Vu les feuilles d'audiences des 13/09/2007, 02/10/2008, 03/10/2008, 4/10/2008, 21/11/2008, 12/12/2008 et de ce jour.
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ :
1. Le 10 avril 2007,
– REAL MADRID FOOTBALL CLUB dont le siège est établi en Espagne,
– Zinedine ZIDANE faisant élection de domicile au siège du REAL MADRID,
– David BECKHAM faisant élection de domicile au siège du REAL MADRID,
– Raul GONZALEZ BLANCO faisant élection de domicile au siège du REAL MADRID,
– Ronaldo LUIZ NAZARIO DE LIMA faisant élection de domicile au siège du REAL MADRID,
– Luis Filipe MADEIRA CAEIRO faisant élection de domicile au siège du REAL MADRID,
– FUTEBOL CLUB DO PORTO S.A.D. dont le siège social est établi au Portugal,
– Victor BAIA faisant élection de domicile au siège du FC PORTO,
– Ricardo COSTA faisant élection de domicile au siège du FC PORTO,
– Diego RIBAS DA CUNHA faisant élection de domicile au siège du FC PORTO,
– la société de droit néerlandais P.S.V. NV dont le siège social est établi aux Pays-Bas,
– la société de droit néerlandais IMARI BV dont le siège social est établi aux Pays-Bas
– et la société de droit italien JUVENTUS Football Club Spa dont le siège social est établi en Italie
ont interjeté appel des jugements rendus le 24 novembre 2006 par le tribunal de commerce de Liège dans les procédures qui les opposent respectivement à
I) la société de droit anglais SPORTING EXCHANGE Ltd dont le siège social est établi au Royaume-Uni.
L'appel porte le Numéro 2007/RG/569.
II) la société de droit anglais WILLIAM HILL CREDIT LIMITED dont le siège social est établi au Royaume-Uni.
L'appel porte le Numéro 2007/RG/570.
III) la société de droit anglais VICTOR CHANDLER (International) Ltd, dont le siège social est établi au Royaume-Uni (Gibraltar).
L'appel porte le Numéro 2007/RG/571.
IV) la société de droit antiguais GLOBAL ENTERTAINMENT Ltd, ayant son siège social à Antigua, ci-après dénommée UN1BET, qui succède à la société de droit maltais initialement assignée MR BOOKMAKER Ltd, ayant son siège social à Malte. UNIBET qui poursuit les activités de MR BOOKMAKER a repris l'instance en lieu et place de cette société par conclusions d'instance du 6 septembre 2006.
L'appel porte le Numéro 2007/RG/572.
V) la société de droit anglais LADBROKES BETTING AND GAMING Ltd, dont le siège social est établi au Royaume-Uni.
L'appel porte le Numéro 2007/RG/574.
VI) la société de droit antiguais INTERNET OPPORTUN1TY ENTERTAINMENT Ltd. dont le siège social est établi à Antigua.
L'appel porte le Numéro 2007/RG/575.
Enfin, les mêmes parties à l'exception de la société JUVENTUS ont encore interjeté appelle 10 avril 2007 du jugement rendu également le 24 novembre 2006 par le même tribunal dans une procédure les opposant à
VII) la société de droit anglais BWIN INTERNATIONAL Ltd. dont le siège social est établi au Royaume-Uni (Gibraltar).
L'appel porte le Numéro 2007/RG/573.
2. Les différentes sociétés intimées proposent des paris sportifs en ligne :
– SPORTING EXCHANGE sur le site « www.betfair.com », en vertu d'une licence de jeux établie au Royaume-Uni ; le site est disponible en 22 langues parmi lesquelles ne figurent ni le français ni le néerlandais ;
– WILLIAM HILL CREDIT Ltd. sur le site « www.willhill.com » en vertu d'une licence de jeux établie au Royaume-Uni ; le site est disponible en 8 langues parmi lesquelles figure le français mais pas le néerlandais ;
– VICTOR CHANDLER sur le site « www.vcbet.com », en vertu d'une licence délivrée par les autorités à Gibraltar ; le site est disponible en 14 langues parmi lesquelles ne figurent ni le français ni le néerlandais ;
– UNIBET sur le site www.mrbookmaker.com devenu www.unibet.com, en vertu de licences délivrées par les autorités de Malte, du Royaume-Uni et d'Italie ; le site est disponible notamment en français et en néerlandais ;
– LADBROKES BETTING AND GAMING Ltd. sur le site « www.ladbrokes.com », en vertu d'une licence délivrée par les autorités britanniques ; le site est disponible en Il langues parmi lesquelles ne figurent ni le français ni le néerlandais ;
– INTERNET OPPORTUNITY ENTERTAINMENT Ltd. sur les sites « www.miapuesta.com » et « www.sportingbet.com » en vertu d'une licence délivrée par les autorités d'Antigua ; « miapuesta.com » est uniquement disponible en espagnol ; « sportingbet.com » est disponible en 22 langues parmi lesquelles figure le français mais pas le néerlandais ;
– BWIN INTERNATIONAL Ltd. sur le site « www.bwin.com », en vertu d'une licence délivrée par les autorités à Gibraltar ; le site est disponible en 21 langues parmi lesquelles figurent le français et le néerlandais.
