PROCEDURE
1. Attendu que les époux X – Y soulèvent un déclinatoire de compétence, à la fois matérielle et territoriale ;
Attendu que, dans leurs premières conclusions, reçues au greffe de céans le 23 mars 1992 – conclusions annulées par les suivantes, reçues au greffe le 15 septembre 1992 – ils faisaient également valoir que l’action de la S.A. SOCOBEMA serait irrecevable, au motif que c'est la société CECICO qui aurait dû être assignée et non eux-mêmes personnellement ; que ce dernier argument est actuellement abandonné par les défendeurs au principal ;
2. Attendu que la S.A. SOCOBEMA considère que les défendeurs n'ont pas soulevé l’exception d'incompétence in limine litis et ne pourraient dès lors plus s'en prévaloir, en application de l’art. 854 du code judiciaire ;
Qu'elle soutient en outre que le bon de commande n° 201, du 24 décembre 1990 – par lequel M. COUQUE lui passe commande du bateau litigieux et de ses accessoires – comporte, en son verso, ses conditions générales de vente attribuant compétence exclusive au Tribunal de Commerce de Liège ;
3.1. Attendu que les conclusions des défendeurs au principal, datées du 19 mars 1992, ont été communiquées à la S.A. SOCOBEMA mais n'ont jamais été déposées, ni au greffe du Tribunal de céans ni à l’audience ;
Que contrairement à ce qu'allègue la S.A. SOCOBEMA, elles ne constituent dès lors pas un acte de procédure et ne lient pas le Tribunal, qui ne les connaît pas ;
Attendu que les conclusions des défendeurs au principal, reçues au greffe le 23 mars 1992, ont été annulées par celles déposées le 15 septembre 1992 mais constituent cependant un acte de procédure ;
Que l’annulation de conclusions par la partie qui les a rédigées ne peut avoir pour but et pour effet d'éviter la sanction du non respect de la hiérarchie des moyens de défense ;
Que, cependant, dans le cas d'espèce, les conclusions du 23 mars 1992 n'auraient de toutes façons pas entraîné la déchéance des défendeurs au principal de leur droit de soulever l’incompétence territoriale du Tribunal de céans ;
Qu'en effet, dans les conclusions du 23 mars 1992, les époux X – Y invoquent :
– en premier lieu, une fin de non-recevoir (et non une défense au fond), à savoir le problème de la qualité des défendeurs. Pour rappel, la qualité du – ou des -défendeur(s) (c'est-à-dire le titre juridique en vertu duquel une personne peut figurer valablement dans un procès) doit aussi bien être examinée que celle du demandeur (voir A. FETTWEIS, A. KOHL et G. de LEVAL, Droit Judiciaire Privé, Fascicule II, n° 181). Il s'agit là d'une condition de recevabilité de l’action ;
– en second lieu, un déclinatoire de compétence matérielle du Tribunal de céans, les défendeurs au principal n'étant pas commerçants (exception dite dilatoire) ;
– en troisième lieu, un déclinatoire de compétence territoriale du Tribunal de céans, les défendeurs au principal considérant les tribunaux de Paris comme seuls compétents (exception dite également dilatoire) ;
Que sur base de cette chronologie dans les conclusions des défendeurs au principal, la S.A. SOCOBEMA estime que les déclinatoires de compétence n'ont pas été soulevés in limine litis et que leurs auteurs doivent dès lors être censés y avoir renoncer ;
