LES DEMANDES
Par requête déposée le 3 décembre 2007 (et non le 30 novembre 2007), monsieur E.F. a demandé au tribunal de la jeunesse de Bruxelles :
– de maintenir l'exercice conjoint de l'autorité parentale à l'égard de l'enfant commun N ;
– de confier l'hébergement principal de l'enfant à sa mère aussi longtemps que celle-ci résidera en Pologne ;
– de lui accorder un droit aux relations personnelles proportionné à l'éloignement géographique et au très jeune âge de l'enfant, en prévoyant des contacts téléphoniques et visuels réguliers avec l'enfant, au minimum deux fois par semaine ;
– de dire qu'il pourra héberger l'enfant de manière adéquate si la mère séjourne en Belgique ;
– de déclarer satisfactoire son offre de payer une contribution alimentaire indexée de 200 EUR par mois pour l'enfant.
Madame K. a demandé au tribunal de déclarer les juridictions belges incompétentes pour connaître de la cause.
Le jugement attaqué, prononcé le 24 juin 2008 déclare les juridictions belges compétentes pour connaître de la cause, réserve pour le surplus et met la cause en continuation à l'audience du 17 novembre 2008.
Madame K. sollicite la réformation de ce jugement et demande à la cour :
– à titre principal, de dire que les juridictions belges ne sont pas compétentes pour connaître de la demande en application de l'art. 10 du règlement Bruxelles IIbis ;
– à titre subsidiaire, de dire que les juridictions polonaises sont mieux placées pour connaître de la cause, sur pied de l'art. 15, para. 5 du règlement Bruxelles IIbis.
Monsieur E.F. demande à la cour :
– à titre principal, de déclarer l'appel irrecevable ;
– à titre subsidiaire, de déclarer l'appel non fondé et de renvoyer la cause au premier juge.
LES FAITS
Monsieur Mehdi E.F., de nationalités marocaine et française, et madame Karolina K., de nationalité polonaise, se sont rencontrés en novembre 2005 à... (France), où ils étaient tous les deux étudiants.
Madame K. s'est rapidement retrouvée enceinte et a accouché le à...(Pologne), de l'enfant N, qui a été reconnu par monsieur E.F.
Les parties ont cohabité en Pologne où habite la famille de madame K., puis à Bruxelles où monsieur E.F. a trouvé un emploi à partir du 1er janvier 2007.
Elles ont rompu leur relation affective en février 2007 mais ont continué à vivre sous le même toit jusqu'au 31 juillet 2007.
En juillet 2007, madame K. a encore passé des vacances, avec N, dans la famille de monsieur E.F. au Maroc.
Le 1er août 2007, madame K. est retournée en Pologne avec N. C'est ce retour qui fait l'objet de controverses entre les parties.
Monsieur E.F. a pu maintenir un contact avec son fils via internet (skype) et il s'est rendu régulièrement (9 à 10 fois par an) en Pologne, où il a été hébergé à plusieurs reprises chez madame K.
Les relations entre les parties se sont néanmoins envenimées, entre autres suite à une querelle au sujet du nom patronymique de l'enfant.
Monsieur E.F. n'a introduit aucune demande en vue d'obtenir le retour de l'enfant sur la base de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, telle que complétée par le règlement Bruxelles IIbis.
Il a par contre déposé, le 3 décembre 2007, la requête initiale au tribunal de la jeunesse de Bruxelles.
En février 2008, madame K. a quant à elle saisi le tribunal des affaires familiales et de mineurs polonais, qui aurait décidé de surseoir à statuer sur les demandes, en application de l'art. 19, al. 2 du règlement Bruxelles IIbis.
Les débats à l'audience et les pièces versées au dossier indiquent que les parties ont réussi à maintenir un certain dialogue nonobstant la procédure judiciaire et ses inévitables vexations.
La contribution alimentaire de 200 EUR par mois semble avoir fait l'objet d'un accord et être payée régulièrement, et monsieur E.F. a pu voir N chaque fois qu'il s'est rendu en Pologne, plus particulièrement :
– en 2007 : du 7 au 10 septembre (premier anniversaire de N) et du 31 octobre au 4 novembre 2007 ;
– en 2008 : du 8 au 13 janvier (décès du frère de madame K.), du 15 au 17 mars, du 1er au 3 mai, du 14 au 18 mai, du 14 au 16 juin, du 9 au 16 août, du 6 au 8 septembre, du 8 au 11 novembre et du 13 au 14 décembre.
Monsieur E.F. reproche cependant à madame K. d'exiger habituellement que les rencontres aient lieu en sa présence, à son domicile ou à celui de ses parents. Il souhaite exercer son droit d'hébergement en dehors de la présence de la mère et avec nuitées.
