Attendu que Martin Filipson a assigné la société Gebruder Herberg en paiement d'une indemnité pour rupture abusive du contrat, d'une indemnité de clientèle et d'intérêts moratoires sur des commissions payées avec retard.
Que la société Gebruder Herberg conteste la validité de la citation, la compétence du tribunal et le bien-fondé de la demande ;
Attendu que Martin Filipson était l'agent exclusif de la société Gebruder Herberg pour la Belgique ;
Que le contrat entre parties, conclu le 1er mars 1983, avait été initialement conclu pour une période d'un an (art. 7) ; qu'il disposait cependant:
« à moins qu'il n'y soit mis fin moyennant un préavis d'au moins trois mois donné par lettre recommandée, le contrat est reconduit par tacite reconduction » (art. 8) ;
Que Martin Filipson réalisa un chiffre d'affaires croissant d'année en année ; qu'à l'automne 1986, un désaccord surgit toutefois entre les parties à propos des commissions dues à Martin Filipson ;
Que Martin Filipson reçut le 5 décembre 1986 une lettre datée du 3 décembre supposée confirmer des entretiens téléphoniques antérieurs et annonçant la fin des relations commerciales à l'échéance du 28 février 1987 ;
Que Martin Filipson contesta, dès le 9 décembre 1986, l'existence d'une notification téléphonique de la rupture ; qu'il releva que la lettre était hors délai et proposa une poursuite des activités commerciales jusqu'au 29 février 1988 ;
Que la société Gebruder Herberg réaffirma à plusieurs reprises sa volonté de mettre fin au contrat le 28 février 1987 ;
Que le 1er juin 1987 – après l'échec des négociations que les parties eurent entre elles la société Gebruder Herberg revint toutefois sur sa position et marqua son intention de ne mettre fin au contrat que le 29 février 1988 ; que Martin Filipson repoussa cette proposition, l'estimant tardive ;
Attendu que la société Gebruder Herberg soutient que la citation est nulle, à défaut de respect du délai de citation ;
Que le délai de citation prévu par la loi (art. 55, 707 et 709 C. jud.) est de 23 jours ;
Que la citation fut notifiée à la société Gebruder Herberg pour l'audience du 26 mai 1986 ;
Que la société Gebruder Herberg ne reçut cependant la citation que le 10 mai 1988, soit moins de 23 jours avant l'audience ;
Qu'elle estime dès lors que la citation est nulle conformément à l'article 710 C. jud. ;
Attendu que l'article 40 C. jud. dispose qu'à:
« ceux qui n'ont en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu connus, la copie de l'acte est adressée par l'huissier de justice sous pli recommandé à la poste (...) sans préjudice des autres modes de transmission convenus entre la Belgique et le pays de leur domicile ou de leur résidence. La signification est réputée accomplie par la remise de l' acte aux services de la poste contre le récépissé de l'envoi dans les formes prévues au présent article » ;
Qu'en application de l'article 1er, 1°, de l'accord signé le 25 avril 1959 entre la Belgique et la République Fédérale Allemande, la signification des actes judiciaires belges est faite par le Procureur du Roi qui transmet les pièces au président du tribunal de première instance (Landgericht) du ressort du destinataire ;
Que ce mode de signification se substituant à celui organisé par l'article 40 C. jud., la doctrine et la jurisprudence belge ont d'une manière constante considéré que, par analogie avec cet article, la signification était réputée accomplie par la remise de l'acte à l'autorité allemande compétente (voy. p. ex. Cass., 30 octobre 1975, Pas., 1976, p. 267 ; Born et Fallon, « Droit judiciaire international 1978-82 », J.T., 1983, p. 183 ; Comm. Liège, 31 mars 1983, J.T., 1984, p. 21 avec note Fallon et Jur. Liège, 1983, p. 246 avec note de Leval une position identique était prise lorsque la transmission se faisait par voie consulaire).
