I. Cadre du litige et de la procédure
La SAHK, qui est intervenue en qualité de sous-traitante de la s.a. De Graeve, pour un chantier relatif à la remise en état des portes de l’écluse d’Yvoz- Ramet a confié à la société de droit néerlandais BTS, précédemment BZ des opérations de remorquage.
Celle-ci devait notamment remorquer un ponton sur lequel une grue était installée vers l’écluse. Au cours de ce trajet, qui a lieu le 13 juin 1991, la flèche de la grue a heurté et endommagé les lignes à haute tension, appartenant à la s.a. Electrabel.
La s.a. Electrabel a poursuivi l’indemnisation de son préjudice tant auprès de la SAHK que de BZ.
BZ a introduit une action en garantie contre la SAHK.
Par le jugement attaqué du 4 mars 1994, le tribunal de Liège a retenu la seule responsabilité de la SAHK et l’a condamnée à payer à la s.a. Electrabel 1.786.593 f.b à augmenter des intérêts au taux légal depuis le 13 juin 1991 et des dépens.
Il a également délaissé à BZ les frais de sa citation en garantie après avoir précisé dans sa motivation que cette demande était sans objet dès lors que sa responsabilité n’était pas engagée.
Statuant sur l’appel principal de la SAHK et l’appel incident de la s.a. Electrabel, la cour d’appel de Liège a, par l’arrêt du 17 décembre 1996, réformé la décision entreprise en disant que BZ et la SAHK étaient toutes deux responsables des dommages subis par la s.a. Electrabel et les a condamnées, in solidum, au paiement d’une somme provisionnelle de 500.000 f.b. Elle a désigné un expert judiciaire avant de statuer sur le surplus du dommage.
Elle a, par ailleurs, débouté BZ, de son appel incident qui visait à entendre condamner la SAHK à la garantir de toutes condamnations dans l’hypothèse où elle serait condamnée à l’égard de la s.a. Electrabel.
BZ a introduit un pourvoi en cassation contre cette décision.
Par son arrêt du 29 mai 1998, la Cour de Cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Liège du 17 décembre 1996 en tant qu’il a débouté BZ de son action en garantie contre la SAHK et renvoyé la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Bruxelles.
Par l’arrêt du 13 mai 2003, la cour d’appel de Liège a statué sur le dommage définitif de la s.a. Electrabel en condamnant in solidum BZ et la SAHK à lui payer 43.941,16 EUR, augmentés des intérêts compensatoires aux différents taux légaux depuis le 13 juin 1991 jusqu’au jour de l’arrêt, ainsi que les intérêts moratoires au taux légal sur ces sommes depuis le jour de l’arrêt jusqu’au jour du complet paiement ainsi que les dépens des deux instances, liquidés à 4.491,81 EUR.
Devant la présente cour qui n’est saisie que de l’action en garantie, BZ postule la condamnation de la SAHK à lui payer les sommes qu’elle a versées à la s.a. Electrabel en exécution des deux arrêts de la cour d’appel de Liège et forme une demande de capitalisation des intérêts.
Elle demande également d’ordonner à la SAHK de produire l’original des six factures qu’elle a reçues et sollicite, à titre subsidiaire, l’autorisation de prouver par toutes voies de droit, témoignage compris, que ses conditions générales lui sont opposables.
La SAHK conclut au non fondement de la demande et sollicite la condamnation de BZ à lui payer les dépens de première instance ainsi que ceux d’appel.
II. Discussion
Loi applicable
BZ estime que la loi néerlandaise est applicable sur la base des arts. 4.2 et 8, al. 1 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles tandis que la SAHK considère que leurs relations contractuelles étaient régies par la loi belge en vertu des arts. 4.1 et 4.5 de ladite convention.
En l’absence de choix des parties, il convient de déterminer la loi applicable par la recherche du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits (art. 4.1 de la Convention).
Il est présumé que le lien le plus étroit est celui qui s’établit entre le contrat et le pays où « la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle, ou s’il s’agit d’une société, association ou personne morale, son administration centrale » (art. 4.2 de la Convention).
Cette présomption peut cependant être écartée au moyen de la clause d’exception de l’art. 4.5 de la Convention.
Selon ces dispositions, le juge doit d’abord procéder à la détermination de la loi applicable sur la base de la présomption édictée à l’art. 4, para. 2, laquelle répond à l’exigence générale de prévisibilité de la loi et donc de sécurité juridique dans les relations contractuelles.
Toutefois, lorsqu’il ressort clairement de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un pays autre que celui qui est déterminé sur la base du critère prévu audit art. 4, para. 2, il appartient au juge d’écarter ce critère et d’appliquer la loi du pays avec lequel ledit contrat est le plus étroitement lié (Cour de Justice de l’Union Européenne, CJUE, 6 octobre 2009, R.D.C., 2010, p. 860).