3. Les parties appelantes sont les requérantes originaires.
Il s'agit de clubs de football (REAL MADRID, Fe PORTO, PSV et JUVENTUS), de joueurs de football internationalement connus qui, pour la plupart, ont à l'heure actuelle soit mis un terme à leur carrière professionnelle (Z. ZIDANE, V. BAIA), soit rejoint d'autres clubs que ceux qui sont à la cause (D. BECKHAM, R. LUIZ NAZARIO DE LIMA, L.F. MADEIRA CAEIRO, R. COSTA et D. RIBAS DA CUNHA) et enfin d'une société liée à PSV OMARI) qui gère l'exploitation des droits au nom et à l'image de joueurs.
4. En synthèse, les parties requérantes s'opposent à l'utilisation de leur nom, de leur marque ou, en ce qui concerne VICTOR CHANDLER, UNIBET, INTERNET OPPORTUNITY ENTERTAINMENTet BWIN INTERNATIONAL, de leur image dans les paris en ligne recueillis par les intimées via internet, dès lors qu'elles n'ont pas donné leur autorisation à cette utilisation.
5. Elles ont postulé en substance des premiers juges, saisis le 25 février 2005, qu'après avoir constaté la violation du droit au nom et à l'image des joueurs ainsi que la violation du nom ou des marques des clubs de football, ceux-ci – fassent cesser ces troubles manifestement illicites en prononçant l'interdiction immédiate, dans le cadre de la promotion et de l'offre de paris sur Internet, de l'utilisation du nom et de l'image de tous les joueurs des clubs concernés ainsi que du nom et des marques de ces clubs sans leur autorisation, sous peine d'une astreinte de 50.000 EUR par infraction,
– condamnent les sociétés de paris à indemniser les clubs de football et les joueurs du préjudice résultant pour eux de l'usage passé de leurs droits au nom et à l'image à hauteur de 1 EUR provisionnel pour chaque joueur ainsi que pour IMARI et JUVENTUS (sauf dans la procédure dirigée contre BWIN INTERNATIONAL dans laquelle la JUVENTUS s'est désistée),
– condamnent ces mêmes sociétés à indemniser REAL MADRID, PSV, FC PORTO et JUVENTUS (sauf dans la procédure dirigée contre BWIN INTERNATIONAL) du préjudice résultant pour eux de l'usage de leurs noms et marques à hauteur de 2.000.000 EUR provisionnels.
6. Les sociétés de paris attaquées, à l'exception de UNIBET, ont préalablement à toute défense au fond, décliné, notamment et prioritairement, la compétence des juridictions belges pour connaître de la cause.
7. Par les jugements du 24 novembre 2006 dont appel, les premiers juges ont dit pour droit que les juridictions belges étaient territorialement compétentes sur base de l'art. 24 du Règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale à l'égard de UNIBET et sur base de l'art. 5.3 du même règlement à l'égard des autres sociétés défenderesses, sauf en ce qui concerne INTERNET OPPORTUNITY ENTERTAINMENT à l'égard de laquelle ils se sont déclarés territorialement incompétents.
8. Se prononçant au fond dans les causes retenues, ils ont ensuite, en synthèse, après avoir renvoyé au tribunal de commerce de Bruxelles les aspects de la cause fondés sur les marques communautaires, dit
– les demandes des clubs de football et de la société IMARl irrecevables en tant qu'elles portaient sur le droit au nom ou au nom commercial des joueurs, sauf la demande de REAL MADRID pour Zinedine ZIDANE,
– et pour le surplus, dit les demandes des clubs de football, de la société IMARI et des joueurs recevables mais non fondées.
