I. Objet de la procédure
La demanderesse a formé opposition contre une décision d'exequatur prononcée le 7 août 1991 en chambre du conseil de la chambre des vacations du tribunal de première instance de Liège.
Par cette ordonnance, le tribunal déclarait exécutoire en Belgique un jugement rendu le 23 janvier 1991 par le tribunal d'arrondissement de Middelburg (Pays-Bas), condamnant par défaut la S.P.R.L. R au paiement de 166.372,97 florins, majorés d'intérêts.
II. La recevabilité
Le défendeur sur opposition conclut à l'inexistence de l'acte d'opposition, l'exploit lui ayant été signifié aux Pays-Bas et non au domicile élu mentionné tant dans la requête en exequatur que dans l'exploit de signification de l'ordonnance rendue.
L’opposant rétorque:
– que l'exploit fut signifié conformément au protocole annexé à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968;
– que si nullité il y avait, ce qu'il conteste, celle-ci n'aurait pu causer aucun grief au défendeur. Il faut cependant observer ce qui suit :
1. L' article IV du protocole annexé à la Convention de Bruxelles stipule que « les actes judiciaires et extrajudiciaires dressés sur le territoire d'un Etat contractant et qui doivent être notifiés à des personnes se trouvant sur le territoire d'un autre Etat contractant, sont transmis selon les modes prévus par les conventions ou accords conclus entre les Etats contractants ».
Par ailleurs, l'article 33 de la Convention stipule que la requête en exequatur sera déposée selon les modalités déterminées par la loi de l'Etat requis et impose au requérant de faire élection de domicile dans le ressort de la juridiction saisie.
L'article 40 du code judiciaire précise que l'exploit est signifié à l'étranger, selon certaines modalités, à ceux qui n'ont en Belgique ni domicile ni résidence ni domicile élu connus. L'alinéa 4 précise que la signification à l'étranger est non avenue si le requérant avait connaissance de l'élection de domicile.
On s'accorde par ailleurs pour dire que le respect de l'élection de domicile est obligatoire (voy. Cass.. 10 décembre 1971. Pas., 1972,356: Cass.. 15 mars 1988. R.W., 1989-1990, p. 643).
Dès lors, il faut admettre que l'exploit ne devait pas être signifié à l'étranger et que le protocole annexé à la Convention de Bruxelles n'était pas applicable.
2. Il reste à déterminer la sanction attachée à l'irrégularité.
Le texte de l'article 40 indique que la signification est « non avenue ».
Cette formulation évoque davantage l'inexistence que la nullité. L'acte de procédure nul est un acte « avenu » mais portant un vice le rendant, dans certaines conditions, annulable.
On peut toutefois penser qu'en utilisant les termes « non avenu », le législateur a davantage songé à l'effet de la nullité (« nul et non avenu ») qu'à la nature même de la sanction.
Les travaux préparatoires font état de la nullité de la signification (rapport DE BAECK, in Code judiciaire et son annexe, Bruylant, p. 818) et un régime de nullité correspond d'ailleurs davantage à l'esprit de la réforme de 1967 qu'un régime d'inexistence.
Les auteurs parlent également de nullité (voy. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, n° 231: GUTT et LINSMEAU, « Examen de jurisprudence (1971-1978) – Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 1980, p. 417 et suivantes, n° 21).
La Cour de cassation, lorsqu'elle ne reproduit pas la terminologie de l'article 40, fait aussi état de la nullité de la signification (par exemple Cass. 10 décembre 1971, déjà cité).
Dès lors. les articles 861 et suivants du code judiciaire seraient applicables.
Dans un arrêt du 15 novembre 1991, la Cour de cassation précisait cependant « … que la défenderesse connaissait la résidence en Belgique du demandeur ; Que, partant, le jugement n'a pu décider, sans violer ladite disposition légale, que la signification ne peut être déclarée non avenue, par le seul motif que le demandeur doit prouver que ses intérêts avaient été lésés, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce... » (Cass., 15 novembre 1991, Bull. cass., 1992, p. 203).
La Cour, dans cet arrêt, ne s'explique pas davantage. Toutefois, le sommaire précédant la reproduction de cet arrêt est très intéressant puisqu'il fait expressément référence, quant à lui, aux articles 861 et 862 du code judiciaire.
Pour l'éminent rédacteur de ce sommaire, l'article 40, alinéa 4, du code judiciaire instaurerait donc bien un régime de nullité.
Pourquoi la Cour de cassation n'a-t-elle jamais alors fait application de l'article 861 du code judiciaire?
Peut-être en raison d'une ancienne interprétation de l'article 862, paragraphe premier, 9°, du code qui appliquait un régime identique à l'absence de mention du mode de signification et à l'hypothèse de la détermination erronée du « lieu fixé par la loi ».
Or, l'article 862, 9°, ne vise que le cas où la vérification du mode de signification s'avère impossible à défaut de mention à ce sujet dans l'exploit.
L'article 862, paragraphe premier, 9°, n'est pas applicable ici et la citation ne peut être considérée comme nulle.
III. Le fondement
Le demandeur sur opposition invoque la violation de l'article 27, 2°, de la Convention de Bruxelles.
Il est exact que la citation originaire était lancée pour le 16 mai 1990 et que l'exploit est parvenu au cité le 29 mai 1990 soit treize jours après la date de l'audience.
Toutefois, le jugement n' a été prononcé que le 23 janvier 1991, soit huit mois après la réception de l'exploit par l'opposant.
Celui-ci n'explique pas en quoi, dès lors, il n' aurait pas été cité en « temps utile pour qu'il puisse se défendre ». I1 ne fait état d'aucune démarche effectuée en vain pour connaître le sort réservé à son affaire et pour faire valoir ses droits. En réservant à statuer durant huit mois, la juridiction hollandaise lui en donnait l'occasion, se conformant à la Convention de La Haye du 15 novembre 1965.
On relèvera aussi que le jugement fut régulièrement signifié, le pli étant remis le 22 février 1991 entre les mains de monsieur R, représentant la S.P.R.L. Celle-ci n'a cependant pas cru utile d'exercer une voie de recours contre cette décision.
L'opposant stigmatise enfin le manque de loyauté de son adversaire : les parties avaient conclu plusieurs affaires et l'actuel défendeur aurait abusivement diligenté une procédure aux Pays-Bas alors qu'une autre procédure était introduite en Belgique, procédure susceptible d'avoir une incidence sur la détermination des droits respectifs des parties dans le cadre de leur courant d'affaires.
La Convention de Bruxelles précise que l'exequatur ne peut être refusée que pour les motifs qu'elle énonce aux articles 27 et 28.
Il n'est pas contesté que les procédures belge et hollandaise concernent des contrats différents, entre les mêmes parties, de sorte que même s'il eût été opportun de les juger ensemble, les décisions hollandaises et belges ne sont nullement inconciliables. En outre. il n'existe encore aucune décision rendue, au fond, en Belgique. Une mesure d'expertise a été ordonnée par le juge des référés de Liège le 14 mars 1990 et une procédure au fond n'a été introduite que le 28 novembre 1991. Elle n'a pas été diligentée, le demandeur attendant le dépôt du rapport d'expertise.
Les conditions prévues aux articles 27 et 28 de la Convention ne sont dès lors pas rencontrées.
Par ces motifs,
(…)
Dit l'opposition recevable mais non fondée.