Qu'en l'espèce, c'est le 2 mai 1988 que le Président du Landgericht de Hagen territorialement compétent pour recevoir l'acte, reçut la citation ; que la signification de l'exploit semble donc avoir été effectuée dans le délai de 23 jours légalement requis ;
Attendu que la défenderesse conteste la théorie défendue par la Cour de cassation ; qu'elle s'appuie sur un courant jurisprudentiel et doctrinal divergent (voy. p. ex. l'opinion nuancée de Fallon dans sa note précitée et Sais. Bruxelles, 16 avril 1987, R.C.D.C., 1989, p. 489 et note Leemans) ; que ce courant fonde sa critique sur les dispositions de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 ;
Que cette convention prévoit en effet la désignation par les Etats contractants d'une « autorité centrale » (art. 2) chargée de recevoir la demande de signification et de procéder ou de faire procéder à la signification de l'acte (art. 5) ; que cette autorité renvoie après exécution de la demande, une attestation indiquant « la forme, le lieu et la date de l'exécution » de cette demande (art. 6) ;
Que la doctrine et la jurisprudence divergente citées considèrent qu'il résulte de l'existence de cette attestation que la signification n'est pas opérée tant que cette exécution, par l'autorité requise, n'a pas eu lieu ;
Attendu qu'il convient cependant de relever que le mode de signification organisé par l'article 40 C. jud. a son correspondant dans l'article 10 a. de la Convention ; que, d'une manière générale, les modes de signification « classiques » ne sont pas abrogés par la Convention mais qu'il est introduit par celle-ci, à côté de ceux-la, un système nouveau ;
Que l’« autorité centrale » désignée par la R.F.A. ne s'identifie d'ailleurs pas au Président du tribunal de première instance dont question dans l'Accord bilatéral du 25 avril 1959 ;
Que la Convention de 1965 n'affecte donc pas en réalité l'Accord belgo-allemand du 25 avril 1959 ;
Attendu que certains des auteurs cités croient pouvoir trouver un argument péremptoire dans le fait que le recours au critère du moment du dépôt plutôt qu'à celui de la réception est exceptionnel en droit belge (voy. art. 32 C. jud.) ; que le Rapport Van Reepinghen ne justifiait cette dérogation à l'article 40 C. jud. que par la seule impossibilité de connaître le moment exact de la remise (voy. rapport, éd. Moniteur, 1964, p. 58) ;
Que les auteurs cités concluent (voy. note Fallon, précitée, p. 26) que c'est déformer l'intention du législateur que de continuer à déroger à la règle de la réception lorsqu'il existe un mécanisme tendant à établir la date de celle-ci – puisqu'on se trouve dans ce cas résolument en dehors de l'hypothèse envisagée par Ch. Van Reepinghen ;
Que c'est toutefois perdre de vue que les délais spéciaux fixés par l'article 55 ont « pour but de permettre la transmission de l'acte et de la réponse à y donner par la voie postale » (o.c., p. 63) ; que sous l'article 40, le Commissaire royal évoquant les inconvénients liés au système de l'envoi de l'acte, précise ce qui suit:
« Au surplus, le projet prévoit, ainsi qu'il sera dit ci-après, que dans les cas prévus par la loi les délais sont prorogés à l'égard des personnes domiciliées à l'étranger. Cette prorogation de délai, qui a été déterminée en tenant compte des distances, a pour but de laisser au destinataire le temps nécessaire pour assurer efficacement sa défense (...). La principale objection faite au système de l'envoi de l'acte vient donc à tomber » (o.c., p. 58) ;
Que le système conçu par le législateur belge forme donc un tout cohérent ; que ce serait dès lors trahir l'intention de celui-ci que de mettre en question le mode de fixation du moment de la signification sans adapter en conséquence les délais prévus à peine de nullité ;
Qu'il n'est pas inutile de relever que les défauts du système sont corrigés par l'article 15 de la Convention de La Haye ; que le juge ne peut en effet se contenter de vérifier que le délai de citation a bien été respecté ; qu'il doit en outre vérifier – même d'office – que la citation a bien été remise au défendeur ;
Qu'il ne convient dès lors pas de remettre en question le système organisé par la loi ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la signification doit bien être considérée comme ayant eu lieu le 2 mai 1988 ; que la citation n'est par conséquent pas nulle ;
Attendu que la société Gebruder Herberg estime que le Tribunal de commerce de Bruxelles n'est pas territorialement compétent pour connaître du litige ;
Que la société Gebruder Herberg affirme que l'obligation à exécuter éventuellement par elle est le paiement d'une somme d'argent, c'est-à-dire une obligation quérable (art. 1247 C. civ.) au domicile du débiteur, c'est-à-dire 21 Dahler Strasse à D5990 Altena 8 – Dahle ;
Attendu que les parties s'accordent pour considérer que le droit applicable au litige est le droit belge ; qu'elles sont également d'accord pour considérer que la compétence du présent tribunal ne peut avoir d'autre fondement que l'article 5, 1° de la Convention C.E.E. du 27 septembre 1968 ;