9. Les parties appelantes poursuivent la réformation des jugements entrepris sauf en ce que ceux-ci ont retenu la compétence des juridictions belges et ont renvoyé au tribunal de commerce de Bruxelles l'aspect de leurs demandes fondé sur les marques communautaires. Elles postulent de la cour d'appel qu'il soit fait droit à leurs revendications à l'égard de toutes les sociétés de paris.
10. Les sociétés intimées qui avaient contesté la compétence des juridictions belges réitèrent en appel leur déclinatoire de compétence internationale.
11. Par citation du 3 septembre 2007, les parties requérantes à l'exception de REAL MADRID ont cité en déclaration d'arrêt commun la SA LADBROKE BELGIUM, laquelle conteste tant la recevabilité que le fondement de la demande à son encontre.
12. Par conclusions consenties des 1er février et 3 octobre 2008, REAL MADRID d'une part et les joueurs Zinedine ZIDANE, David BECKHAM, Raul GONZALEZ BLANCO, Ronaldo LUIZ NAZARIO DE LIMA et Luis Filipe MADEIRA CAEIRO d'autre part se sont désistés de l'instance, de l'accord des parties intimées.
13. L'enjeu de ces différentes procédures est identique. Les revendications des parties requérantes à l'égard des sociétés de paris en ligne sont semblables et reposent sur les mêmes fondements en sorte que l'examen de ces affaires pose les mêmes questions de fond. Nonobstant quelques particularités de fait, les demandes apparaissent dès lors liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et juger en même temps afin d'éviter des solutions qui seraient susceptibles d'être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Il y a donc lieu de joindre les causes no. 569.570, 571.572, 573.574 et 575/RG/2007 pour connexité, ce que certaines parties avaient demandé en instance (conclusions du 26 juillet 2006) avant de se raviser.
14. La première question à résoudre concerne la compétence des juridictions belges pour connaître des demandes dirigées contre SPORTING EXCHANGE, WILLIAM HILL, VICTOR CHANDLER, LADBROKES, BWIN et INTERNET OPPORTUNITY ENTERTAINMENT. Ces parties résident toutes dans l'Union Européenne, sauf INTERNET OPPOR'FUNITY ENTERTAINMENT qui a son siège social à Antigua et sur le cas de laquelle il sera revenu ultérieurement.
15. Aucune de ces sociétés n'a été attraite devant les juridictions de l'Etat sur le territoire duquel elles sont domiciliées.
16. Les parties requérantes n'ont donc pas fait application du principe général de l'art. 2 du Règlement (CE) 44/2001 mais ont choisi d'opter pour la compétence spéciale de l'art. 5.3.
17. Cette liberté d'option qui en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, permet au demandeur de saisir le tribunal « du lieu où le fait dommageable s'est produit » (art. 5.3), a été introduite « en considération de l'existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaître, en vue de l'organisation utile du procès » (C.J.C.E., 30.11.1976, Handelskwekerij G.J.Bier BV contre Mines de potasse d'Alsace SA, Aff. 21-76).
18. L'arrêt précité a précisé que dans le cas où le lieu où se situe le fait susceptible d'entraîner une responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle et le lieu où ce fait a entraîné un dommage ne sont pas identiques, l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit » doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal, le défendeur pouvant être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou l'autre lieu.
19. L'arrêt Shevill prononcé par la même Cour le 7 mars 1995 (Aff. C-68/93) a par ailleurs énoncé que dans le cas de diffamation au moyen d'un Article de presse diffusé dans plusieurs Etats contractants, l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit » devait être interprétée en ce sens que la victime pouvait intenter contre l'éditeur une action en réparation soit devant les juridictions de l'Etat contractant du lieu d'établissement de l'éditeur de la publication diffamatoire, compétentes pour réparer l'intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque Etat contractant dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l'Etat de la juridiction saisie.
20. Les parties requérantes entendent faire application de ce principe dans le cas de sites internet « .com » ayant vocation à être accessibles à tous en tout endroit du monde.
21. Elles fondent la compétence des juridictions belges pour connaître des dommages qu'elles prétendent avoir subis sur le territoire de cet Etat sur la constatation, qu'elles estiment décisive, que des paris peuvent être pris en Belgique sans aucune restriction sur les sites web litigieux des parties intimées.