Attendu qu'en réponse, il échet de faire remarquer, d'une part que les règles de compétence matérielle sont d'ordre public et peuvent dès lors être invoquées à tout moment ;
Que, d'autre part, s'il est vrai qu'en général – et c'est le cas en l’espèce – les règles de compétence territoriale ne sont pas d'ordre public et qu'elles doivent dès lors, à peine de « forclusion », être invoquées in limine litis (c'est-à-dire avant toutes défenses au fond), « cela signifie que la défense doit être libellée dans le premier acte de procédure du défendeur même si cet acte propose aussi d'autres exceptions » ; qu'en effet, « à peine de verser dans un formalisme archaïque et gratuit, on ne peut exiger que, dans la rédaction des premières conclusions, l’ordre de présentations de plusieurs exceptions puisse avoir une incidence sur leur recevabilité » (voir A. FETTWEIS, Manuel de Procédure civile, 2ème édition, 1987, n° 112, II, p. 109) ;
Qu'enfin, la fin de non-recevoir invoquée par les époux X – Y, à savoir l’irrecevabilité pour défaut de qualité dans leur chef – et non dans celui de la S.A. SOCOBEMA – ne constitue bien évidemment pas une défense au fond ;
Qu'une fin de non-recevoir est « un moyen processuel qui tend à faire décider que le demandeur n'a pas – ou n'a plus – d'action, qu'il ne dispose pas – ou a perdu – le pouvoir légal d'obtenir une décision sur le fond de sa prétention : exception de chose jugée, tardiveté d'un recours, défaut d'intérêt, défaut de qualité, action prescrite,... Elle ne contredit pas directement la demande » (A. FETTWEIS, op. cit., n° 113, p. 110) ;
Qu'il est d'ailleurs logique d'invoquer, en premier lieu, un moyen d'irrecevabilité, avant un déclinatoire de compétence puisque, si l’action est irrecevable, le Tribunal ne pourra même pas examiner sa compétence – qu'elle soit territoriale ou matérielle – n'ayant pas été valablement saisi ;
Attendu qu'en conséquence, il échet de constater que les époux X – Y ont soulevé leur déclinatoire de compétence territoriale in limine litis ;
3.2. Attendu qu'au vu des principes prérappelés, les arguments processuels avancés par les défendeurs au principal doivent être examinés selon la chronologie suivante :
1. le problème de la recevabilité,
2. le déclinatoire de compétence territoriale internationale,
3. le déclinatoire de compétence matérielle (entre ces deux derniers, le choix doit d'abord se porter sur la compétence territoriale internationale. Il ne servirait à rien, en effet, de renvoyer la cause devant le tribunal civil s'il devait, par la suite, déclarer les tribunaux belges incompétents territorialement) ;
3.2.1. La recevabilité.
Attendu que, dans leurs dernières conclusions, du 15 septembre 1992, les époux X – Y reconnaissent avoir contracté personnellement avec la S.A. SOCOBEMA, raison pour laquelle ils abandonnent l’argument d'irrecevabilité soulevé dans leurs conclusions du 23 mars 1992 ;
Qu'ils introduisent d'ailleurs une action reconventionnelle à titre subsidiaire sur cette base, pour le cas ou leurs déclinatoires de compétence ne seraient pas suivis d'effet ;
Attendu que l’action principale doit dès lors être déclarée recevable ;
