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Résumé de la décision Deux époux italiens ont vécu en Belgique et y ont eu deux enfants. Par la suite, l’épouse intente une action en séparation devant la juridiction belge. Le juge des référés a statué sur les mesures provisoires, puis le Tribunal de première instance de Liège (BE) a admis la séparation de corps au profit de l’épouse. Dans l'intervalle, l’époux a obtenu le divorce en Italie. Dans le cadre de cette procédure, le tribunal italien a fixé des mesures provisoires (garde des enfants à la mère ainsi qu’une pension alimentaire). L’épouse, après la transcription de la séparation de corps, a introduit une demande pour elle-même devant le juge de Paix de Saint-Nicolas (BE) postulant une majoration des pensions alimentaires précédemment sanctionnées par le juge belge. L’époux s’y opposa estimant que les pensions sont celles qui ont été fixées par le tribunal italien, et que les juridictions belges ont cessé d'être compétentes.
La cour d’appel de Liège (BE) reçoit l’appel et confirme la compétence des juridictions belges. Elle considère que lorsqu'une procédure a été introduite en Belgique tendant au prononcé d'un jugement de séparation de corps d'époux italiens domiciliés en Belgique et que le tribunal a statué sur les mesures provisoires, celui-ci ne cesse pas d'être compétent pour statuer sur une demande d'augmentation de cette pension alimentaire du seul fait qu'ultérieurement une procédure en divorce a été introduite en Italie et que le juge italien y a prononcé le divorce par une décision dont la force de chose jugée en Italie n'est pas établie et a aussi statué sur l'attribution d'aliments entre ces époux. De surcroît, les demandes alimentaires introduites devant les juges belge et italien étant identiques et les décisions à intervenir sur les mesures provisoires étant incompatibles, il appartenait donc au juge italien second saisi de se dessaisir en vertu de l'art. 21 de la Convention de Bruxelles.
1 Les parties, qui ont toutes deux la nationalité italienne, se sont unies par le mariage à Ans le 19 juin 1971. Elles ont vécu en Belgique et y ont eu deux enfants Jean-Marc, né le… 1972 et Michel, né le… 1974.
2 Alors donc que leur résidence commune se trouve fixée à Ans, l'intimée dépose le 22 mars 1985 une requête en séparation de corps et de biens. Le 27 mars elle assigne en référé à l'effet de voir fixer les mesures provisoires.
3 Bien que l'appelant ait soutenu que la juridiction des référés ne pouvait intervenir, le droit italien ne prévoyant pas pareille instance pendant une procédure de séparation de corps, une ordonnance est rendue le 17 juin 1985 disant la demande recevable puis le 12 juillet 1985 une ordonnance entérinant l'accord des parties fixe la résidence de l'intimée à qui la garde des enfants est confiée, statue sur le droit de visite du père et précise les contributions financières que l'appelant accepte à titre provisionnel. Ces décisions seront exécutées par l'appelant qui reconnaît s'être incliné.
4 Le 26 août 1988 l'intimée dépose des conclusions postulant notamment une majoration des pensions alimentaires précédemment sanctionnées sans prévoir d'indexation. L'ordonnance entreprise, avant d'arrêter de nouveaux chiffres, invite l'employeur de l'appelant, fonctionnaire au Parlement européen, à communiquer un relevé des rémunérations perçues par l'appelant.
5 Par jugement du 22 novembre 1988 le tribunal de première instance de Liège admet la séparation de corps au profit de l'intimée. Cette décision sera transcrite le 21 février 1989.
6 Dans l'intervalle, soit le 13 septembre 1988, l'appelant a déposé en Italie une requête en divorce. Il y invoque l'autorité de la décision belge prononçant la séparation de corps et obtient le divorce par un jugement du 20 janvier 1990 qui, par défaut à l'encontre de l'intimée, fixe à 700.000 lires italiennes la pension à laquelle celle-ci pourra prétendre chaque mois à partir de février 1990. L'intimée interjette appel de ce jugement mais un arrêt de la Cour d'appel de Naples du 20 octobre 1990 déclare ce recours irrecevable parce que tardif. Aucune pièce ne permet de vérifier si cet arrêt est coulé en force de chose jugée, le conseil de l'intimée affirmant à l'audience qu'un pourvoi en cassation est encore envisagé.
