-
Résumé de la décision Une partie belge et une partie française étaient en litige au sujet de la reproduction d’un disque. La partie française demanda devant le Tribunal civil de Bruxelles (BE) l’interdiction de la vente du disque litigieux sur le territoire belge et la condamnation de la partie belge au paiement d’une certaine somme à titre de dommages et intérêts. La partie belge souleva l’exception de litispendance conformément à l’art. 21 de la Convention de Bruxelles, devant les juridictions françaises ayant été réclamée l’interdiction de la vente du même disque sur le territoire français.
Le Tribunal civil de Bruxelles (BE) déclare l’action recevable et fondée. Il estime qu’en l’espèce il n’y a pas de litispendance au sens de l’art. 21 de la Convention de Bruxelles. Même si les parties et la cause des deux demandes étaient identiques, l’objet ne l’était pas. En effet, la demande portée devant le juge français et visant à obtenir des dommages et intérêts ainsi que l’interdiction de la vente d’un disque sur le territoire français n’est pas la même que celle portée devant le juge belge et visant à l’allocation de dommages et intérêts ainsi que l’interdiction de la vente d’un disque sur le territoire belge. Les deux causes ont un objet différent, à savoir une somme d’argent dans chaque pays déterminé. Le juge français ne pouvant pas statuer en dehors des limites de son territoire, par conséquent, n’existent ainsi aucune obligation à dessaisissement ni à surséance au sens de l’art. 21 de la Convention de Bruxelles.
§1. La procédure
Par jugement du 26 avril 1991, le tribunal a rouvert les débats pour permettre aux parties de conclure sur la litispendance internationale (art. 21 Convention C.E.E.) résultant de l’introduction d'une procédure antérieure devant les juridictions françaises.
Par voie de conclusions
– La partie … conclut au rejet de l’exception de litispendance internationale, et demande d'interdire au sieur … la reproduction du disque « L'Echo … ». Elle demande la condamnation du sieur … au paiement de la somme de 1.000.000 FF à titre de dommages et intérêts.
– La partie demande verbalement de surseoir à statuer, la compétence des juridictions françaises étant elle-même contestée.
§2. La litispendance internationale et la communication au ministère public :
Aux termes de l’art. 21 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'Etats contractants différents, la juridiction saisie en second lieu doit, même d'office, se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi. La juridiction qui devrait se dessaisir peut surseoir à statuer si la compétence de l’autre juridiction est contestée ».
La cause de la demande est le fait juridique qui sert de fondement à celle- ci ; l’objet de la demande est ce qui est demandé, ce qui doit figurer dans le dispositif du jugement. En l’espèce, il y a identité de parties et de cause entre les actions déférées au juge français et au juge belge. Par contre, il n'y a pas identité d'objet : devant le juge français, il est demandé la somme de 750.000 FF ainsi que l’interdiction de la vente du disque litigieux sur le territoire français ; devant le juge belge il est demandé la somme de 1.000.000 FB, ainsi que l’interdiction de la vente du disque litigieux sur le territoire belge. Les deux causes ont un objet différent, à savoir une somme d'argent dans chaque pays déterminé, le juge français ne pouvant pas statuer en dehors des limites de son territoire. Voir DROZ (Georges), Compétence judiciaire et effets des jugements dans le Marché commun (Etude de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968), Paris, 1972, n° 304 à 314.
Attendu qu'il n'y a lieu ni à dessaisissement ni à surséance, mais que s'agissant d'un délit de presse, la cause devait être communiqué au ministère public (MARCHAL et JASPAR, t 1, n° 1289) ;
§3. Les faits :
Ainsi qu'il a été vu au jugement du 26 avril 1991, le sieur … est journaliste à la télévision française et présentateur de l’émission « Ciel mon mardi » qui est, paraît-il assez dérangeante pour ne pas dire acide. A partir du mois de mai 1989, les disquaires du Nord de la France et de la Belgique ont commercialisé un disque 45 tours dans une pochette jaune fluorescente portant le titre « L'Echo … » composé et produit par Bernard … pour Dr. SMILEY Records à Bruxelles.
Ce disque a été entendu à l’audience du 12 'avril 1991 : une musique enregistrée est illustrée par un texte à plusieurs voix parmi lesquelles on distingue celle de …. Un habile montage a permis de faire prononcer la voix de M. … les paroles suivantes : « Je suis nazi, je crois ; je suis un emmerdeur, je suis nazi-zi- zi, car pi-pi, et puis à ma gauche ils se grattent les couilles » ; puis enfin, « ecstasy, nous avons voulu tester à son aise, c'est tellement fort ; bon, inutile de vous dire que je suis un emmerdeur ».
Le texte s'achève sur « si cela vous donne le sourire, nous, ça nous le donne un tout petit peu moins ».
§4. En droit :
Le tribunal se réfère aux développements juridiques contenus dans le jugement du 26 avril 1991 (rép. n° 247/9/91).
Les faits sont constitutifs du délit d'injure sanctionné par l’art. 448 du Code pénal belge qui ne prévoit pas l’excuse de provocation. Par contre sur le plan civil la faute de la victime ou la théorie du risque créé peut entraîner un partage de responsabilité. Enfin, le tribunal considère que la contrefaçon est établie.
Le tribunal estime le dommage moral à la somme de 100.000 FB qui devra être divisée par deux.
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant
contradictoirement et en prosécution de cause ;
Entendu Madame PENSIS, substitut du procureur du Roi, en son avis oral ;
Dit l’action recevable et fondée dans la mesure fixée ci-après ;
1) Interdit au défendeur la diffusion, la vente, la représentation publique et la reproduction du disque « L'Echo … » dont la couverture représente trois femmes noires occupées à danser, sous peine d'une astreinte de 25.000 FB par infraction à cette interdiction ;
2) Condamne le défendeur à signifier à ses distributeurs directs ainsi qu'aux radios susceptibles de programmer le disque litigieux, le présent jugement à peine d'une astreinte de 25.000 FB par infraction à cette injonction ;
3) Condamne le défendeur à payer au demandeur la somme de 50.000 FB à titre de dommages et intérêts, somme majorée des intérêts judiciaires ;