L'arrêt attaqué déclare fondée la demande de la défenderesse tendant à la désignation d'un expert judiciaire et ce sur la base des considérations suivantes :
« 5. La demande de désignation d'un expert judiciaire, afin d'évaluer la marge brute moyenne produite par le contrat de concession au profit de la défenderesse au cours des cinq dernières années et afin d'évaluer la plus-value reconnue de la clientèle, réalisée par la défenderesse pour la demanderesse au cours de la période allant du 27 avril 1988 au 27 juillet 2007 semble être fondée selon la cour.
La désignation préalable d'un expert contribue à une solution plus rapide sur le fond du litige ce qui répond à suffisance à l'urgence de la mesure réclamée.
En outre, l'exécution de la mission de l'expert judiciaire se situe principalement en Belgique, dès lors que le contrat de concession est exécuté en Belgique, que la défenderesse tient sa comptabilité relative à l'exécution du contrat de concession à jour à son siège en Belgique et que le dommage subi par la défenderesse à la suite de la résiliation invoquée se situe aussi en Belgique.
La marge bénéficiaire brute peut constituer un fil conducteur utile pour le calcul du dommage. Et ce calcul devra tenir compte du droit fiscal belge (et éventuellement du droit social). La défenderesse est, en effet, assujettie au régime fiscal belge et pas autrichien.
L'expert judiciaire n'émettra qu'un avis qu'il a rédigé de manière contradictoire avec la demanderesse, ce qui permet à la demanderesse de contredire les données comptables de la demanderesse.
En cas de désaccord permanent entre les parties, le juge du fond devra encore se prononcer ultérieurement sur cet avis – que la défenderesse devra mettre en oeuvre à ses propres risques en tant que partie la plus diligente – de sorte que la mesure ne peut porter préjudice aux droits de la demanderesse » (...).
Griefs
Première branche
Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont exclusivement compétents en vertu de l'art. 23.1 du règlement CE du 22 décembre 2000, sauf convention contraire des parties.
En vertu de l'art. 31 du règlement CE du 22 décembre 2000, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un Etat membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat, même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d'un autre Etat membre est compétente pour connaître du fond.
Cette dernière disposition tend à éviter que les parties subissent un dommage en raison de la longueur des délais qui est inévitable dans les procédures internationales. Il y a lieu d'interpréter cette disposition de manière restrictive dès lors qu'elle constitue une exception aux règles générales en matière de compétence en vigueur.
Il y a lieu d'entendre par « mesures provisoires et conservatoires » au sens de l'art. 31 du règlement CE du 22 décembre 2000, les mesures qui, concernant les matières soumises au champ d'application de ce règlement, visent à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est requise, pour le surplus, par le juge qui connaît du fond du litige.
La désignation d'un expert pour évaluer le dommage qu'aurait éventuellement subi une partie contractante ne tend pas à maintenir des situations de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits de la partie contractante, dans la mesure l'arrêt ne constate pas quelle situation de fait ou de droit doit être maintenue dans le chef de la défenderesse au moyen de cette mesure d'expertise afin de sauvegarder quels droits, ni quel dommage serait subi par cette partie contractante si l'expertise réclamée n'est pas autorisée.
En l'espèce, il existe entre la demanderesse et la défenderesse un litige à propos de la résiliation d'un contrat de concession, mais le juge belge est présentement sans juridiction dès lors que, comme le constate l'arrêt, les parties ont repris dans leur contrat une clause de compétence valable au profit du juge autrichien et que « le tribunal compétent est le tribunal de Linz » (...).
Les questions de droit tendant à savoir si cette résiliation est légitime ou non et si, le cas échéant la défenderesse a subi un quelconque dommage et dans l'affirmative comment ce dommage doit être estimé, seront tranchées non pas par le juge belge mais par le juge autrichien sur la base du droit déclaré applicable par ce dernier.
Dès lors que le juge belge ne peut se prononcer sur ce litige, il ne peut pas davantage apprécier quels faits sont pertinents pour la solution du litige ni ordonner une expertise qui a pour but, selon lui, de constater des faits pertinents.
Comme l'a invoqué la demanderesse, la défenderesse n'apporte pas la preuve que la désignation d'un expert belge chargé d'examiner la comptabilité de la défenderesse est légale, opportune et utile afin de sauvegarder des droits dans l'attente de la décision du juge du fond autrichien (la demande de désignation d'un expert pour prendre connaissance de la comptabilité de la défenderesse est « peu sérieuse » selon la demanderesse dès lors que « la défenderesse connaît sa propre comptabilité » et « que l'expert (...) devrait agir en vertu du droit autrichien qui lui est tout à fait étranger, ces éléments devant en outre être utiles dans la procédure de droit autrichien ») (...), et ne démontre pas quel dommage elle subirait si la demande d'expertise demandée n'était pas accordée (« La défenderesse omet de prouver que des éléments de preuve risquent de se perdre et se borne à faire des spéculations dans sa citation ». Dès lors que ‘l'évaluation de la marge brute liée à la concession' peut se faire totalement sur la base de pièces comptables, « il n'y a dès lors pas de raison (...) pour admettre que celles-ci se perdraient » dès lors que « par analogie avec la Belgique, les entreprises autrichiennes sont tenues de conserver les pièces comptables pendant au moins 5 années » (...).