7 Dans le cadre de la procédure en divorce dont il est saisi, le tribunal italien confie à un de ses membres la fixation des mesures provisoires. Il est ainsi statué le 10 décembre 1988, toujours par défaut, sur la garde, confiée à la mère, le droit de visite, différent de celui qui était fixé le 12 juillet 1985 de l'accord des parties, et le secours alimentaire des enfants arbitré à 500.000 lires à partir de janvier 1989.
8 L'intimée, après la transcription de la séparation de corps a introduit une demande pour elle-même devant le juge de Paix de Saint-Nicolas.
Le litige:
L'appelant soutient qu'à partir de janvier 1989 les pensions sont celles qui ont été fixées par le tribunal italien, et que les juridictions belges ont cessé d'être compétentes.
Solution:
Attendu qu'en règle la compétence d'attribution d'une juridiction s'apprécie non pas au moment où cette juridiction est appelée à statuer mais au moment de l'introduction de la demande (Cass. 9.1.1989, Pas. 89, 1,490) ;
Qu'au moment où l'intimée a demandé l'augmentation des pensions provisionnelles (conclusions additionnelles du 26.8.1988) il est évident que le juge des référés était compétent, la procédure de séparation de corps n'étant pas définitivement jugée d'une part, et l'appelant n'ayant d'ailleurs pas encore introduit sa demande en divorce en Italie d'autre part ;
Attendu donc qu'indépendamment même de la circonstance que le premier juge s'était déjà déclaré compétent par l'ordonnance du 17 juin 1985, avait fixé les contributions financières de l'appelant de l'accord de celui-ci et que l'appelant s'était rangé à admettre alors l'intervention du premier juge, il est certain qu'au moment de l'introduction de la demande de majoration de pension seul le juge belge avait compétence pour statuer sur la demande qui lui était soumise ;
Que l'on ne saurait admettre qu'en ayant artificiellement recours à une juridiction située dans le pays dont il a la nationalité mais où il ne réside pas et alors que les tribunaux du for sont déjà saisis,l' appelant puisse aboutir à enlever le pouvoir de statuer à la juridiction belge régulièrement saisie ; qu'au demeurant, si tant est qu'il s'agit de causes identiques en ce qu'il convenait de régler la contribution alimentaire de l'appelant en faveur de ses enfants et de son épouse, il importait que les juridictions italiennes, en application de l'article 21 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, s'abstiennent de juger et se dessaisissent au profit de la juridiction première appelée et dont la compétence ne pouvait sérieusement être contestée ;
Attendu que le premier juge pouvait assurément statuer sur les mesures provisoires pendant l'instance en séparation de corps, lesdites mesures continuant à produire effet au-delà de cette date, à tout le moins pour ce qui concerne les enfants ;
Qu'en introduisant en Italie le 13 septembre 1988 une demande en divorce, l'appelant tendait à un but différent certes mais donnant lieu nécessairement durant la procédure à la fixation de mesures provisoires également indispensables dans le cadre de l'instance en séparation de corps ; qu'en cela les demandes étaient identiques et que le tribunal italien devait s'abstenir de fixer les mesures provisoires dont la juridiction belge était déjà saisie avant lui ;
Que contrairement à ce que l'appelant plaide, les décisions belge et italienne relatives aux mesures provisoires se prononcent sur des demandes qui se superposent dans le temps et sont donc incompatibles ; qu'il ne peut tirer argument de ce que, devant la juridiction d'appel italienne, l'intimée ait conclu à l'incompétence des tribunaux belges qu'elle avait néanmoins saisis et auxquels elle continue de s'adresser ; que pour le reste lorsqu'il sera constant que le jugement autorisant le divorce est définitif, l'intimée devra y avoir égard, pareille décision étant reconnue en Belgique sans exequatur (Van Hecke et Rigaux, Droit international privé, RCJB, 1982,n° 36,p.409 ; Gutt et Stranart, Droitjudiciaireprivé,RCJB, 1973,n° 12, p. 113) ;
Attendu qu'à juste titre le premier juge s'est considéré compétent et a cherché à connaître exactement les ressources de l'appelant ; qu'il a ordonné à cette fin la mesure d'instruction adéquate et qu' en application de l'article 1068 alinéa 2 du code judiciaire il y a lieu de lui renvoyer la cause, pour voir examiner les renseignements communiqués le 18 janvier 1989 par l'administrateur « statut et gestion du personnel » du Parlement européen ;
PAR CES MOTIFS:
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;
Après avoir entendu Monsieur P. Jacquemin, avocat général , en son avis donné à l'audience du 2 janvier 1991 ;
Reçoit l'appel ;
Confirme l'ordonnance entreprise et renvoie la cause au premier juge ;