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Résumé de la décision Un travailleur belge était lié par un contrat de travail à une société de droit français, pour laquelle il exerçait la fonction de responsable de marché pour le secteur Belgique-Luxembourg. Le contrat de travail contenait une clause attributive de juridiction en faveur des tribunaux de Paris (FR). Suite à un contentieux relatif au contrat, le travailleur saisit le Tribunal du travail de Bruxelles (BE). La société française, sur la base de la clause attributive de compétence, contesta la compétence du juge saisi.
Le Tribunal du travail de Bruxelles (BE) se déclare incompétent. Il considère que le litige qui lui a été soumis ne relève pas exclusivement du droit belge, mais de plusieurs ordres juridiques déterminés, et qu’il doit donc être résolu par application des règles de droit international privé, notamment de la Convention de Bruxelles. Aux termes de son art. 17, si les parties, dont l'une a son domicile sur le territoire d'un État contractant, ont convenu qu'un tribunal ou que les tribunaux d'un État contractant sont compétents pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, le tribunal ou les tribunaux de cet Etat sont alors seuls compétents. Chacune des parties contractantes étant domiciliée dans un des États contractants (France et Belgique), elles sont donc autorisées à attribuer compétence aux tribunaux de l'un ou l'autre de ces États. Dès lors, par application de l'art. 17 de la Convention de Bruxelles, les tribunaux de Paris sont valablement compétents.
II. LES FAITS.
Monsieur A est entré au service de la S.A. B de droit français, le 1er août 1985, en qualité d'employé chargé de développer la vente des produits de la société Beka France.
Par lettre recommandée du 3 janvier 1989, la société a formulé à l’égard du travailleur cinq ordres de griefs concernant des retards de paiement, une absence de régularité dans la remise des rapports d'activité, des plaintes des clients, des notes de frais trop élevées.
Le 9 janvier 1989, monsieur A a été convoqué à Paris par la société pour s'expliquer sur ces griefs.
Après un échange de courrier, la société a mis fin au contrat de travail pour motifs graves le 12 janvier 1989.
III. DISCUSSION.
La première question que le Tribunal doit résoudre est celle de sa compétence. Le contrat de travail conclu entre parties contient, en effet, une clause attributive de compétence aux tribunaux de Paris (art. 9).
A. Moyens des parties.
Monsieur A plaide que les tribunaux belges sont compétents pour deux motifs :
– 1) le droit belge est applicable aux relations de travail : l’ensemble des facteurs de rattachement indique que les parties ont entendu faire régir leurs relations de travail par la loi belge (lieu de signature, nationalité des parties, lieu d'exécution, rémunération...).
– 2) la clause attributive de compétence est rédigée au futur, elle révèle l’intention commune des parties de « subordonner la compétence des juridictions françaises à un accord à donner au moment de la survenance éventuelle d'un litige » (conclusions p.5). En conséquence, et par application des arts. 630 et 627,9 du Code judiciaire, les tribunaux de Bruxelles sont compétents.
2. Selon la société, la clause attributive de compétence aux tribunaux de Paris est applicable en vertu de la convention de Bruxelles.
B. Examen des moyens.
1. Le Tribunal relève que :
– le litige oppose une société de droit français, établie à Paris, et un travailleur belge, domicilié à Lasnes ;
– le demandeur exerçait la fonction de responsable de marché pour le secteur Belgique-Luxembourg.
Le litige soumis au Tribunal ne relève donc pas exclusivement du droit belge, mais de plusieurs ordres juridiques déterminés. Il doit donc être résolu par application des règles de droit international privé, notamment de la convention de Bruxelles qui a prééminence sur le droit belge. Dans cette hypothèse, et par application des règles concernant la hiérarchie des sources, il n'y a pas lieu d'appliquer les dispositions des arts. 627,9° du Code judiciaire, mais celles découlant de sources supérieures (Voyez P. Blondiau et consorts, Chronique de jurisprudence, La rupture du contrat de travail, J.T.T. 1989, p.204 N°3, C.T. Anvers 4 décembre 1986, J.T.T. 1987, p.246 ; C.J. Estasis Salotti, Galeries Segoura AFF. 24 et 25/76, REC. 1976, p.1831 et 1835 ; T.T. Bxl, 22 juin 1987, J.J.T.B., 245).
2. L'art. 17 de la convention du 27 septembre 1968 conclue entre les Etats membres de la C.E.E. concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose que : « si les parties, dont l’une a son domicile sur le territoire d'un état contractant sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un état contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou ces tribunaux de cet état sont seuls compétents... ».
Cet art. est applicable au présent litige puisque chacune des parties contractantes (française et belge) est domiciliée sur un des états contractants.
Il autorise les parties à un contrat de travail, domiciliées sur des territoires différents, à attribuer compétence aux tribunaux de l’un ou l’autre de ces états.
En conséquence, et par application de l’art. 17 de la convention de Bruxelles, monsieur … et la société de droit français … pouvaient valablement convenir d'une clause attributive de juridiction à l’un des états sur le territoire duquel l’une ou l’autre des parties était domiciliée.
Le problème concernant la loi applicable aux relations de travail est sans incidence sur celui de la compétence juridictionnelle
La loi applicable au fond du litige sera déterminée par le tribunal compétent.
3. Monsieur A plaide que la clause du contrat de travail attribuant compétence aux tribunaux de Paris doit être interprétée en tenant compte de ce qu'elle est rédigée au « futur ».
Il en déduit que les tribunaux de Paris ne seraient compétents qu'à la condition pour les parties de marquer leur accord sur cette compétence au moment de la survenance éventuelle d'un litige ;
et que n'ayant pas donné cet accord au moment du litige qui l’oppose à la société, les tribunaux belges doivent se déclarer compétents.
Le Tribunal ne partage pas cette opinion.
D'abord diverses clauses du contrat de travail sont rédigées au futur ; celles concernant la rémunération (art.5 et 6), la commercialisation des produits Beka France (art.7), le remboursement de frais (art.8). Il en est de même de la « Fiche de Fonction » déterminant les missions du travailleur.
L'utilisation du futur n'est donc pas réservée à la clause attributive de compétence aux tribunaux de Paris. Il est utilisé pour l’ensemble des clauses du contrat.
Il n'y a donc pas lieu d'interpréter l’art. 9 dans le sens d'un accord à donner par les parties après la survenance d'un litige. Cette interprétation serait contraire à la volonté éventuelle des parties à un contrat de régler le problème de la compétence des tribunaux au moment de la conclusion du contrat et donc avant la survenance d'un litige éventuel.
Par ailleurs, il faut, notamment par application de l’art. 1156 du Code civil, rechercher dans le contrat la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.
Cette commune intention est celle de régler « préventivement » le problème de la compétence des tribunaux.
S'il devait y avoir un doute à ce sujet, il faudrait alors, selon les dispositions des arts. 1158 et 1159 du Code civil, interpréter la clause « dans le sens qui convient le plus à la matière (1158 C.C.), ou « par ce qui est d'usage dans le pays ou le contrat est passé » (1159 C.C.).
Le sens qui convient le plus à la matière et l’usage sont de régler au moment de la conclusion d'un contrat, c'est-à-dire « préventivement » et non lors de la survenance d'un litige, le problème de la compétence des tribunaux.
L'interprétation qu'il faudrait donner à la clause, s'il devait s'avérer que la clause n'était pas claire-quod non- serait d'attribuer compétence aux tribunaux désignés par les parties dans le contrat.
4. Les tribunaux de Bruxelles ne sont donc pas compétents.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL,
Statuant contradictoirement,
Déclare l’action non recevable.