Le 19 mars 2010, IAG, ci-après IAG, interjette appel du jugement rendu le 18 février 2010 par le tribunal de commerce de Liège en qu'il s'est déclaré sans juridiction pour connaître de l'action en garantie qu'elle a dirigée contre J & K, ci-après J & K.
Les faits de la cause et l'objet des demandes sont les suivants.
Arcelor Mittal Méditerranée a confié à S.A.P.M. par contrat du 30.10.2007 la réfection d'un haut-fourneau à Fos-sur-Mer en France pour un budget de l2.l50.000 EUR.
S.A.P.M. a sous-traité à IAG par contrat du l3.9.2007 la réalisation des viroles 1 à 4 de ce haut-fourneau pour la somme de 3.990.000 EUR. Ce contrat prévoit la compétence exclusive des tribunaux de Liège.
IAG sous-traite à son tour à J&K par contrat du 9.6.2008 la réalisation de la virole 4 en ce compris le dôme pour le prix de 385.000 EUR (HTVA). Ce contrat contient une clause d'élection de for exclusive en faveur des juridictions allemandes d'Osnabrück.
Le 5 août 2009, S.A.P.M. assigne IAG devant le tribunal de commerce de Liège aux fins :
• d'entendre résilier le contrat intervenu entre parties aux torts d'IAG ;
• d'entendre annuler la clause 7 dudit contrat traitant des pénalités ;
• de condamner IAG à l.700.000 EUR de dommages et intérêts ;
• de lui donner acte qu'elle se réserve le droit de postuler la condamnation d'IAG à la garantir de tous montants qu'elle serait amenée à payer à Arcelor Mittal Méditerranée du fait de la défaillance d'IAG.
Le 6 novembre 2009, IAG assigne J&K en intervention forcée et garantie devant la même juridiction aux fins :
• de « condamner J&K à intervenir dans l'affaire S.A.P.M./ IAG » ;
• d'« entendre condamner J&K à indemniser IAG et à compenser tout dommage que IAG subirait en résultat des réclamations de S.A.P.M. en principal, intérêts et frais » ;
• de « condamner J&K aux frais et dépens ».
IAG postule par conclusions du 24 décembre 2009 deux mesures avant dire droit conformément à l'art. 19, al. 2 du Code judiciaire, à savoir :
• la condamnation de S.A.P.M. à lui payer un montant provisionnel de 1.196.000 EUR,
• la désignation d'un collège d'experts, constitué d'un ingénieur civil et d'un expert comptable, afin de donner son avis technique quant à la conformité des travaux exécutés avec les plans et dispositions contractuelles, quant aux manquements et défauts ainsi que quant à la cause et à la responsabilité, de décrire les travaux restant à effectuer et les évaluer et d'établir l'éventuel dommage tant dans le chef de S.A.P.M. que d'IAG.
J&K soulève par conclusions du 20 janvier 2010 l'incompétence internationale des juridictions belges pour connaître de l'action en garantie dirigée contre elle, compte tenu de l'accord d'élection de for valablement conclu entre IAG et elle-même.
Par le jugement entrepris, le tribunal :
• dit les demandes principale et reconventionnelle recevables et avant dire droit, recourt à la mesure d'expertise dont S.A.P.M. et IAG ont convenu à son audience du 21 janvier 2010 qu'elle s'imposait ;
• se déclare sans juridiction pour connaître de l'action en garantie et condamne IAG aux dépens liquides en faveur de J&K à 15.000 EUR d'indemnité de procédure.
IAG postule en appel :
• que les tribunaux belges se disent compétents vis-à-vis de J&K dans le cadre des mesures provisoires avant dire-droit ;
• que son action contre J&K soit dite recevable et fondée ;
• que l'expertise soit rendue opposable à J&K et adaptée en conséquence ;
• et à titre subsidiaire que l'indemnité de procédure revenant à J&K soit réduite au montant minimal de 1.000 EUR par instance.
DISCUSSION
IAG ne conteste pas qu'alors même qu'elle a convenu avec S.A.P.M. que seules les juridictions liégeoises seraient compétentes pour connaître de tout différend qui naîtrait de leur contrat, elle a par la suite convenu, en toute connaissance de cause, avec son propre sous-traitant allemand d'une clause attributive de compétence cette fois aux juridictions allemandes d'Osnabrück pour les rapports de droit nés de leur contrat.