Que l'article 5, 1°, de cette Convention prévoit que
« le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait, dans un autre Etat contractant... en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée » ;
Qu'à l'occasion de l'arrêt Arcado/Haviland (arrêt du 8 mars 1988, affaire 9/87), la Cour de justice des communautés a eu l'occasion de préciser que le droit d'un agent à obtenir paiement de ses commissions, comme sa demande de versement d'une indemnité compensatoire pour rupture abusive du contrat, trouvait sa base dans le non-respect d'une obligation contractuelle ;
Que la Cour repousse donc la thèse selon laquelle le paiement d'une indemnité serait une obligation autonome ;
Que le lieu d'exécution de l'obligation n'est par conséquent pas le lieu du paiement de l'indemnité éventuellement allouée mais le lieu où s'exécutait l'obligation contractuelle dont l'inexécution est invoquée ;
Qu'en l'espèce, l'obligation qui était à respecter était le contrat d'agence liant les parties ; que ce contrat s'exécutait sur le territoire belge ;
Que l'application de l'article 5, 1°, de la Convention de 1968 conduit par conséquent bien à attribuer compétence aux tribunaux belges ;
Attendu qu'il ne peut être contesté (voy. d'ailleurs le télex du 12 mars 1987) que la société Gebruder Herberg a rompu en cours d'exécution le contrat d'agence qui la liait à Martin Filipson ;
Qu'il n'existe en effet aucune preuve que Martin Filipson ait été informé verbalement avant le 1er décembre 1986 de la fin proche du contrat et qu'il ait accepté ce mode de notification verbale ;
Que la lettre de la société Gebruder Herberg datant du 3 (reçue le 5) décembre 1986, la fin normale des relations contractuelles ne pouvait par conséquent intervenir au plus tôt que le 29 février 1988 ;
Attendu que les offres ultérieures de la société Gebruder Herberg de reprendre l'exécution du contrat sont tardives ;
Que la société Gebruder Herberg doit par conséquent indemniser son ancien agent pour le préjudice subi par celui-ci ;
Attendu que c'est à juste titre que Martin Filipson insiste sur le développement du montant annuel des commissions perçues au cours des années 1983 à 1987 ; que les chiffres montrent une progression annuelle constante supérieure à 4.000 DM ;
Que les commissions dépassaient 14.000 DM en 1986 ;
Qu'il paraît dès lors raisonnable de fixer à 18.000 DM le montant des commissions supplémentaires que Martin Filipson aurait dû percevoir si le contrat s'était normalement poursuivi jusqu'au 29 février 1988 ; que l'équivalent en francs belges de ce montant est 378.000 F (18.000 x 21) ;
Attendu que c'est à juste titre que Martin Filipson revendique une indemnité basée sur le bénéfice dit semi-brut qu'il réalisait par l'exploitation de l'agence ;
Que Martin Filipson reconnaît que, d'une manière générale, ses charges professionnelles « correspondent environ à 50% de ses revenus bruts » ; qu'il paraît raisonnable d'appliquer un tel coefficient aux revenus du contrat litigieux ; que le bénéfice avant impôts peut par conséquent être fixé à 189.000 F ;
Qu'à ce montant, il convient d'ajouter les frais généraux incompressibles qui, nonobstant l'arrêt de l'activité, continuèrent à être exposés jusqu'au 29 février 198R ; que Martin Filipson affirme que 90% de ses frais étaient des « frais incompressibles » ; que la société Gebruder Herberg n'oppose à cette affirmation aucun élément de nature à jeter le doute sur son exactitude ; que cette clé peut par conséquent être tenue pour exacte ;
Que les charges professionnelles totales de Martin Filipson se sont élevées à 3.462.636 F en 1986 ; que les frais incompressibles peuvent être par conséquent estimés à 3.116.372 F ; que le contrat d'agence représentait 5% du chiffre d'affaires de Martin Filipson ; que la quote-part de frais imputable à l'agence peut par conséquent être fixée à 155.819 F ;
Que l'indemnité due à Martin Filipson s'élève dès lors à 344.819 F (189000 + 155.819) ;
Attendu, qu'à la différence du concessionnaire, l'agent autonome n'a pas droit à une indemnité pour perte de clientèle ; que la clientèle est en effet le plus souvent attachée à l'entreprise du commettant plutôt qu'à celle de l'agent (Van Rijn, t. IV, 2ème éd., p. 123 ; voy. aussi sur cette question et celles qui précèdent, Willemart, « La résiliation du contrat d'agence autonome », J.T., 1981, p. 617 et s., et plus part. le n° 13) ;
Attendu que le solde de commissions dues pour 1987 a été payé avec retard ; que des intérêts moratoires ne sont cependant dus qu'à partir d'une mise en demeure ; qu'à défaut d'envoi d'une telle mise en demeure, la demande de condamnation au paiement d'intérêts de retard n'est pas fondée ;
Par ces motifs,
Le Tribunal
(...)
déclare la demande recevable et partiellement fondée,
en conséquence,