Vu les pièces de la procédure notamment :
– le jugement attaqué prononcé le 8 juin 1993 par défaut réputé contradictoire par le tribunal de première instance de Bruxelles,
– la requête d’appel déposée au greffe de la Cour le 17 janvier 1994,
– les questions préjudicielles posées en conclusions à la Cour de justice des Communautés européennes et à la Cour d’arbitrage par l’appelante ;
Attendu qu’à l’audience du 4 octobre 1994, les parties ont de commun accord limité les débats à la question de la recevabilité de l’appel dans le temps et plus particulièrement à celle de la validité de la signification du jugement attaqué ;
Attendu que les intimés soulèvent l’irrecevabilité de l’appel, qui aurait été formé hors délai ; que pour les intimés, le délai d’appel a pris cours le 7 juillet 1993, c’est-à-dire le lendemain de la signification du jugement intervenu le 6 juillet 1993 ; que le délai d’appel de 30 jours a été prorogé de 15 jours puisque l’appelante est domiciliée en France ; qu’en outre, le délai d’appel a été prorogé en raison des vacances judiciaires jusqu’au 15 septembre 1993 ; que l’appel interjeté le 17 janvier 1994 serait dès lors tardif ;
Attendu que l’appelante conteste la validité des deux modes de signification du jugement employés en l’espèce pour en conclure que son appel est recevable ;
Attendu que le jugement entrepris a été signifié par exploit d’huissier du 6 juillet 1993, conformément à l’art. 40, al. 1er, du Code judiciaire par la remise à la poste de la lettre recommandée contenant la copie de l’acte de signification ;
Qu’en outre, le 5 août 1993, un huissier français a remis à l’appelante l’expédition du jugement attaqué ainsi que l’exploit de signification du 6 juillet 1993, en application de l’art. IV du Protocole annexé à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
Que le jugement entrepris a ainsi été signifié à deux reprises, une première fois par voie postale et une deuxième fois par la remise de l’acte par l’huissier français ;
Attendu qu’en cas de cumul des modes de signification, le délai de recours prend cours en fonction du premier mode utilisé (Cass. 4 novembre 1993, J.L.M.B. 1994, 917, avec note de Guy Block, Cumul des modes de signification et point de départ des délais de procédure) ;
Attendu que lorsque deux modes de signification sont utilisés et que l’un des deux est entaché de nullité, l’autre produit, malgré tout, ses effets (Cass. 30 septembre 1985, Pas. 1986, I, 89) ;
Attendu que la cour examine d’abord la validité de la signification opérée par voie postale (art. 40 du Code judiciaire), puisque c’est ce mode-là qui a été usité en premier lieu et que dans le temps, il est le premier à pouvoir produire des effets ;
Attendu que l’appelante invoque deux arguments pour contester la validité de la signification effectuée par voie postale à savoir en premier lieu :
1. La signification par voie postale viole le prescrit et la raison d’être de l’art. IV du Protocole annexé à la Convention de Bruxelles
Attendu que l’appelante prétend que la signification par voie postale devrait respecter la condition prévue par l’art. IV, in fine, du Protocole annexé à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, à savoir que « cette remise est faite dans les formes prévues par la loi de l’Etat requis » ;
Attendu que l’appelante se fonde cependant sur une interprétation erronée de l’art. IV précité, dès lors que celui-ci distingue clairement dans deux alinéas séparés deux modes de signification, à savoir, d’une part, ceux prévus dans les conventions ou accords conclus entres les Etats contractants et, d’autre part, celui qui est organisé par l’art. IV, al. 2, du Protocole (transmission d’huissier à huissier) ;
Que l’obligation de respecter les formes de l’Etat requis se rapporte uniquement au mode organisé par l’art. IV, al. 2, (transmission d’huissier à huissier) ;
Attendu que l’appelante demande en ordre subsidiaire, au cas où la cour ne suivrait pas son interprétation de l’art. IV précité, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes afin que celle-ci indique si « l’art. IV du Protocole additionnel à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 doit être interprété en ce sens qu’il imposerait, à une signification faite par voie postale, de respecter les formes de l’Etat dans lequel le destinataire de l’acte judiciaire ou extra- judiciaire a son domicile » ;
Attendu que la cour d’appel n’a pas d’obligation de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice des Communautés européennes ;
Qu’il s’agit uniquement d’une faculté prévue à l’art. 177 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, au cas où la cour estimerait qu’une décision de la Cour de justice sur le point demandé est nécessaire pour rendre son arrêt ;
Attendu que la cour n’estime pas nécessaire pour résoudre le litige de poser à la Cour de justice la question préjudicielle formulée par l’appelante, dès lors qu’elle est fondée sur une interprétation manifestement erronée de l’art. IV précité ;
2. L’aspect discriminatoire et anticonstitutionnel de l’art. 40 du Code judiciaire
Attendu que le début de l’art. 40 du Code judiciaire dispose qu’« à ceux qui n’ont en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu connus, la copie de l’acte est adressée par l’huissier de justice sous pli recommandé à la poste, à leur domicile ou leur résidence à l’étranger et en outre par avion si le point de destination n'est pas dans un pays limitrophe, sans préjudice des autres modes de transmission convenus entre la Belgique et le pays de leur domicile ou de leur résidence » ;
