Le 11 mai 2006, la SA Grontimmo a été citée en faillite devant le Tribunal de Commerce de Bruxelles par l'association des copropriétaires du quartier des arts (pièce 1 dossier demandeurs q.q.).
Le 12 mai 2006, un des actionnaires de la SA Grontimmo, la NV Grontmij Real Estate Belgium, a vendu les 780 actions dont elle disposait dans le capital de la société à un autre actionnaire, la SA Immobilière Du Quartier Des Arts, qui possédait déjà 782 actions de la société (pièce 6 dossier demandeurs q.q.). Suite à cette opération la SA Immobilière Du Quartier Des Arts est devenue propriétaire de 100 % des actions de Grontimmo. La SA Immobilière Du Quartier Des Arts a ensuite transmis une action de la société à la NV Francs, société de droit belge établie à Anvers.
Les 22 et 24 mai 2006, deux chèques ont été émis (pièce 13 dossier demandeurs q.q.) au bénéfice de Grontimmo à concurrence d'un montant respectif de 645.000 Euros et 755.000 Euros. Ces chèques auraient été émis par la NV Grontmij Real Estate Belgium et la SA Immobilière Du Quartier Des Arts en paiement partiel de leurs dettes en comptes courants envers la SA Grontimmo (selon les comptes au 31 décembre 2005 – 1.597.800 Euros).
Le 29 mai 2006, l'assemblée générale annuelle de la SA Grontimmo a approuvé les comptes de la société au 31 décembre 2005, lesquels reprenaient la mention des seuls actifs consistant en les créances sur la NV Grontmij Real Estate Belgium et la SA Immobilière Du Quartier Des Arts ;
Lors de cette même assemblée générale, la démission des administrateurs a été acceptée et il leur a été donné décharge.
Le 29 mai 2006 également, la SA Immobilière Du Quartier Des Arts, a conclu avec Kostner Development Inc. une convention de vente des 1.561 actions de Grontimmo. Cette société de droit panaméen avait été constituée peu de temps auparavant, soit en date du 29 mars 2006. Les 1.561 actions ont été vendues pour le prix de 25.000 Euros (pièce 8 dossier demandeurs q.q.);
De nouveaux administrateurs de la SA Grontimmo ont encore été désignés le même jour, étant entendu que tous ces nouveaux administrateurs étaient tous domiciliés en Afrique du Sud (pièce 9 dossier demandeurs q.q.).
Toujours le 29 mai 2006, la SA Grontimmo et la société de droit panaméen Kostner Development Inc., dont le siège social est établi en République du Panama, St East 8, Bella Vista, ont signé un accord par lequel Kostner Development Inc. aurait vendu à Grontimmo une option d'achat pour un montant de 1.400.000 Euros (pièce 8 dossier demandeurs q.q.) ;
Cette option d'achat portait sur les actions de la SA Galia France, société de droit luxembourgeois et de la NV Andicouri, société de droit des Antilles Néerlandaises.
Le 31 mai 2006, un bilan intermédiaire a été rédigé pour la période allant du ler janvier 2006 au 31 mai 2006, dans lequel les créances susmentionnées étaient reprises pour un montant de 14.663,08 Euros et il était par ailleurs fait état de « liquidités » à concurrence d'un montant de 1.400.013,51 Euros (pièce 11 dossier demandeurs q.q.).
A cette même date du 31 mai 2006, et donc 20 jours après la citation en faillite, un premier compte a été ouvert au nom de Grontimmo dans les livres de Dexia Internationale Luxembourg (IBAN LU73 0029 1841 3253 5700) (pièce 12 dossier demandeurs q.q.).
Selon la pièce n° 7 de la défenderesse, un ordre aurait ensuite été envoyé en date du 2 juin 2006 par les nouveaux administrateurs de Grontimmo à la banque, par lequel il lui était demandé (i) d'ouvrir un compte pour encaisser les deux chèques émis respectivement par l'actionnaire et l'ancien actionnaire de la société, et (ii) d'émettre un chèque bancaire Dexia en faveur de Kostner Inc., à charge de Grontimmo, pour un montant de 1.400.000 Euros.
Le 14 juin 2006, les deux chèques susmentionnés pour un montant total de 1.399.900 Euros ont été versés sur le compte (pièce 12 dossier demandeurs q.q.).