3.2.2. La compétence territoriale.
Attendu que les parties s'accordent pour estimer que les bons de commande du 24 décembre 1990 et 22 janvier 1991 forment un tout indissociable et fixent les conditions du contrat les liant ;
Attendu que, contrairement à ce qu'alléguait la S.A. SOCOBEMA en termes de conclusions et de plaidoiries, l’exemplaire du bon de commande du 24 décembre 1990 reçu par les défendeurs au principal ne comporte pas les conditions générales de vente de la S.A. SOCOBEMA (pour rappel, ces conditions générales contiennent une clause attributive de compétence au Tribunal de Commerce de Liège) ;
Que, par contre, le bon de commande du 22 janvier 1991 précise, à son « en-tête », « conformément à nos conditions générales d'achat que vous voudrez bien trouver au verso du document,... » ; que l’art. 5 de ces conditions, reprises effectivement au verso de l’original détenu par la S.A. SOCOBEMA, attribue compétence exclusive aux tribunaux de Paris ;
Attendu que ce bon de commande n'a pas été signé par la S.A. SOCOBEMA mais lui a été adressé ;
Attendu qu’aux termes de l’art. 17 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, tel que modifié par les conventions d'adhésion du 9 octobre 1978 et du 25 octobre 1982 – ces modifications étant applicables au cas d'espèce puisque le litige a été introduit par citation du 30 janvier 1992 – « si les parties dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d'un Etat contractant, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat sont seuls compétents. Cette convention attributive de juridiction doit être conclue soit par écrit, soit verbalement avec confirmation écrite, soit, dans le commerce international, en une forme admise par les usages dans ce domaine et que les parties connaissent ou sont censées connaître. » ;
Attendu qu'aucun des deux documents pré-décrits (du 24 décembre 1990 et du 22 janvier 1991) ne remplit les conditions prescrites par cette disposition ;
Qu'en effet, en ce qui concerne le bon de commande du 24 décembre 1990, les conditions générales de la S.A. SOCOBEMA n'ont pu être portées à la connaissance des défendeurs au principal puisqu'elles ne se trouvaient pas au verso de la copie qui leur a été remise ; qu'il n'y a dès lors pas pu y avoir convention, sous une des trois formes susdites, entre les parties sur la clause attributive de juridiction y contenue ;
Que le bon de commande du 22 janvier 1991 n'a pas été signé par la S.A. SOCOBEMA ;
Que la clause attributive de juridiction insérée dans les conditions générales se trouvant au verso de ce document (art. 5) n'est valable, selon l’art. 17, que si elle répond à l’une des trois formes reprises dans cette disposition ;
a) Attendu que, s'agissant de la forme écrite, la Cour de Justice a précisé que si la clause attributive de juridiction a été insérée dans un document précontractuel, telle une offre de vente (en l’espèce, un bon de commande), il faut que, « par un renvoi exprès et donc susceptible d'être contrôlé par une partie appliquant une diligence normale, le contrat se réfère à une lettre d'offre antérieure qui, à son tour, renvoie à des conditions générales d'une des parties comportant une clause attributive de juridiction » (arrêt « COLZANI », C.J.C.E., 14 décembre 1976, Estasis Salotti di Colzani c/ Rüwa, aff. 24/76, Rec. 1976, p.1831, attendus 9 à 12, cité par M. EKELMANS, observations sous Comm. Bruxelles, 13 avril 1989, R.D.C. 1991, pages 433 et suivantes) ;
Que tel n'est pas le cas en l’espèce, aucun contrat, signé des parties à la présente cause et contenant le renvoi exprès susdécrit n'étant produit ;
b) Que la forme verbale confirmée par écrit, de même que la forme admise par les usages dans le commerce international nécessitent toutes deux qu'au moins un accord verbal sur l’incorporation dans le contrat de la clause attributive de juridiction soit établi ; qu'il pourra l’être – pour la troisième forme, moins exigeante que la deuxième – lorsqu'il existe des rapports commerciaux courants entre les parties ;
Que le cas litigieux ne rentre pas non plus dans ces hypothèses, aucun accord verbal de cette sorte n'étant prouvé et les parties n'ayant jamais été précédemment en relations d'affaires ;
Attendu qu'au vu de ce qui précède, l’art. 17 de la Convention de Bruxelles ne peut trouver à s'appliquer en l’occurrence ;