Elles estiment tous les autres critères accessoires dans le débat relatif à la compétence dès lors qu'il est indiscutable, pour elles, que les sites web en cause visent entre autres le marché belge.
22. Les parties intimées soutiennent que la seule accessibilité des sites en Belgique ne peut suffire à justifier la compétence des juridictions de cet Etat. En présence de matériel qui, une fois placé en ligne, est instantanément et automatiquement accessible 'dans tous les Etats membres, il y va en effet d'une règle de raison, sous peine de consacrer une base de compétence pan-européenne qui contrecarre l'objectif fondamental de la convention de Bruxelles et à sa suite, du Règlement (CE) 44/2001, d'éviter la multiplication des juridictions compétentes en raison du risque de décisions inconciliables.
23. Se fondant sur le raisonnement de l'Avocat Général dans l'affaire Shevill qui privilégiait la notion de « diffusion volontaire de l'écrit », ce qui implique des actions positives de la part du défendeur afin de placer la publication dans le forum, comme prendre la décision d'imprimer assez de copies pour une circulation internationale ou de conclure des contrats de distribution, elles arguent que dans le contexte de l'Internet, il faut vérifier si des actions positives ont été entreprises pour promouvoir l'utilisation des sites sur le territoire d'un Etat, de nature à rendre compte d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre le litige et les tribunaux de cet Etat justifiant le recours à la compétence spéciale de l'art. 5.3.
24. Elles épinglent au titre d'actions positives pertinentes en matière de sites web le choix de la langue du site, le choix de l'extension géographique du nom de domaine, l'utilisation de technologies particulières pour viser certains marchés ou l'utilisation de techniques de démarchage telles que l'e-mail ou un autre media.
25. Les parties se réfèrent les unes et les autres à des décisions rendues dans des procédures similaires par les juridictions de différents Etats membres qui montrent combien la question crée la polémique et aboutit à des solutions divergentes.
26. En France, plusieurs procédures de ce type ont opposé ou opposent encore des clubs de football et des joueurs à des sociétés de paris en ligne.
27. Le tribunal de grande instance de Paris siégeant en référé s'est déclaré le 8 juillet 2005 compétent pour connaître de mesures provisoires sur la base des arts. 31 et 5.3 du Règlement au motif que les faits dommageables allégués étaient susceptibles de s'être produits ou de se produire sur le territoire français dès lors que les internautes français pouvaient consulter les sites incriminés et qu'il était sans effet à cet égard que le nombre de parieurs soit très réduit (Aff. Real Madrid, D. Beckham, R. Gonzalez Blanco, R. Nazario de Lima, L.F. Madeira Caeiro cl Hilton Group, Sporting Exchange, William Hill, Mr Bookmaker.com, Sportingbet, Ladbrokes et Internet Opportunity Entertainment).
28. Le même tribunal, jugeant de la mise en état d'une cause le 31 mai 2006, a réaffirmé sa compétence dès lors que les sites en cause étaient librement accessibles depuis le territoire français et que les internautes y résidant pouvaient s'y connecter et y parier en sorte que le fait dommageable allégué devait être regardé comme se produisant en France, même si ces sites n'étaient pas destinés au public français ou Elueleur contenu était rédigé en anglais (Aff. Real Madrid, Z. Zidane, D. Beckham, R. Gonzalez Blanco, R. Nazario de Lima, L.F. Madeira Caeiro contre Sporting Exchange, William Hill, Mr Bookmaker.com, Sportingbet, Ladbrokes et Internet Opportunity Entertainment).
29. La cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance quant à ce le 14 février 2008.
Considérant que l'existence d'un fait dommageable susceptible de s'être produit en France suppose que soit constatée la réalité d'un lien suffisant, substantiel ou significatif des faits délictuels invoqués avec le territoire français, elle a relevé qu'aucun des sites de paris en ligne n'etait hébergé en France, que les sites « ladbrokes » et « betfair » ne comprenaient aucune rubrique en français nonobstant l'utilisation de nombreuses autres langues, que le site « miapuesta » était exclusivement en espagnol, que le site « willhill » ne proposait pas de pari sur les matchs français, les autres sites en proposant mais en proportion extrêmement réduite, que les fonds versés par les parieurs étaient placés à l'étranger et que les paris réalisés en France avaient un caractère marginal selon les chiffres.
