Attendu que l'action a pour objet d'entendre condamner les défenderesses, solidairement, au paiement de la somme de 3.200.000 BEF à titre d'indemnité compensatoire de préavis, de 3.200.000 BEF à titre d'indemnité complémentaire pour plus-value notable de clientèle et de 1.200.000 BEF à titre d'indemnité complémentaire pour frais, ces montants augmentés des intérêts moratoires et judiciaires ainsi que des dépens ;
Que cette demande est formulée à la suite de la rupture d'un contrat, qualifié de concession exclusive, intervenu entre parties ;
Attendu que la demanderesse, la S.A. Skaarr, a été déclarée en faillite par jugement du 11 février 1992 ;
Que par conclusions déposées au greffe le 29 septembre 1992, le demandeur, en sa qualité de curateur, déclare reprendre l'instante mue par la demanderesse ;
Qu'il échet de lui en donner acte ;
Les faits
Attendu qu'il résulte des éléments de la cause que la première défenderesse, la société de droit italien Acciaierie Weissenfels (ci-après Weissenfels Italie) a accordé, le 1er octobre 1975, à la société de droit belge Graham l'exclusivité de la vente en Belgique et au Grand-duché de Luxembourg de divers produits de sa production ;
Que cependant compte tenu de la constitution de la société Weissenfels France, la seconde défenderesse, cette convention a été résiliée par lettre du 14 juin 1978 ;
Que Graham semble avoir encore entretenu des relations avec les défenderesses ou avec l'une d'elle ;
Attendu que la demanderesse originaire, la S.A. Skaarr, a été constituée en octobre 1987 et qu'elle a repris le secteur d'activité de Graham relatif à l'outillage industriel et au bricolage ;
Que par lettre du 4 mai 1988, Weissenfels France a accordé à Skaarr la « distribution exclusive des produits Weissenfels France pour la gamme quincaillerie-bricolage pour la Belgique et le Luxembourg » ;
Que Weissenfels France a mis fin à cette convention, par lettre du 28 septembre 1989, avec un préavis de 3 mois ;
Que par lettre de son conseil du 8 novembre 1989, Skaarr réclamait à Weissenfels France une indemnité compensatoire de préavis de 3.200.000 BEF ainsi qu'une indemnité complémentaire de 4.400.000 BEF (pour plus-value notable de clientèle et pour frais) ;
Attendu que par citation du 5 décembre 1989, les défenderesses ont cité la société Skaarr devant le tribunal de Udine en Italie aux fins d'entendre déclarer résiliée, aux torts de la défenderesse, la convention d'exclusivité entre parties et également d'entendre déclarer inexistant, nul, résolu ou résilié tout contrat d'exclusivité éventuel avec la S.A. Skaarr ;
Que par exploit du 19 janvier 1990, Skaarr a cité les défenderesses, devant le tribunal de céans, en paiement d'une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu'une indemnité complémentaire ;
Discussion
Attendu que les défenderesses contestent la compétence du tribunal de céans ; que d'une part elles estiment que ce dernier ne peut connaître du présent litige et d'autre part, elles invoquent une exception de litispendance, au sens de l'art. 21 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relative à la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
1. Quant à la compétence
Attendu que les défenderesses contestent la compétence du tribunal au motif que la demande d'indemnité, fondée sur l'art. 3 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée déterminée, a comme base une obligation autonome à laquelle il faut appliquer le principe de la quérabilité des cettes, justifiant ainsi la compétence du juge italien ;
Que dès lors c'est le tribunal d'Udine qui doit être considéré comme compétent aux termes de l'art. 5,1° de la Convention de Bruxelles ;
Attendu en revanche que la demanderesse soutient que le tribunal de céans est compétent pour connaître tant de la demande d'indemnité fondée sur l'art. 2 de la loi du 27 juillet 1961 que celle fondée sur l'art. 3 de cette loi ;
Attendu qu'aux termes de l'art. 5,1° de la Convention de Bruxelles, en matière contractuelle, le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat Contractant peut être attrait dans un autre Etat Contractant « devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée » ;