En vertu de l'art. 23 du Règlement CE 44/2001, « cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ». IAG ne prétend pas à l'existence d'une telle convention contraire.
Elle se réclame toutefois de l'art. 6, 2° du Règlement précité pour soutenir qu'elle était en droit de citer J&K en intervention forcée et garantie devant le tribunal de commerce de Liège dès lors que celui-ci avait été saisi de la demande originaire introduite par S.A.P.M.
J&K lui oppose à raison que « la jurisprudence admet, sous l'empire du Règlement 44/2001, qu'une clause d'élection de for doit l'emporter sur le souci de concentration du contentieux qui justifie la prorogation de compétence en cas de demande en intervention et garantie » (P. Wautelet, Le code de droit international privé et le procès international, C.U.P. 12/2005, p. 321), la Cour de Justice s'étant prononcée en ce sens (C.J.C.E., 14 décembre 1976, Estasis Salotti, aff. 24/76, Rec., 1976.1831, attendu n07 et C.J.C.E., 14 décembre 1976, Segoura, aff. 25/76, Rec., 1976.1851, attendu no. 6).
IAG postule qu'il soit néanmoins tenu compte de l'art. 28 du Règlement dans l'appréciation du conflit entre l'art. 23 et l'art. 6, 2° en raison de la connexité qu'elle voit entre la demande principale intentée à son encontre par S.A.P.M. et la demande en garantie intentée par elle contre J&K.
Le moyen se heurte à l'inapplicabilité au litige de l'art. 28 en question. En effet, celui-ci suppose, pour trouver à s'appliquer, que des demandes connexes soient pendantes devant des juridictions d'Etats membres différents. Or, en l'espèce, cette condition fait défaut puisqu'il n'existe qu'une seule procédure en Belgique.
IAG dénonce l'abus de droit qu'il y aurait de la part de J&K à la contraindre de la sorte à saisir les juridictions allemandes aux seules fins d'entendre celles-ci constater la connexité de la demande avec l'affaire pendante devant les juridictions belges et se dessaisir par conséquent en faveur de celles-là.
Le raisonnement est incorrect dans la mesure où il présente pour acquis que les juridictions allemandes constateraient la connexité et se dessaisiraient de la demande introduite devant elles alors qu'il s'agit-là de deux décisions relevant de leur seule appréciation souveraine :
• d'une part, il leur appartient de décider si les demandes sont connexes au sens du Règlement, la notion de connexité « européenne » devant être interprétée de manière autonome à la lueur des arrêts de la Cour de justice ;
• d'autre part, le dessaisissement à la demande d'une partie ne se fait jamais d'office mais reste facultatif, le tribunal saisi en second lieu pouvant se dessaisir sans y être obligé (D. Alexandre et A. Huet, Compétence, reconnaissance et exécution (Matières civiles et commerciales), Rép. communautaire Dalloz, janv. 2003, p. 53, no. 289).
Autrement dit, « la connexité européenne n'est pas un chef attributif de compétence, en ce sens qu'un tribunal d'un Etat contractant ou membre valablement saisi d'une demande ne se voit pas attribuer compétence pour connaître d'une autre demande du seul fait qu'elle est connexe à la première ; il ne s'agit que d'une exception de procédure » (idem). « On ne saurait trop répéter que la connexité n'est pas »un chef général de compétence dérivé », en d'autres termes que la connexité ne peut contribuer à la concentration des litiges devant une seule et même juridiction que de la manière (dessaisissement du juge second saisi) et dans le cas, d'interprétation stricte, envisagé à l'art. 22, al. 2 (de la Convention de Bruxelles, actuellement art. 28 du Règlement) » (H. Born, Les enseignements pratiques essentiels de sept ans d'application et d'interprétation de la Convention CEE du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, R.R.D. 1980, p. 325, no. 77).
IAG conclut enfin qu'au cas, avéré, où les tribunaux belges seraient sans juridiction pour connaître de l'action en garantie au fond, ils seraient néanmoins compétents, par application de l'art. 31 du Règlement CE 44/2001, pour prononcer la mesure d'expertise à l'encontre de J&K dès lors que celle-ci constitue une mesure provisoire et conservatoire.
L'art. 31 dispose en effet que les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un Etat contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat même si, en vertu du Règlement, une juridiction d'un autre Etat membre est compétente pour connaître du fond.
