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Résumé de la décision Un particulier ayant son siège en France a été, pendant 5 années, le mandataire social d’une société belge. Suite à un litige relatif au non paiement des cotisations sociales, cette dernière cita le mandataire devant le Tribunal du travail de Liège (BE) en dommages et intérêts. Le défendeur ne comparut pas à l’audience mais contesta par courrier la compétence des juridictions belges, eu regard à l’art. 20 de la Convention de Bruxelles. Le Tribunal du travail souleva d'office des problèmes de compétence et, conformément au droit processuel civile belge, renvoya pour leur solution devant le Tribunal d'arrondissement de Liège (BE).
Le Tribunal d’arrondissement de Liège (BE) considère le renvoi irrecevable et retourne le dossier au Tribunal du travail de Liège. En effet, il rappelle que d’une part, il appartient effectivement au juge saisi de renvoyer la cause, pour le règlement de l’exception d’incompétence, au tribunal d'arrondissement conformément à l’art. 640 de Code judiciaire belge. D’autre part, la mise en œuvre de cette disposition ne s'entend que pour le règlement des querelles de compétence internes, et non pour les querelles concernant la compétence internationale. Le Tribunal du travail a alors considéré que l'objet de la procédure est une action en responsabilité civile qui est une matière civile et commerciale au sens de l'art. 1 de la Convention de Bruxelles, et n’appartient pas au champ exceptionnel de la sécurité sociale. Le Tribunal doit toutefois considérer que conformément à l'art. 2 de la Convention de Bruxelles, sont compétentes les cours du siège du défendeur qui habite en France. Conformément à l'art. 20 de la Convention de Bruxelles, le Tribunal est officiellement tenu de décider lui-même de sa compétence. Il n’y a donc pas de possibilités pour un règlement de la compétence conformément au droit belge.
1. Objet du litige:
Attendu que le défendeur aurait été mandataire social de la société demanderesse pendant la période courant du 1er janvier 1984 au 31 décembre 1988 ;
Attendu que l'arrêté royal n° 38 organisant le statut social des travailleurs indépendants dispose :
a) par son article 3, §1er, que l'assujetti au statut. qu'il organise est tout indépendant, c'est-à-dire toute personne physique qui exerce, en Belgique, une activité professionnelle en raison de laquelle elle n'est pas engagée dans les liens d'un contrat de louage de travail ou d'un statut, et qui perçoit des revenus visés à l'article 20, 1°, 2°, b ou c, ou 3° du Code des impôts sur le revenu ;
b) par son article 15, §1er, alinéa 3, que les personnes morales sont solidairement tenues au paiement des cotisations dues par leurs associés ou mandataires ;
Que sur base de cette solidarité réglementaire, la demanderesse a été interpellée par l'INASTI pour le paiement des cotisations sociales pour indépendants dues par son « gérant », Monsieur Charny, pour les années de mandat couvrant la période 1984 à 1988, soit la somme de 108.368 francs à titre de cotisations et 37.146 francs au titre de majoration pour non-paiement dans les délais (soit au total: 145.514 francs, à majorer des intérêts de retard ;
Attendu que pour éviter l'accroissement des frais de procédure de recouvrement par l'INASTI et par son obligation, au titre de sa solidarité, la demanderesse a désintéressé l'INASTI ;
Attendu que par citation du 4 juin 1992, la société demanderesse entend obtenir remboursement de sa contribution au paiement des cotisations payées pour Monsieur Roger Charny, actuellement défendeur ;
Attendu que la demanderesse a assigné devant le tribunal du travail du lieu du dernier emploi, par application des articles 627 et 580 du Code Judiciaire ;
Qu'il convient de relever immédiatement que ces articles ont pour objet la sécurité sociale des travailleurs salariés et non pas celle des travailleurs indépendants qui sont visés par les articles 581-1° et 628-14°, du Code judiciaire, qui rend compétent le tribunal du travail du domicile de l'assujetti s'il a un domicile en Belgique, sinon le juge du dernier domicile, de la dernière résidence ou de la dernière occupation en Belgique ;
Attendu que le défendeur ne comparaîtra pas mais fera connaître sa position par un courrier du 13 juin 1992, dont la teneur sera pour l'essentiel répétée par la suite et qui consiste en un déclinatoire de compétence des juridictions belges et en la nullité de la citation qui lui a été signifiée sur base de la convention CEE du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions ;
Que le défendeur estime que la convention ne peut s'appliquer à son égard puisque la matière de la sécurité sociale est exclue de son champ d'application par l'article 1er et que le juge doit, selon l'article 20, soulever d'office son incompétence;
Attendu que la convention entre les Etats membres de la Communauté économique européenne concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signé à Bruxelles le 27 septembre 1968, déclare: .