Elle en a conclu que par leur mode de fonctionnement et leur contenu, les sites internet en cause n'étaient pas destinés au public français autrement que de façon marginale et qu'en conséquence, le fait dommageable invoqué ne présentait pas un lien suffisant, substantiel ou significatif avec le territoire français pour asseoir la compétence des juridictions de cet Etat.
30. Entre temps, le tribunal de grande instance de Paris avait eu à juger de la mise en état d'une autre cause le 7 février 2007. Estimant que pour l'application de l'art. 5.3, il appartenait à la société demanderesse de démontrer que les sites des défenderesses proposaient leur service de paris en ligne au public français, il a considéré que la circonstance que quelques internautes réussissent à utiliser les services proposés par ces sites à partir de poste ordinateur ayant une adresse IP en France était insuffisante pour démontrer un lien significatif entre le site et le public français. Le tribunal s'est ensuite dit compétent pour connaître des demandes formées à l'encontre des sociétés de paris dont les sites étaient disponibles en langue française et incompétent pour le surplus, retenant que les sites qui ne proposaient pas le français parmi les langues d'accès au site n'étaient pas à destination du public français (Aff. Juventus contre Sporting Exchange, William Hill, Unibet venant aux droits de Mr Bookmaker.com, Sportingbet, Ladbrokes, Internet Opportunity Entertainment et Victor Chandler).
31. En Allemagne, le Landgericht Kôln s'est dit, par ordonnance de mesure provisoire du 2 mars 2005, compétent pour connaître d'un acte infractionnel commis sur Internet, d'autant plus que la homepage était également destinée à s'adresser à des participants allemands puisqu'elle s'étendait à la Bundesliga, le fait qu'elle était rédigée en anglais étant sans incidence en raison du degré de propagation de cette langue (Aff. D. Beckham contre Mr Bookmaker.com).
32. En Belgique, par les jugements dont il est fait appel dans la présente procédure, le tribunal de commerce de Liège s'est déclaré compétent, estimant que la Belgique était un facteur de rattachement relevant au sens de l'art. 5.3 du Règlement dès lors que les sites web litigieux, qu'ils soient accessibles en français ou en anglais, langue largement connue en Belgique, s'adressaient entre autres aux internautes belges qui pouvaient parier sur des matchs mettant en cause des clubs de football belges et qu'il était indifférent à cet égard que jusqu'à présent, peu d'internautes belges aient mis en œuvre cette possibilité.
33. En ce qui concerne la société INTERNET OPPORTUNITY ENTERTAINMENT qui a son siège social en dehors de l'Union Européenne, le tribunal de commerce de Liège après avoir relevé que le Règlement (CE) 44/2001 se réfère, en son art. 4.1, au droit interne de chaque Etat membre lorsque le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un Etat membre, a fait application de l'art. 2 du Code belge de droit international privé. Celui-ci dispose que « les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande en matière d'obligations, outre dans les cas prévus par les dispositions générales de la présente loi, lorsque cette demande concerne (...) 2° une obligation dérivant d'un fait dommageable, a) si le fait générateur de l'obligation est survenu ou menace de survenir, en tout ou en partie, en Belgique ... ou b) si et dans la mesure où le dommage est survenu ou menace de survenir en Belgique. »
34. Ce texte s'inspire directement de la portée donnée à l'art. 5.3 du Règlement (CE) 44/2001 (F.Rigaux et M.Fallon, Droit international privé, 3ème édition, 2005, p. 922, n. 15.7) et commande donc une interprétation identique à celle réservée à l'art. 5.3 de ce règlement.
35. Le tribunal de commerce de Liège a estimé que le site « miapuesta » de INTERNET OPPORTUNITY ENTERTAINMENT n'étant accessible qu'en langue espagnole, qui n'est ni une langue nationale en Belgique ni une langue couramment utilisée ou connue, et que le seul contact étant un Numéro de téléphone en Espagne, ce n'était que de manière fortuite que des internautes belges pouvaient être amenés à consulter ce site, même s'ils pouvaient s'y connecter et s'y enregistrer comme clients afin de prendre des paris. Il en a déduit que dans la mesure où le site litigieux ne s'adressait pas, entre autres, au public belge, le lieu du dommage ne pouvait se concrétiser en Belgique et qu'il n'était, par conséquent, pas compétent pour connaître de cette demande.