Le 22 juin 2006, un deuxième compte a été ouvert au nom de Grontimmo chez Dexia Internationale Luxembourg (IBAN LU73 0029 1841 3259 2900) (pièce 12 dossier demandeurs q.q.) ;
A cette même date, le montant de 1.399.755 Euros a été transféré du premier compte vers le deuxième compte, tous les deux au nom de Grontimmo.
Lors de l'audience du 29 juin 2006 devant le Tribunal de Commerce de Bruxelles dans le cadre de la procédure en faillite, l'existence de ces deux comptes n'a en rien été évoquée, ni d'ailleurs les deux chèques susmentionnés reçus à la fin du mois de mai 2006 pour un montant de 645.000 Euros et 755.000 Euros. C'est seulement lors de la requête en réouverture des débats du 3 juillet 2006 déposée par la société dans le cadre de la procédure de faillite que les chèques en question ont été mentionnés. Les comptes intermédiaires faisaient déjà état du fait que les créances à un an au plus avaient été diminuées et un paiement de Grontmij à Grontimmo avait déjà été évoqué, mais aucune confirmation formelle de ce paiement n'a jamais été donnée par le conseil de Grontimmo lors de l'audience du 29 juin 2006.
Le 30 juin 2006, la décision de l'assemblée générale de nommer des nouveaux administrateurs a été déposée au greffe pour publication (pièce 4 dossier demandeurs q.q.).
En date du 3 juillet 2006, le conseil de la SA Grontimmo a déposé une requête en réouverture des débats dans le cadre de la procédure de faillite. Cette requête faisait état du fait que c'est seulement après l'audience du 29 juin 2006 que Grontimmo a pu prendre connaissance des paiements partiels en compte courant par chèque effectués par l'actionnaire actuel et l'actionnaire précédent de Grontimmo et qu'il a alors été soutenu que Grontimmo disposait de liquidités suffisantes ;
A cette occasion, aucune information n'a été donnée sur la convention de cession d'option conclu avec Kostner Inc., ni sur les transactions qui étaient en cours par l'intermédiaire de comptes ouverts au Luxembourg, alors que ces opérations avaient un impact évident sur la liquidité de la société.
La SA Grontimmo a été déclarée en faillite par le Tribunal de Commerce de Bruxelles le 4 juillet 2006, c'est à cette date que le failli a donc été déssaisi de plein droit de tous ses biens, ce dessaisissement opérant de plein droit à partir de la première heure de cette date.
Le 5 juillet 2006, soit le lendemain de la faillite de la SA Grontimmo, la défenderesse a néanmoins décaissé le chèque n° A026523 sur le compte de la SA Grontimmo n° 291-8413259-29 en faveur de Kostner Development Inc., en paiement du prix de la cession de l'option d'achat dont question ci-avant ;
Ce chèque a été émis le 5 juillet 2006 et a été payé à la même date ;
Les concluants ont mis la défenderesse en demeure par courrier du 21 septembre 2006 de verser le montant précité sur le compte de la faillite de la SA Grontimmo dans la mesure où ce versement a été effectué en violation du déssaisissement des biens du failli et qu'il est donc inopposable à la masse ;
Par une lettre datée du 2 octobre 2006, la défenderesse a tenté de justifier le paiement intervenu en se retranchant derrière l'article 24 du Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2010 relatif aux procédures d'insolvabilité, précisant qu'elle ignorait la faillite de la SA Grontimmo, de telle sorte qu'elle n'aurait pas à procéder au remboursement du montant précité à la faillite ;
Par courrier du 5 octobre 2006, les demandeurs q.q. ont rejeté l'argumentation de la défenderesse ;
Les demandeurs q.q. ont donc mis une nouvelle fois la défenderesse en demeure de verser le montant précité à la masse de la faillite de Grontimmo ;
Toutes les tentatives de récupération amiable sont restées vaines, de telle sorte que les demandeurs q.q. ont dû lancer la présente procédure par citation du 2 août 2010.
DISCUSSION
Il convient tout d'abord de rechercher les principes applicables en la matière.