« TITRE 1er. - Champ d'application: Article 1er :
La présente convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.
Sont exclus de son application :
3° la sécurité sociale.
Article 2 : Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat…
Article 20 : Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant est attrait devant une juridiction d'un autre Etat contractant et ne comparaît pas, le juge se déclare d'office incompétent si la compétence n'est pas fondée aux termes de la présente convention » ;
Attendu que par jugement de la deuxième chambre du tribunal du travail de Liège, à laquelle l'affaire avait été distribuée, la cause est renvoyée au tribunal d'arrondissement ;
Que la juridiction sociale relève en effet dans cette affaire un double problème de compétence :
– matérielle d'abord, car la demanderesse considère, contrairement à l'affirmation formulée par la lettre du défendeur, que l'objet du litige ne relève pas de la sécurité sociale (rapport entre un assujetti et un organisme public) mais concerne bien une action purement civile rentrant dans les matières visées par l’article 1er de la convention CEE ;
– territoriale ensuite, puisque si la convention CEE trouve à s'appliquer, son article 3 donne comme principe général compétence aux tribunaux du domicile du défendeur qui, pour le cas soumis à son appréciation, serait celui de Neuilly s/Seine en France ;
Que, compte tenu du défaut du défendeur à l'audience, le juge belge a soulevé d'office ces problèmes de compétence et a renvoyé pour leur solution devant le tribunal d'arrondissement;
II. Sur la recevabilité du renvoi au tribunal d'arrondissement:
Attendu qu'il appartient effectivement au juge, lorsque le défendeur est défaillant, de soulever d'office les moyens d'incompétence qui auraient pu être soulevés par le défaillant et de renvoyer la cause, pour le règlement de cette exception, au tribunal d'arrondissement par application de l'article 640 de Code judiciaire ;
Attendu que la mise en oeuvre de l'article 640 du Code judiciaire ne s'entend cependant que pour le règlement des querelles de compétence internes, c'est-à-dire mettant en conflit des juridictions du seul niveau national belge ;
Attendu que le principe inscrit in fine de l'article 639 du Code judiciaire
« Le tribunal d'arrondissement n'est pas compétent pour statuer sur le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux » vaut tout autant pour l'article 640 ;
Attendu qu'en effet, l'intervention du tribunal d'arrondissement est conçue dans l'optique d'un règlement rapide et définitif des problèmes de compétence, ce qui implique la possibilité d'un renvoi devant la juridiction qui se trouvera liée par l'application de l'article 660 du Code judiciaire, alors qu'un tel processus ne peut trouver d'efficacité juridique à l'égard d'un tribunal d'un ordre juridique étranger ;
Attendu qu'une exception d'irrecevabilité d'une demande devant les juridictions belges dans leur ensemble ne peut trouver son règlement par un recours à la procédure décrite aux articles 639 et suivants du Code judiciaire ; qu'il appartient, dans ce cas, au juge saisi de statuer lui-même sur la recevabilité de l'action introduite devant lui ;
Attendu que selon l'article 2 du Code judiciaire, les règles de procédure inscrites à ce Code ne s'appliquent pas si elles se heurtent à des principes de droit dont l'application n'est pas compatible avec les dispositions dudit Code judiciaire ;
Attendu que l'article 20 de la convention CEE, norme internationale primant la loi belge, impose au juge saisi – et à lui seul – d'appliquer dans un premier temps le droit communautaire, sans intervention du collège des présidents ; que le juge ne pourrait valablement saisir le tribunal d'arrondissement que si, après avoir déclaré les juridictions belges compétentes, il relevait, au sein de celles-ci, un doute sur le choix de l'une d'elles ;
PAR CES MOTIFS,
ouï Monsieur Jacques Goosse, premier substitut du procureur du Roi, en son avis conforme donné verbalement à l'audience de ce jour,
dit le renvoi irrecevable, le tribunal d'arrondissement ne pouvant être saisi pour résoudre une difficulté de compétence judiciaire opposant des tribunaux relevant de différents Etats signataires de la Convention CEE du 27 septembre 1968 ;