En l’espèce, il est incontestable que BZ était le débiteur de la prestation caractéristique et avait, au moment de la conclusion du contrat, son administration centrale aux Pays-Bas.
Le lieu dans lequel BZ avait son administration centrale constitue néanmoins le seul lien avec le contrat.
En effet, les opérations de remorquage ont été exécutées exclusivement en Belgique et c’est dans ce pays que le dommage s’est produit. La Belgique est également le lieu de la résidence habituelle de la SAHK.
Dans la mesure où il résulte clairement des circonstances de la cause que le contrat présente des liens beaucoup plus étroits avec la Belgique qu’avec les Pays-Bas, il convient de considérer que les rapports contractuels des parties sont régis par la loi belge.
La validité des conditions générales doit également être examinée en fonction de la loi belge en vertu de l’art. 4.5 de la Convention dès lors que l’art. 8.1 dispose que « l’existence et la validité du contrat ou d’une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait applicable en vertu de la présente convention si le contrat ou la disposition étaient valable ».
Opposabilités des conditions générales de BZ
BZ soutient que la SAHK aurait eu connaissance de ses conditions générales et les auraient acceptées.
Elle ne produit toutefois pas le contrat conclu entre les parties, ni l’offre qui l’aurait précédée, ni un quelconque échange de correspondance mais uniquement un exemplaire vierge de son papier à lettre – qui serait, selon elle, identique à celui servant aux factures – ainsi que la copie du recto de six factures adressées à la SAHK entre le 28 janvier et le 27 mars 1991.
L’exemplaire du papier à lettre déposé comporte au recto la mention « Pour les conditions voyez verso ».
Les conditions générales qui figurent au verso renvoient, selon le type de prestation, à différentes conditions générales déposées à des greffes de tribunaux néerlandais.
En ce qui concerne le remorquage d’objet flottant, il est fait référence aux « Algemene Sleepconditien » (conditions générales de remorquage) déposées au greffe du tribunal d’arrondissement de Rotterdam du 5 mars 1946.
Ces « Algemene Sleepconditien » contiennent la clause exonératoire de responsabilité qu’elle invoque pour solliciter la condamnation de la SAHK à la garantir des condamnations portées à sa charge par les arrêts des 17 décembre 1996 et 13 mai 2003 de la cour d’appel de Liège.
Même si le marché concerné est restreint et si les parties étaient en relations d’affaires, il n’est pas démontré que leurs rapports contractuels étaient soumis aux « Algemene Sleepconditien » (conditions générales de remorquages) de BZ.
Elle ne prouve pas que la SAHK en avait connaissance, ni qu’elle les aurait acceptées en l’absence de protestations à îa réception des factures.
Aucune des six factures déposées ne fait référence au recto aux conditions générales de BZ et la circonstance éventuelle qu’elles figureraient au verso est insuffisante dès lors qu’elles ne contiennent pas la clause exonératoire dont elle se prévaut mais renvoie aux « Algemene Sleepconditien » (conditions générales de remorquage) déposées au greffe du tribunal d’arrondissement de Rotterdam du 5 mars 1946.
Il ne peut être demandé à un commerçant étranger d’effectuer une démarche au greffe du tribunal d’arrondissement de Rotterdam pour connaître les conditions générales de son cocontractant. Il est dès lors inutile d’ordonner à la SAHK de produire l’original des factures.
Il n’y a pas davantage lieu d’autoriser la preuve par témoins sollicitées par BZ.
Non seulement, des témoignages recueillis une vingtaine d’années après les faits ne présentent aucune garantie de fiabilité mats de plus, le fait côté à le supposer établi ne suffirait pas à lui seul à démontrer l’opposabilité des »Algemene Sleepconditien » (conditions générales de remorquage), à défaut d’être corroborés par d’autres éléments du dossier.
La demande en garantie de BZ doit dès lors être déclarée non fondée.
Dépens
L’appel de la SAHK visant à obtenir la condamnation de BZ à lui payer les dépens de première instance est fondé.
Il convient également de condamner BZ à prendre en charge les dépens des deux procédures d’appel, conformément à la liquidation opérée par la SAHK,
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant contradictoirement,
Vu les arts. 24, 37 et 41 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire,
Dit l’appel de la SAHK fondé dans la mesure ci-après ; Dit l’appel incident de BZ non fondé ;
En conséquence, confirme le jugement entrepris sous les seules émendations suivantes :
Déclare l’action en garantie non fondée et pas sans objet ;