1. En droit européen
Le Règlement CE 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité s'applique aux procédures d'insolvabilité transfrontalières et est directement applicable dans tout Etat membre et obligatoire dans tous ses éléments ;
L'article 4 du Règlement stipule que la loi applicable à la procédure d'insolvabilité et à ses effets est celle de l'Etat membre sur le territoire duquel la procédure a été ouverte ;
Cette loi détermine, en principe, les conditions d'ouverture, de déroulement et de clôture de la procédure d'insolvabilité entreprise ;
Ce Règlement instaure également le principe de la reconnaissance automatique et immédiate, dans tous les Etats membres, d'une décision relative à une procédure d'insolvabilité rendue par une juridiction d'un autre Etat membre compétente au regard du Règlement (articles 16 et 17 du Règlement) ;
Ce Règlement prévoit également en son article 21 la possibilité pour le « syndic » de la procédure d'insolvabilité de faire publier « le contenu essentiel de la décision ouvrant la procédure d'insolvabilité dans tout autre Etat membre selon les modalités de publication prévues dans cet Etat » ;
Cet article doit être lu et compris en conjonction avec le considérant 29 du Règlement qui énonce que
« Dans l'intérêt des transactions, il convient, à la demande du syndic, de publier dans les autres Etats membres le contenu essentiel de la décision ouvrant la procédure. S'il existe un établissement sur le territoire de l'Etat membre concerné, une publication obligatoire peut être prescrite. » ;
Il est apparu souhaitable au législateur européen qu'une publication dans l'état membre de toutes les parties concernées par la procédure d'insolvabilité puisse être diligentée à la demande du syndic ;
Si le législateur européen n'a pas rendu une telle publication obligatoire, laissant, in fine, au syndic le soin de juger de la nécessité de celle-ci, il a, en contrepartie, légiféré afin de protéger le tiers de bonne foi, en prévoyant à l'article 24 de son Règlement que :
« 1. Celui qui, dans un Etat membre, exécute une obligation au profit du débiteur soumis à une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre, alors qu'il aurait dû le faire au profit du syndic de cette procédure, est libéré s'il ignorait l'ouverture de la procédure ;
2. Celui qui a exécuté cette obligation avant les mesures de publicité prévues à l'article 21 est présumé, jusqu'à preuve contraire, avoir ignoré l'ouverture de la procédure d'insolvabilité; celui qui l'a exécutée après ces mesures de publicité est présumé jusqu'à preuve contraire, avoir eu connaissance de l'ouverture de la procédure » ;
Cet article doit être lu et compris en conjonction avec le considérant 30 du Règlement qui énonce que
« Dans certains cas, une partie des personnes concernées peut ne pas être au courant de l'ouverture de la procédure et agir de bonne foi en contradiction avec les nouvelles circonstances. Afin de protéger ces personnes qui, dans l'ignorance de l'ouverture de la procédure dans un autre Etat membre, exécutent une obligation au profit du débiteur alors qu'elle aurait dû être exécutée au profit du syndic de la procédure dans un autre Etat membre, il convient de prévoir le caractère libératoire de cette exécution ou de ce paiement. » ;
2. En droit belge
La loi belge sur les faillites du 8 août 1997 dispose en son article 4 que tout jugement déclaratif de faillite est exécutoire par provision et sur minute à partir de son prononcé, le jugement déclaratif de faillite prenant effet à 0 h 00 le jour de son prononcé et produisant tous ses effets à partir de cette date ;
L'article 16 de la loi sur les faillites précise pour sa part que « le failli, à compter du jour du jugement déclaratif de la faillite, est dessaisi de plein. droit de l'administration de tous ses biens, même de ceux qui peuvent lui échoir tant qu'il est en état de faillite » ;
Il convient d'appliquer maintenant ces principes au cas d'espèce ;
La Dexia Banque Internationale a, en date du 5 juillet 2006, effectué le décaissement d'un chèque de banque, par elle émis, en faveur de la société Koster Development Inc., conformément à l'ordre écrit reçu de la société en date du 2 juin 2006 ;
Au jour du décaissement, la Dexia Banque Internationale a Luxembourg n'avait aucun moyen de savoir que la société venait d'être déclarée en faillite quelques heures auparavant ;
