir la rétractation d'une ordonnance du 16 février 1995 (R.R. 95/ 1032 IB) autorisant la défenderesse à établir des actes de contrefaçon de la part de la demanderesse, faisant interdiction à la demanderesse de se défaire des objets apparemment contrefaits et désignant un séquestre pour assurer leur garde ;
Qu'elle tend aussi à faire condamner la défenderesse à payer 150.000,-BEF d'indemnité pour procédure abusive;
2 – Antécédents :
Attendu que les parties fabriquent toutes deux des pompes pour le débit de la bière et ont longtemps entretenu des relations de commerce amicales ;
Que la défenderesse reprochant à la demanderesse de contrefaire un de ses appareils et de les commercialiser, a sollicite et obtenu les mesures mentionnées ci-dessus ;
Attendu toutefois qu'invoquant le même grief – la reproduction illicite de la colonne A.D. dont elle se prétend l'auteur – la défenderesse a cite la demanderesse devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing pour faire cesser cet acte de concurrence déloyale ;
Que ce tribunal a rejeté cette prétention par jugement du 23 juin 1994 aux motifs que:
«...qu'il ressort du comportement des parties ainsi que des pièces soumises à l'appréciation du Tribunal que rien ne permet de dire que la SA D. considérait les agissements de la SA A., tant sur le marche belge où elle commercialisait des produits comparables aux siens que sur le marche français où elle vendait des pièces détachées à un distributeur, relevait, dans l'esprit des dirigeants de la SA D. d'une concurrence qui pouvait être qualifiée de déloyale» ;
«Attendu que l'on peut légitimement estimer que, faute de s'y être opposée d'une façon nette et non ambiguë, la SA D. admettait ainsi les actes commerciaux de la SA A. concernant des marques et des modèles qu'elle estimait sa propriété ;
Attendu qu'il apparait un accord tacite entre les deux sociétés qui d'ailleurs dans le passe avaient entretenu entre elles des relations amicales ;
Attendu que faute d'avoir d'une façon claire avant l'assignation du 15 avril 1993 demande la SA A. de cesser des actes de concurrence déloyale la SA D. ne peut réclamer la réparation d'un préjudice dans la mesure où son comportement pouvait laisser croire qu'à la SA A. qu'elle n'avait cause d'opposition à ce que cette dernière commercialise en Belgique des modèles comparables aux siens ... »
Attendu que la défenderesse a interjeté appel contre cette décision ; Que cette instance est pendante devant la Cour d'appel de Douai ;
3 – Discussion :
a) portée du jugement du 23 juin 1994 du Tribunal de Commerce de Roubaix-Tourcoing et demande de rétractation :
Attendu qu'en principe cette décision est reconnue d'emblée en Belgique (art. 26 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968) ;
Que le débat devant le juge des saisies ne peut pas s'assimiler – fût-ce implicitement- à un recours exerce contre elle, même dans l'hypothèse non avérée en l'espèce, où ce jugement serait affecté d'erreurs flagrantes ;
Que le juge des saisies ne peut étendre, restreindre ou modifier les droits consacrés par un autre juge ; Qu'il est lie par l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement en question ;
Attendu que cette autorité s'entend aux motifs qui constituent l'indispensable support du dispositif;
Qu'il ressort des motifs ci-dessus reproduits qu'aux yeux du Tribunal de Commerce de Roubaix-Tourcoing, un accord existait entre parties quant à la commercialisation en Belgique par la demanderesse des produits prétendument contrefaits, que plus particulièrement la défenderesse admettait les actes commerciaux de la demanderesse concernant des marques et des modèles qu'elle estimait sa propriété ;
Qu'il importe peu que la décision ait été rendue en matière de concurrence déloyale ;
Que le juge des saisies n'a pas le pouvoir de rendre une décision dont les motifs déterminants reviendraient à affirmer exactement le contraire des juges français, la contrefaçon ici alléguée n'étant au demeurant qu'une variété particulière d'acte de concurrence déloyale ;
Attendu que ces considérations suffisent déjà à justifier la demande de rétractation ;
Attendu indépendamment de ce jugement et surabondamment que les circonstances entourant les droits dont se prévaut la défenderesse sont pour le moins floues de même que son attitude à l'égard de la demanderesse depuis 1986 voire 1982 ;
Qu'il en découle que les mesures graves sollicitées par elle et obtenues ne sauraient être maintenues ;
b) demande d'indemnité :
Attendu que dans sa requête, la défenderesse a passe sous silence l'existence du jugement susmentionné, élément de la plus haute importance à ce stade du litige ;
Qu'elle a agi de même à propos des relations longtemps amicales entre les parties ;
Attendu qu'elle a fait état de la consultation d'un avocat lillois montrant le caractère incontestable de ses droits, comme s'il ne s'agissait que d'un avis d'expert alors qu'en réalité cet avocat était son conseil dans l'instance engagée devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing et actuellement pendante devant le Cour d'appel de Douai ;
Que cette consultation ne pouvait être tenue ni pour objective ni pour impartiale ;
Attendu que dans le cadre de la procédure unilatérale, la défenderesse a soumis au juge des saisies une version tronquée et en trompe-l'œil du litige, et ce sur des points essentiels alors que dans ce type de procédure une loyauté et une bonne foi sans faille sont de mise ;
Que cette obligation est soulignée par la possibilité pour le juge de subordonner son autorisation d'une certaine somme, comme gage de sérieux de la part du demandeur de saisie en matière de contrefaçon (art. 1483 du Code judiciaire) ;
Que ces éléments rendent le comportement de la défenderesse fautif et justifient la demande d'indemnité ;
Que celle-ci sera fixe à 75.000,-BEF en équité – compte tenu du préjudice moral et commercial inflige à la demanderesse ;
Par ces motifs,
Nous, M. Goldenberg, Juge des Saisies assisté de Mme De Cooman, c.greffier,
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant contradictoirement ;
partie fondée;
Déclarons l'action recevable et la demande en grande
Rétractons l'ordonnance litigieuse dans son entier ;
Condamnons la défenderesse à payer 75.000,-BEF à la demanderesse et déboutons celle-ci du surplus de ce chef de demande ;