Attendu qu'à défaut d'une clause attributive de juridiction valable, il échet d'appliquer l’art. 5,1 de la Convention de Bruxelles, aux termes duquel, le défendeur peut être attrait, « en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée » ;
Attendu que pour déterminer le lieu d'exécution de l’obligation en litige, il faut rechercher la loi applicable à cette obligation ;
Attendu qu'il s'agit, en l’espèce, d'un contrat de vente internationale d'un objet mobilier corporel, à savoir un bateau ;
Que la vente de bateaux est exclue du champ d'application de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels, par son art. 1er ;
Que la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles est entrée en vigueur en Belgique le 1er avril 1991 mais ne s'applique qu'aux contrats conclus depuis cette date ; qu'elle n'est donc pas applicable au cas d'espèce, le premier bon de commande étant intervenu le 24 décembre 1990 et le second le 22 janvier 1991 ;
Que, cependant, la loi belge du 14 juillet 1987, portant approbation de la Convention de Rome et prévoyant l’application immédiate de certaines de ses dispositions conventionnelles, recouvre le contrat litigieux puisqu'elle vise les contrats conclus à partir du 1er janvier 1988 ;
Que nonobstant le fait qu'il s'agisse, en l’espèce, d'un contrat conclu avec un consommateur (les défendeurs au principal), l’art. 5 de la loi du 14 juillet 1987 ne peut trouver à s'appliquer ; qu'il n'est en effet pas établi que la situation contractuelle en cause remplisse une des trois conditions énumérées au para. 2 de cet art. 5 ;
Attendu qu'aux termes de l’art. 4 de cette loi, « le contrat est régi par les lois du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits » ; que le para. 2 de l’art. 4 présume que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une personne morale, son administration centrale ;
Attendu que, lorsque le contrat est bilatéral, chacune des parties assume une obligation essentielle dont l’une consiste normalement en un paiement en argent ; que ce dernier n'est donc pas caractéristique du contrat ; que c'est l’autre prestation, celle pour laquelle le paiement est dû, qui constitue le centre de gravité : le transfert de propriété, la livraison de l’objet mobilier corporel, ... ; qu'en matière de vente, c'est la prestation du vendeur qui est caractéristique (C. JASSOGNE, Traité Pratique de droit commercial, tome I, n° 369, p. 286) ;
Qu'en conséquence, la loi applicable au contrat litigieux est celle du pays où la S.A. SOCOBEMA a son administration centrale, c'est-à-dire la Belgique ;
Attendu que c'est dès lors la loi belge qui va permettre de déterminer le lieu d'exécution de l’obligation litigieuse et, en conséquence, le tribunal territorialement compétent ;
Attendu que l’obligation en litige – à ne pas confondre avec la prestation caractéristique qui, on l’a vu, est celle du vendeur – est une obligation de paiement ;
Attendu qu'en droit belge, le principe est la généralité des dettes, à moins qu'il n'existe une convention dérogatoire à celui-ci (art. 1247 du code judiciaire) ;
Attendu qu'aucune convention écrite n'est produite par les parties ; que, cependant, les défendeurs au principal ont versé des sommes d'argent à la S.A. SOCOBEMA, par virements bancaires (voir pièces 8 du dossier de la S.A. SOCOBEMA : 560.000 FB et 1.215.000 FB) ;
Que ces virements ont été reçus par la banque de la S.A. SOCOBEMA située dans le ressort des tribunaux de Liège ;
Que les défendeurs au principal ont ainsi exécuté une convention tacite dérogatoire au principe de quérabilité des dettes ;
Que leurs dettes sont, en conséquence, devenues portables ;
Que les tribunaux de Liège sont dès lors compétents territorialement ;
3.2.3. La compétence matérielle.
Attendu qu'il n'est pas contesté – ni contestable – que les défendeurs au principal ne sont pas commerçants ;
Que le défendeur devant avoir la qualité de commerçant pour que le Tribunal de céans soit matériellement compétent (art. 573, dernier alinéa du code judiciaire), celui-ci doit, en l’espèce, se déclarer incompétent ;
Qu'il y a dès lors lieu de renvoyer la cause devant le Tribunal de première Instance de Liège ;
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant contradictoirement, écartant provisoirement comme non fondées toutes conclusions autres, plus amples ou contraires,
Dit les actions principale et reconventionnelle recevables ;
Se déclare compétent ratione loci ;
Se déclare incompétent ratione materiae ;
Renvoie la cause devant le Tribunal de première Instance de Liège ;