La défenderesse ne fut avertie de ce jugement déclaratif de faillite qu'en date du 21 septembre 2006, la Curatelle n'ayant pas jugé nécessaire de faire publier un extrait de ce jugement au Mémorial Luxembourgeois, ni même de contacter la Dexia Banque Internationale pour l'avertir du déssaisissement de la société de l'administration de ses biens et, par conséquent, de la fin du mandat entre la défenderesse et la société, découlant, en droit belge, dudit jugement ;
Il ne peut en tout état de cause être légitimement exigé d'un organisme bancaire d'un Etat de l'Union européenne d'interroger journalièrement tous les greffes des Tribunaux de Commerce de l'Union européenne afin de s'assurer que ses clients étrangers ne font pas l'objet d'une procédure d'insolvabilité ;
Le Règlement prévoit précisément à cette fin que le Syndic puisse, dans les cas où il ne lui est pas possible de contacter directement les parties intéressées se trouvant sur le territoire d'un autre Etat membre, faire publier un extrait de ladite décision dans 1'Etat membre de la partie intéressée ;
Les curateurs de la demanderesse n'ont pas procédé à une telle publication alors qu'ils savaient ou auraient dû savoir que la société possédait des avoirs à l'étranger ;
La défenderesse doit donc bénéficier de la présomption du point 2 de l'article 24 du Règlement ;
L'interprétation restrictive telle que l'appelle de ses voeux la demanderesse, du prescrit de l'article 24 du Règlement et en particulier des vocables « au profit du débiteur » – lesquels ne viseraient que des paiements effectués directement dans les mains du débiteur failli – aurait pour conséquence de vider de toute substance ledit article et de créer une discrimination entre le tiers de bonne foi qui s'exécuterait directement entre les mains du débiteur failli, et celui qui s'exécuterait entre les mains du créancier du débiteur failli à la demande de celui-ci ;
La défenderesse ne peut croire qu'une telle interprétation soit fidèle aux intentions du législateur européen, puisqu'elle reviendrait, de facto, à exiger des banques européennes qu'elles suspendent tout paiement, ordonné par ses clients étrangers (issus d'autres Etats membres), jusqu'à l'obtention, auprès du greffe ou de l'autorité compétente, d'une « attestation de non faillite », laquelle ne serait, de plus, valable que pour le jour même de sa date d'émission (et donc très probablement sans valeur probante au moment où elle serait reçue par l'organisme bancaire l'ayant sollicité...) ;
Il apparaît évident qu'une telle interprétation entraînerait, de surcroît, une insécurité juridique grevant les échanges commerciaux et financiers entre Etats membres, manifestement contraire aux principes et intérêts européens fondamentaux ;
Une telle question intéresse indiscutablement tous les Etats membres ainsi que les acteurs formant le tissu économique et financier de l'union européenne et mérite en conséquence d'être vidée définitivement ;
Il incombe dès lors de saisir la Cour de Justice de l'Union Européenne et de lui poser une question préjudicielle concernant l'interprétation qui doit être faite de l'article 24 du Règlement CE 1346/200 du 29 mai 2000 ;
La Cour de Justice de l'Union Européenne doit en particulier être interrogée sur l'interprétation qui doit être faite des vocables « au profit du débiteur » afin de savoir si ceux-ci doivent être interprétés comme incluant un paiement fait à un créancier du débiteur failli à la demande de celui-ci lorsque la partie ayant exécuté cette obligation de paiement pour compte et profit du débiteur failli, l'a fait dans l'ignorance de l'existence d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans le chef du débiteur dans un autre Etat membre.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal, Statuant contradictoirement,
Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;
Avant dire droit, quant au fondement de la demande,
Conformément à l'article 234 du Traité CE pose à la Cour de Justice de l'Union Européenne la question préjudicielle suivante: qu'elle est l'interprétation qui doit être faite des vocables « obligation au profit du débiteur » contenus dans l'article 24 du Règlement CE 1346/2000 du 29 mai 2000 ;
Ces vocables doivent-ils être interprétés comme incluant un paiement fait à un créancier du débiteur failli à la demande de celui-ci, lorsque la partie ayant exécuté cette obligation de paiement pour compte et profit du débiteur failli, l'a fait dans l'ignorance de l'existence d'une procédure d'insolvabilité et ouverte dans le chef du débiteur dans un autre état membre?
Réserve à statuer pour le surplus.