36. Les sociétés de paris en ligne dénoncent, au vu des procédures similaires intentées contre les unes en France et contre d'autres en Belgique, que les parties appelantes se livrent à une véritable tactique de « forum shopping » qui va clairement à l'encontre du Règlement (CE) 44/2001.
37. Compte tenu
– de ce que ce n'est que par exception à la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur que la section II du chapitre II prévoit un certain nombre d'attributions de compétences spéciales, parmi lesquelles figure celle de l'art. 5, point 3, du Règlement no. 44/2001,
– de ce que ces compétences spéciales, dont le choix dépend d'une option du demandeur, sont fondées sur l'existence d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et des juridictions autres que celles du domicile du défendeur, qui justifie une attribution de compétence à ces juridictions pour des raisons de bonne administration de la justice et d'organisation utile du procès,
– et de ce que pour satisfaire à cet objectif, lequel revêt une importance fondamentale dans un règlement qui doit essentiellement favoriser la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires en dehors de l'Etat dans lequel elles ont été rendues, il est indispensable d'éviter la multiplication des juridictions compétentes, laquelle accentue les risques de décisions inconciliables,
La cour estime devoir surseoir à statuer et interroger préjudiciellement la Cour de Justice des Communautés Européennes quant à l'interprétation à réserver, dans le domaine spécifique de l'Internet, à l'art. 5.3 du Règlement (CE) 44/2001.
38. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le dommage allégué est causé par des sites web et
a) qu'aucune des sociétés attraites qui gèrent ces sites litigieux n'a son siège social en Belgique,
b) qu'aucun des sites en cause n'est hébergé en Belgique,
c) qu'aucune des parties demanderesses n'est domiciliée en Belgique,
d) que les sites de paris sont accessibles aux internautes belges qui peuvent y faire enregistrer leurs paris dans la même mesure qu'ils sont accessibles aux internautes des autres Etats contractants puisqu'il s'agit de sites « .com » qui ont vocation à élargir leur marché à l'Europe entière et n'ont pas d'extension « .be » propre à la Belgique,
e) que ces sites sont disponibles en plusieurs langues sans que ne s'y retrouvent systématiquement les deux langues les plus usitées en Belgique,
f) que ces sites proposent notamment des paris sur des matchs belges, au même titre que sur les championnats étrangers,
g) que l'utilisation d'une technologie particulière ou technique de démarchage visant le public belge n'est pas démontrée,
h) que le nombre de paris pris par le public belge est tout à fait marginal par rapport au nombre total de paris enregistrés par ces sites, puisque, selon les chiffres donnés par les sociétés de paris pour l'année 2005, non contestés de part adverse, l'ensemble des paris belges sur les matchs de football représentent moins de 0,25 % des paris enregistrés sur les sites « bwin.com », « willhill.com », « betfair.com », « ladbrokes.com », « sportingbet » et « miapuesta », « vcbet.com » faisant état quant à elle de 40 parieurs belges pour tous les paris confondus,
1. faut-il considérer que le dommage allégué s'est produit ou est susceptible de se produire en Belgique, en sorte de rendre les juridictions belges compétentes pour connaître des-actions afférentes à ce dommage, du fait que les sites web litigieux s'adressent entre autres au public belge?
2. ou doit-il être retenu que le dommage allégué ne s'est produit ou n'est susceptible de se produire en Belgique, en sorte de rendre les juridictions belges compétentes pour connaître des actions afférentes à ce dommage, que si la réalité d'un lien suffisant, substantiel ou significatif des faits délictuels invoqués est constatée avec le territoire belge?
3. en ce cas, quels sont les critères pertinents à prendre en considération pour apprécier l'existence de ce lien de rattachement?
DECISION
La Cour, statuant contradictoirement,
Reçoit les appels,
Joint les causes 2007/RG/ 569.570.571.572.573.574 et 575 pour connexité,
Avant dire droit,
Sursoit à statuer et pose à la Cour de Justice des Communautés Européennes les questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'art. 5.3 du Règlement (CE) 44/2001 énoncées ci-dessus au considérant 38.
Invite le greffe de la présente juridiction à envoyer copie de l'arrêt par pli recommandé adressé au greffe de la Cour de justice des Communautés Européennes, L-2925 à LUXEMBOURG.