En 2009, il propose d'héberger N en Pologne du 7 au 9 février, du 14 au 16 mars, du 9 au 13 avril, du 21 au 24 mai, du 18 au 21 juillet, du 15 au 23 août, du 5 au 8 septembre, du 3 au 5 octobre et du 31 octobre au 2 novembre. Il souhaite également pouvoir héberger N en Belgique lorsque madame K. s'y rend.
A partir du 1er janvier 2010, et pour autant que madame K. continue à résider en Pologne, il demande de pouvoir héberger l'enfant en outre, en dehors de la Pologne, pendant la moitié des périodes de congés et vacances scolaires.
Par ailleurs, il souhaite avoir au moins deux fois par semaine un contact avec N par vidéoconférence et il demande que madame K. soutienne l'enfant dans son apprentissage du français.
Un processus de médiation familiale a été envisagé mais pas encore mis en place. Il pourrait incontestablement contribuer à l'élaboration d'un accord global conforme à l'intérêt de l'enfant.
DISCUSSION
1. Quant à la procédure
L'appelante s'appuie à tort sur le règlement (CE) no. 1348/2000 du 29 mai 2000 pour reprocher à l'intimé de ne pas avoir fait traduire ses conclusions en polonais.
D'une part, ce règlement a été abrogé par le règlement (CE) no. 1393/2007 du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.
D'autre part, le nouveau règlement est applicable en matière civile et commerciale, lorsqu'un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit « être transmis d'un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié » (art. 1er). Or, les conclusions échangées par les parties ne doivent pas être transmises d'un État membre à un autre pour y être signifiées ou notifiées, de sorte que la demande de madame K. n'est pas fondée.
Pour le surplus, les considérations développées par l'appelante, pour faire valoir qu'au cours de la procédure en première instance ses droits à une défense effective ont été méconnus, sont dénuées d'intérêt dès lors qu'elle ne conteste pas avoir pu se défendre au cours de la procédure en degré d'appel.
2. Quant à la recevabilité de l'appel
L'intimé conclut à l'irrecevabilité de l'appel, en se fondant sur l'art. 1050, al. 2, du Code judiciaire, qui énonce qu'un appel contre une décision rendue sur la compétence ne peut être formé qu'avec l'appel contre le jugement définitif.
Il soutient que le déclinatoire formé par madame K. touche à la compétence, qui est le pouvoir du juge de connaître une demande portée devant lui, et s'appuie à ce sujet sur une jurisprudence de la cour d'appel de Liège et un commentaire de Born, Fallon et Van Boxstael.
Ce raisonnement ne peut pas être approuvé, comme le démontre le remarquable exposé de Hakim Boularbah, dont l'opinion doit être suivie.
Une partie qui soutient que le litige doit être tranché par une juridiction étrangère soulève un déclinatoire de juridiction. Le jugement qui statue sur ce déclinatoire n'est pas « une décision rendue sur la compétence » au sens des arts. 1050, al. 2 et 1055 du Code Judiciaire, mais bien une décision rendue sur le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux belges.
Le Code judiciaire différencie assez clairement le régime du déclinatoire de juridiction de celui du déclinatoire de compétence.
Or, les arts. 1050, al. 2, et 1055 ne visent que les décisions statuant sur un déclinatoire de compétence et non les décisions statuant sur un déclinatoire de juridiction. Celui-ci n'a été évoqué à aucun moment lors des travaux préparatoires de la loi du 3 août 1992.
Cette loi a inséré le texte actuel des arts. 1050, al. 2, et 1055 tout en réglant parallèlement le sort du déclinatoire de compétence en degré d'appel, en disposant que « dans les cas où le juge d'appel peut être saisi d'un déclinatoire de compétence, il statue sur le moyen et renvoie la cause, s'il y a lieu, devant le juge d'appel compétent » (art. 643).
Ces dispositions forment un ensemble cohérent qui permet d'une part de limiter les appels dilatoires contre les décisions rendues sur la compétence et d'autre part de régler rapidement les contestations relatives à la compétence du premier juge qui se prolongeraient en degré d'appel en renvoyant, le cas échéant, directement la cause au juge d'appel compétent. Le mécanisme prévu a ainsi été conçu afin d'éviter que le jugement de la cause soit inutilement retardé par des incidents de compétence, lorsque ceux-ci sont tranchés par le juge saisi et non par le tribunal d'arrondissement.