Attendu que l’appelante allègue que l’art. 40 du Code judiciaire est contraire au principe constitutionnel d’égalité et de non discrimination ; que cet Article introduirait une différence de traitement non justifiée entre les justiciables ayant un domicile, une résidence ou un domicile élu en Belgique et les autres ;
Que pour l’appelante, les significations faites en Belgique par l’huissier offrent plus de garantie d’une correcte information du destinataire et sont plus respectueuses des droits de la défense ;
Que pour l’appelante, l’objectif de l’art. 40 du Code judiciaire, qui est d’assurer la transmission et l’information des actes judiciaires à l’étranger, pourrait être atteint par des procédés nettement plus respectueux des droits de la défense, eu égard à l’entraide judiciaire qui s’est développée spécialement au sein de l’Union européenne ;
Attendu que l’appelante demande à la cour de poser à la Cour d’arbitrage la question préjudicielle suivante : « l’art. 40 du Code judiciaire viole-t-il les arts. 10 et 11 (anciennement 6 et 6 bis) de la Constitution dans la mesure où il s’applique à des justiciables ayant leur domicile dans un des Etats membres de l’Union européenne? » ;
Attendu que la cour estime qu’il n’y a pas lieu de poser la question préjudicielle à la Cour d’arbitrage, dès lors que l’art. 40 du Code judiciaire ne viole manifestement pas les arts. 10 et 11 de la Constitution (art. 26, § 2.3°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage) ;
Qu’en effet, la différence de traitement établie par l’art. 40 du Code judiciaire pour les significations destinées à des justiciables en Belgique et celles destinées à l’étranger est justifiée de manière objective et raisonnable ;
Que cette différence de traitement répond à des nécessités objectives ; que l’officier ministériel belge se trouve dans l’impossibilité d’instrumenter sur le territoire d’un état étranger ;
Que la signification par voie postale a l’avantage d’être simple et peu coûteuse ;
Que la poste en France et en Belgique offre des garanties suffisantes d’une transmission correcte par la lettre recommandée ;
Que la poste ne remettra le pli recommandé qu’au destinataire ou à la personne habilitée par lui ;
Que l’appelante ne dit pas qu’elle n’a pas reçu le pli recommandé qu’au destinataire ou à la personne habilitée par lui ;
Attendu que dans ces circonstances, les arguments développés par l’appelante concernant la non- validité de la signification par voie postale ne sont pas fondés ;
Attendu que la signification par voie postale est non seulement prévue par l’art. 40 du Code judiciaire mais également par différentes conventions internationales, qui ont été ratifiées par la France et la Belgique ;
a) Que la convention bilatérale conclue le 1er mars 1956 entre la France et la Belgique prévoit en son art. 1 la transmission des actes juridiques de parquet à parquet ainsi que l’envoi par l’officier ministériel de l’acte par la poste directement au destinataire, si la voie postale est prévue par la loi du pays où l’acte a été établi, ce qui est le cas en l’occurrence (art. 40 du Code judiciaire) ;
b) Que l’art. 10 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification des actes judiciaires et extra- judiciaires, en matière civile et commerciale prévoit la faculté d’une signification par la voie postale, si l’état de destination ne déclare pas s’y opposer ; que la France, pays destinataire, n’a pas marqué d’opposition ti ce mode de signification ;
Que la cour fait remarquer que l’art. 10 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 rend la question préjudicielle pour la Cour d’arbitrage non indispensable pour la solution du litige ; qu’en effet, même si par hypothèse la Cour d’arbitrage devait déclarer l’art. 40 du Code judiciaire contraire aux arts. 10 et 11 de la Constitution, il n’en reste pas moins que la signification par voie postale à destination de la France reste valable en vertu de la Convention de La Haye précitée, qui fait partie du droit belge et ne peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour d’arbitrage ;
c) Que l’art. IV du Protocole annexé et la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 commence par renvoyer aux modes de signification acceptés par les conventions ou accords conclus entre états contractants ;
Que la signification par voie postale était dès lors valable non seulement en droit interne mais également en droit judiciaire international ;
Attendu que l’art. 40 du Code judiciaire précise que la signification est réputée accomplie par la remise de l’acte aux services de la poste contre le récépissé de l’envoi ;
Attendu que dans ces circonstances, la signification du jugement attaqué faite par voie postale le 6 juillet 1993 est valable ;
Qu’il est dès lors sans intérêt de vérifier si le deuxième mode de signification fait par la remise du jugement par l’huissier français le 5 août 1993 est également valable ;
Que le délai d’appel venait à échéance le 15 septembre 1993 ;
Que l’appel interjeté le 17 janvier 1994 est tardif et dès lors irrecevable ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant contradictoirement,
Vu l’art. 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire,
Dit que l’appel est tardif et dès lors irrecevable ;