L'arrêt attaqué charge un expert belge d'évaluer au départ de la comptabilité de la défenderesse la marge bénéficiaire brute moyenne produite par le contrat de concession au profit de la défenderesse au cours des cinq dernières années et d'évaluer ainsi le dommage subi par la défenderesse « ensuite de la cessation invoquée » ; l'arrêt fonde ensuite la nécessité de désigner cet expert sur les constatations suivant lesquelles l'exécution de l'expertise se situe en Belgique, dès lors que le contrat de concession est exécuté en Belgique, que la défenderesse y tient sa comptabilité et que le dommage subi par la défenderesse à la suite de la résiliation invoquée se situe aussi en Belgique et qu'il devra être tenu compte du droit fiscal et éventuellement du droit social belge ; l'arrêt qualifie aussi la marge bénéficiaire brute de « fil conducteur utile » pour le calcul du dommage (...).
Ni le fait que la concession est exécutée en Belgique, que la comptabilité de la défenderesse est tenue en Belgique, que le dommage qu'elle prétend subir en raison de la résiliation se situe en Belgique, que le droit fiscal et social belge sont applicables ou que le critère de la marge bénéficiaire brute constitue « un fil conducteur utile » dans le calcul du prétendu dommage, ne sont des éléments qui démontrent que la mesure d'expertise est requise pour maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dans le chef de la défenderesse, dans la mesure où il n'est pas constaté ainsi que, si la mesure n'était pas accordée, une situation de fait ou de droit dans le chef du demandeur afin de sauvegarder des droits ne saurait être maintenue ou que le demandeur de la mesure subirait un dommage si celle-ci n'était pas accordée.
Aucun de ces éléments n'est, dès lors, de nature à assurer le bien-fondé de la demande de désignation d'un expert chargé d'estimer un dommage éventuellement subi suite à une prétendue résiliation de contrat, dès lors que (1) la question de savoir si des dommages et intérêts sont encore dus devra encore être tranchée par le juge autrichien en vertu du droit qu'il déclare applicable, (2) seul ce dernier juge est compétent pour examiner quels éléments de faits sont pertinents lors de l'estimation d'un dommage éventuellement subi et (3) l'arrêt ne constate ainsi pas quelle situation de fait ou de droit peut être maintenue au moyen d'une mesure d'expertise afin de sauvegarder les droits de la défenderesse ni quel dommage serait subi par la défenderesse si la mesure d'expertise demandée n'était pas accordée.
En chargeant un expert belge de la mission de recueillir des éléments de fait qui sont considérés comme étant pertinents par le juge belge lors de l'évaluation d'un dommage qui serait subi par la défenderesse, mais à propos de laquelle le juge belge ne peut se prononcer à défaut de compétence, ni en ce qui concerne le principe de l'indemnisation, ni en ce qui concerne le calcul de son étendue, et sans constater que cette mesure est nécessaire pour maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits de la défenderesse, ni pour savoir quel dommage serait subi par la défenderesse si la mesure d'expertise demandée n'était pas accordée, l'arrêt impose une mesure qui est plus vaste que la notion de « mesure provisoire ou conservatoire » au sens de l'art. 31 du règlement CE du 21 décembre 2000 et viole, dès lors, cette disposition.
Dans la mesure où, en décidant que la désignation de cet expert belge chargé d'une mission décrite par le juge belge « contribue à une solution plus rapide sur le fond du litige » et que « la marge bénéficiaire brute » constitue « un fil conducteur utile » dans le calcul du dommage, l'arrêt énonce que les éléments et l'information à recueillir par l'expert belge sont pertinents pour apprécier un litige pour lequel le juge belge est toutefois sans compétence, l'arrêt attaqué élude la règle de compétence de l'art. 23 du règlement CE du 22 décembre 2000 en vertu de laquelle, eu égard à une clause de compétence valable, seul le juge autrichien est compétent pour statuer sur le litige et constater quels faits sont éventuellement pertinents pour apprécier ce litige et peuvent, dès lors, faire l'objet d'une mesure d'expertise (violation de l'art. 23 du règlement CE du 22 décembre 2000).
L'arrêt n'est, à tout le moins, pas régulièrement motivé dans la mesure où il ne répond pas au moyen de défense précis de la demanderesse concernant l'absence de toute preuve de la part de la défenderesse que la mesure demandée est utile pour conserver les droits qui risqueraient sinon de se perdre, ainsi que le défaut de tout dommage dans le chef de la défenderesse si la mesure d'expertise réclamée n'est pas accordée (violation de l'art. 149 de la Constitution).
Seconde branche
Aux termes de l'art. 9 du Code judiciaire, la compétence d'attribution est le pouvoir de juridiction déterminé en raison de l'objet, de la valeur et, le cas échéant, de l'urgence de la demande ou de la qualité des parties.