« Optant pour une définition communautaire de ces mesures, la Cour de justice a déclaré qu'il s'agit de mesures 'qui, dans les matières relevant du champ d'application de la convention, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond'« (D. Alexandre et A. Huet, Compétence, reconnaissance et exécution (Matières civiles et commerciales), Rép. communautaire Dalloz, janv. 2003, p. 49, no. 264).
IAG soutient que doctrine et jurisprudence ont confirmé à maintes reprises que la désignation d'un expert constitue une mesure provisoire et conservatoire.
L'affirmation mérite d'être nuancée. Il n'est ainsi pas douteux que l'art. 31 l'emporte sur l'art. 23 du Règlement en ce qui concerne une demande d'expertise introduite en référé (H. Born et M. Fallon, Chronique de jurisprudence, Droit judiciaire international, 1986-1990, lT. 1992, p. 422, no. 83), pour autant qu'existe un lien de rattachement réel entre l'objet des mesures sollicitées et la compétence territorial de l'Etat contractant du juge saisi car la Cour de justice s'est montrée « soucieuse d'éviter un contournement trop facile des règles de compétence régissant le fond du litige » (D. Alexandre et A. Huet, op. cit., p. 49, no. 266).
C'est à raison que J&K oppose néanmoins à IAG qu'en l'espèce, la mesure d'expertise décidée par les juges saisis du fond de l'affaire ne correspond pas à la définition que la Cour de justice a donnée des mesures provisoires ou conservatoires.
L'expertise litigieuse n'est nullement destinée à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond mais elle est au contraire décidée par ce juge du fond comme mesure d'instruction nécessaire à l'éclairer sur les aspects techniques du dossier afin qu'il puisse départager les parties au fond en déterminant leurs responsabilités dans l'échec du contrat et décider en conséquence des indemnisations qui seraient dues.
IAG ne peut être suivie quand elle prétend que le but de cette expertise serait de faire tous les constats utiles quant aux travaux exécutés avant que les éléments de prévue puissent perdre de leur valeur. La preuve en est que quand J & K lui demande en ce cas comment elle justifie le rattachement réel de la mesure avec la Belgique alors que les travaux ont été exécutés à Fos-sur-Mer en France, elle rétorque que
• le dommage pour lequel réparation est demandée par S.A.P.M. a eu lieu sur le territoire belge, ce qui justifie la prononciation de l'expertise par un juge belge,
• l'expert devra exécuter sa mission sur la base des documents se trouvant au siège de S.A.P.M. en Belgique,
• l'installation du haut fourneau en France ne peut plus en soi servir comme prévue lors de l'expertise puisque les fautes ont été réparées.
Elle reconnaît de la sorte clairement que l'on n'en est plus à maintenir une situation afin de sauvegarder des droits mais au stade d'analyser cette situation afin d'en dégager les causes et les responsabilités en résultant pour trancher ces droits.
IAG n'est pas fondée à vouloir contourner les règles de compétence régissant le fond du litige au seul motif qu'elle poursuit l'objectif recherché par l'art. 31 d'éviter aux parties un préjudice résultant de la longueur des délais inhérente à toute procédure internationale. Il convient de lui représenter qu'elle-même n'a pu Ignorer les conséquences inévitables qu'allait avoir à cet égard le fait de convenir avec J&K d'une clause d'élection de for contraire à celle d'ores et déjà arrêtée avec S.A.P.M.
Il s'impose donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré sans juridiction pour connaître de la demande en garantie.
IAG postule à titre subsidiaire de voir réduire les indemnités de procédure dues pour les deux instances au minimum de 1.000 EUR, compte tenu du caractère manifestement déraisonnable de la situation.
Le moyen est fondé dans son principe. L'indemnité de base de 15.000 EUR, déterminée par le montant de la demande, reflète le coût d'une procédure au fond d'une certain complexité mais certainement pas celui d'un débat circonscrit à des questions de compétence, fût-elle internationale. Il ne se justifie pas pour autant, par un excès en sens contraire, de réduire cette indemnité au minimum légal alors qu'il ne peut être contesté que ces questions de compétence sont en elles-mêmes complexes, ainsi qu'en témoigne à l'évidence la longueur des conclusions déposées par l'une et l'autre parties en appel à ce sujet. L'indemnité de procédure sera adéquatement fixée à 3.000 EUR par instance au regard de ces considérations.
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant contradictoirement,
Reçoit l'appel,
Dans la mesure de sa saisine,