Attendu qu'en ce qui concerne la fuste indemnité due au concessionnaire, en vertu de l'art. 2 de la loi du 27 juillet 1961, il est actuellement unanimement admis qu'elle compense et remplace l'obligation inexécutée de donner un préavis raisonnable dont le lieu d'exécution est le territoire du concessionnaire ;
Qu'en l'espèce le territoire du concessionnaire est la Belgique ; qu'à ce titre, le tribunal de céans est compétent sur base de l'art. 5,1° de la Convention de Bruxelles ;
Attendu qu'il en est autrement de l'obligation de payer l'indemnité complémentaire prévue à l'art. 3 de la loi de 1961 ; que cette obligation est incontestablement autonome ; qu'elle ne se substitue en effet à aucune autre obligation ;qu'ainsi le principe de la quérabilité des cettes peut lui être appliqué (art. 1247 C.c.), ce qui implique qu'elle doit être exécutée au domicile du concédant soit en l'espèce en France ou en Italie ;
Attendu que se pose dès lors la compétence du tribunal saisi de demandes fondées sur une multiplicité d'obligations et de lieux d'exécution ;
Attendu qu'il convient d'emblée de rejeter la solution avancée par la demanderesse et fondée sur l'art. 4 de la loi de 1961 ; qu'en effet la règle de la primauté du droit communautaire sur le droit national s'impose ;
Attendu qu'en ce qui concerne la connexité des demandes qu'invoque également la demanderesse, pour fonder la compétence du tribunal saisi de plusieurs obligations ayant des lieux d'exécution différents, il y a lieu de préciser que la Convention de Bruxelles ne confère pas au lien de connexité unissant des obligations distinctes un rôle attributif de compétence (C.J.C.E. 24 juin 1981, Aff. 150/80, Elefanten Schuh/Jacqmain – Rev. Crit. Dr. Int. Priv. 1982, p. 143) ;
Attendu que la demanderesse invoque encore, pour fonder la compétence du tribunal de céans, la solution donnée par la Cour de Justice des Communautés européennes dans son arrêt du 15 janvier 1987 (aff. Shenavai et Kreischer – J.T. 1987, p. 364) et selon lequel le juge saisi « s'orientera, pour déterminer sa compétence, sur le principe selon lequel le secondaire suit le principal » ;
Qu'en l'espèce l'on peut cependant se demander, comme le font les défenderesses à juste titre, si l'obligation de payer une indemnité complémentaire est l'accessoire de l'obligation de payer une juste indemnité compensatoire de préavis dès lors que, notamment, l'indemnité complémentaire peut être réclamée indépendamment d'une juste indemnité (ex. à l'expiration d'un préavis déterminé de commun accord ou accepté par le concessionnaire et exécuté par les parties) ;
Attendu qu'il convient de rappeler qu'un des objectifs fondamentaux de la Convention de Bruxelles est l'économie de procédure et partant le respect de l'unité du procès ;
Qu'ainsi dans le souci d'une bonne administration de la justice, il y a lieu d'éviter de dissocier l'obligation de payer une indemnité complémentaire de celle de payer une juste indemnité, « toutes ces obligations découlant également du même contrat de concession invoqué, pour la soumettre isolément au juge (du siège du concédant) » (comme. Brux. 22 juin 1989, R.D.C. 1990, p. 703) ;
Que sur cette base il faut dès lors conclure à la compétence du tribunal de céans ;
2. Quant à la litispendance
Attendu que les défenderesses soulèvent également l'exception de litispendance conformément à l'art. 21 de la Convention de Bruxelles ; qu'elles estiment que le tribunal de céans doit dès lors se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi à savoir le tribunal d'Udine ;
Que la demanderesse conteste la litispendance et qu'en tout état de cause, elle considère que le tribunal de céans peut tout au plus surseoir à statuer, conformément à l'al. 2 de l'art. précité, la compétente du tribunal d'Udine étant contestée par elle ;
Attendu que l'art. 21 stipule :
« Lorsque des demandes ayant le même objet et la même
« cause sont formées entre les mêmes parties devant des « des juridictions d'Etats Contractants différents, la
« juridiction saisie en second lieu doit, même d'office, « se déssaisir en faveur du tribunal premier saisi.