Conformément aux arts. 584, al. 1er, et 1035 du Code judiciaire, le juge des référés est compétent pour statuer dans les cas dont il reconnaît l'urgence.
Cette urgence constitue un élément essentiel de sa compétence matérielle en référé de sorte que lorsqu'il constate qu'il n'y a pas d'urgence le juge est tenu de rejeter la demande comme étant non fondée.
La condition de l'urgence implique qu'une décision immédiate est souhaitable pour prévenir un dommage d'une certaine ampleur ou des inconvénients majeurs et que la procédure ordinaire n'est pas apte à résoudre le litige en temps utile.
Conformément à l'art. 584, al. 4, 2°, du Code judiciaire le juge des référés peut prescrire des expertises même en y comprenant l'estimation du dommage et la recherche de ses causes.
Comme l'invoque la demanderesse, la défenderesse ne démontre pas quel dommage elle subirait si la mesure d'expertise demandée n'était pas accordée. « La défenderesse omet de démontrer que des éléments de preuve risquent d'être perdus et se borne à faire des spéculations dans sa citation ». Dès lors que ‘la marge brute produite par la concession peut être évaluée' sur la base de pièces comptables « il n'y a dès lors pas de motif (...) pour admettre que celles-ci pourraient se perdre » dès lors que « par analogie avec la Belgique, les entreprises autrichiennes ont l'obligation de conserver les pièces comptables pendant au moins 5 années » (...).
En l'espèce, le juge des référés a considéré qu'il n'a pas le pouvoir de se prononcer sur un litige concernant la résiliation du contrat de concession, dès lors que ce litige devra être tranché sur le fond par le juge autrichien.
L'arrêt considère, d'autre part, qu'il peut déclarer fondée par la voie d'une mesure provisoire, la demande de la défenderesse tendant à la désignation d'un expert dès lors que l'urgence de cette mesure « est suffisamment justifiée du fait que la désignation préalable d'un expert contribue à un traitement plus rapide du fond du litige » (...).
En reconnaissant le caractère urgent de la demande de désignation d'un expert et en déclarant cette demande fondée sur la base de la constatation que cette mesure contribue à un traitement plus rapide du fond du litige, sans constater qu'un dommage réel est à craindre si la mesure n'est pas accordée, l'arrêt viole la notion légale « d'urgence » et, dès lors, toutes les dispositions légales citées par le moyen en cette branche (...).
III. La décision de la Cour
Sur les fins de non-recevoir :
1. La défenderesse oppose deux fins de non-recevoir : le moyen, en cette branche, ne soulève aucun élément concernant la compétence internationale des juges d'appel d'ordonner une mesure d'instruction en référé et est fondé sur l'hypothèse qu'à défaut de compétence sur le fond, les juges d'appel ne pouvaient ordonner une mesure d'instruction, alors qu'aucune décision n'a été rendue sur le fond du litige.
2. Le moyen, en cette branche, critique la décision des juges d'appel qui, sans être compétents sur le fond du litige, ont ordonné une mesure d'instruction qui déroge à leur compétence en vertu de l'art. 31 du règlement CE no. 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.
Sur le premier moyen :
3. En application de l'art. 31 du règlement (CE) du 22 décembre 2000, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu de ce règlement, une juridiction d'un autre État membre est compétente pour connaître du fond.
Cette disposition implique une exception au système de compétence du règlement (CE) du 22 décembre 2000 afin d'éviter que les parties subissent un dommage en raison de la longueur des délais qui est inévitable dans les procédures internationales. Il y a lieu d'interpréter cette exception de manière restrictive.
4. Il y a lieu d'entendre par « mesures provisoires ou conservatoires » au sens de l'art. 31 du règlement (CE) no. 44/2001 du 22 décembre 2000, suivant l'arrêt de la Cour de justice du 28 avril 2005, C-104/3, des mesures qui visent à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond.
5. Une mesure qui a principalement pour objectif de permettre au demandeur d'évaluer ses chances au procès et de recueillir en outre des preuves dont le demandeur n'invoque pas qu'elles risquent de se perdre, ne constitue manifestement pas une mesure provisoire ou conservatoire au sens de l'art. précité.
6. L'arrêt attaqué constate que le juge compétent au fond est un juge autrichien mais que la désignation préalable d'un expert contribue à un traitement rapide sur le fond du litige, ce qui justifie à suffisance l'urgence de la mesure demandée. L'arrêt considère ensuite que l'exécution de la mission se situe principalement en Belgique et que pour le calcul du dommage la marge bénéficiaire brute peut constituer un fil conducteur utile. Il considère enfin que l'instruction pourra être contradictoire et que le juge du fond se prononcera ultérieurement sur le fond.
7. Les juges d'appel n'ont ainsi pas justifié que leur décision devait maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits par leur décision et qu'il y avait lieu de déroger au régime des compétences du règlement (CE) du 22 décembre 2000.
Le moyen est fondé.
Sur les autres griefs :
Les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué dans la mesure où il statue sur la désignation d'un expert judiciaire et sur la condamnation de I.P.M. aux dépens ;