« La juridiction qui devrait se dessaisir peut surseoir « à statuer si la compétence de l'autre juridiction est » contestée.
Attendu que dans son arrêt Gubisch Maschinenfabrik/Palumbo (8 décembre 1987, aff. 144/86, Rec. 1987, 4861) la Cour de Justice des Communautés européennes a consacré une notion autonome de litispendance au sens de l'article précité ;
Qu'elle dit pour droit que « la notion de litispendance visée à l'art. 21 de la Convention du 27 septembre 1968 recouvre le cas dans lequel une partie introduit devant une juridiction d'un Etat contractant une demande visant à l'annulation ou à la résolution d'un contrat de vente international, alors qu'une demande de l'autre partie visant à l'exécution de ce même contrat est pendante devant une juridiction d'un autre Etat contractant » ;
Attendu qu'en l'espèce il résulte de l'attestation délivrée par le tribunal d'Udine que les défenderesses sollicitent :
– la résiliation, aux torts de la S.A. Skaarr, du contrat d'exclusivité,
– la déclaration d'inexistence, la nullité, l'annulation et la résiliation de tout contrat éventuel d'exclusivité intervenu entre parties et qu'en conséquence la société Skaarr n'a droit à aucune indemnité et en, entre autres choses, que toutes les prétentions figurant dans la lettre du 8 novembre 1989 de Me Lagnaux sont sans fondement ;
Attendu qu'il n'est pas contesté qu'il s'agit des mêmes parties qui sont engagées dans deux litiges introduits dans deux Etats contractants différents ;
Qu'en ce qui concerne la « cause » la Cour la définit comme le rapport contractuel sur lequel se fonde les deux litiges ;
Qu'en l'espèce le même rapport contractuel soit le contrat allégué de concession, fonde les deux demandes ; que la cause est dès lors la même ;
Qu'en ce qui concerne « l'objet », la Cour considère que cette notion ne peut être restreinte à l'identité formelle des deux demandes ;
Qu'en sollicitant que soit déclaré inexistant le contrat de concession ou en sollicitant son annulation la demande touche à l'efficacité du contrat ;
Que les indemnités réclamées par la demanderesse dépendent nécessairement de l'existence et de la validité de la convention ;
Que la décision judiciaire rendue dans un Etat contractant qui accorderait des indemnités sur base du contrat litigieux serait refusée dans l'Etat dont une juridiction aurait constaté l'inexistence ou prononcé l'annulation du même contrat (art. 27,3 de la Convention de Bruxelles) ;
Que partant il y a identité d'objet entre les demandes introduites devant le tribunal d'Udine et le tribunal de céans ;
Qu'ainsi il y a lieu de conclure à la litispendance ;
Attendu qu'il n'est ni contesté ni contestable que le tribunal d'Udine a été saisi en premier lieu ;
Attendu enfin que la demanderesse signale, sans être contredite, qu'elle a soulevé l'incompétence du tribunal italien ;
Qu'il y a lieu dès lors à application de l'al. 2 de l'art. 21 de la Convention de Bruxelles ;
Qu'il convient ainsi de surseoir à statuer ;
Par ces motifs, le Tribunal,
Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant contradictoirement,
Donne acte au demandeur qq de ce qu'il reprend l'instance introduite par la S.A. Skaarr ;
Pour le surplus, sursoit à statuer;