Cet ensemble cohérent fait défaut dans l'interprétation proposée par l'intimé, puisque l'art. 643 ne s'applique pas au déclinatoire de juridiction, qui n'aboutit en principe pas à une décision de renvoi vers la juridiction compétente, que ce soit en première instance ou en degré d'appel.
Le jugement statuant sur la compétence internationale des juridictions belges ne constitue donc pas une « décision rendue sur la compétence » au sens des art. 1050, al. 2, et 1055 du Code judiciaire.
Toute interprétation contraire provoque une situation incongrue lorsque le juge saisi du déclinatoire de juridiction décide que les juridictions belges ne sont pas compétentes pour connaître de la demande qui lui est soumise.
Il faudrait en effet, dans ce cas, qu'une procédure soit intentée devant une juridiction étrangère, dont la décision de première instance devrait être attendue avant que le jugement ayant statué sur la compétence internationale des juridictions belges puisse être frappé d'appel. Il est facile d'imaginer l'imbroglio que des appels interjetés dans un telle circonstance pourraient générer.
Une solution asymétrique a été imaginée pour autoriser l'appel immédiat d'un jugement s'il a fait droit au déclinatoire de juridiction, tout en refusant l'appel immédiat au cas où le jugement l'a rejeté. Cette solution implique soit une violation de la notion de 'jugement définitif' au sens des arts. 1050, al. 2, et 1055, soit un raisonnement contradictoire : en effet, un jugement qui statue sur un déclinatoire de juridiction ne peut pas être « une décision rendue sur la compétence » s'il rejette le déclinatoire mais ne pas l'être s'il l'accueille.
3. Quant à la compétence internationale des juridictions belges
Conformément à l'art. 12 du Code de droit international privé et à l'art. 17 du règlement (CE) no. 2201/2003 du conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (appelé ci-après 'règlement Bruxelles IIbis' ou 'règlement'), le juge saisi vérifie d'office sa compétence internationale dès qu'il constate un élément d'extranéité dans le litige.
En l'espèce, les enjeux de cette question semblent essentiellement perçus par les parties en termes de confort personnel (accessibilité du tribunal, langue de la procédure,...), ce qui ne coïncide cependant pas avec les objectifs du règlement Bruxelles IIbis.
3.1. La résidence habituelle de l'enfant au moment de la saisine
Le législateur européen a choisi la résidence habituelle de l'enfant, au moment où la juridiction est saisie, comme critère de rattachement général pour déterminer la compétence internationale des juridictions des États membres en matière de responsabilité parentale (art. 8 du règlement Bruxelles IIbis).
Ce critère de proximité a été choisi en vue de l'intérêt supérieur de l'enfant (12ème considérant du préambule) et repose sur l'idée que les juridictions de l'État membre de la résidence habituelle de l'enfant sont les mieux placées pour statuer sur toutes les questions qui touchent à la responsabilité parentale.
Pour déterminer la résidence habituelle de l'enfant, notion qui n'est pas définie par le règlement, il convient de tenir compte d'un facteur intentionnel et d'un facteur de durabilité, qui doivent être appréciés à l'aide d'un ensemble d'éléments de faits et d'indices.
En l'espèce, N est né le 8 septembre 2006 en Pologne. Il a vécu de janvier à juillet 2007 en Belgique. Il est retourné le 1er août 2007 en Pologne, où il résidait encore le 3 décembre 2007, date du dépôt de la requête initiale, et où il réside d'ailleurs toujours à l'heure actuelle.
Il est manifeste qu'en date du 3 décembre 2007 la résidence habituelle de l'enfant était située à en Pologne.
Monsieur E.F. ne le conteste pas et l'admettait d'ailleurs déjà explicitement dans sa requête initiale (p. 3, al. 3 e.s.)
3.2. Le non-retour illicite de l'enfant en Belgique
C'est sur la notion de 'non-retour illicite' et donc sur l'art. 10 du règlement Bruxelles IIbis que monsieur E.F. s'appuie pour soutenir que les juridictions belges sont compétentes pour connaître de ses demandes.
3.2.1. Les notions utilisées par le règlement Bruxelles IIbis
Le règlement Bruxelles IIbis entend par 'déplacement ou non-retour illicites d'un enfant' : « le déplacement ou le non-retour d'un enfant lorsque (a) il a eu lieu en violation d'un droit de garde résultant d'une décision judiciaire, d'une attribution de plein droit ou d'un accord en vigueur en vertu du droit de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour et (b) sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus » (art. 2.11).
Il entend par 'droit de garde' : « les droits et obligations portant sur les soins de la personne d'un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence » (art. 2.9).
Il précise que « la garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l'un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l'enfant sans le consentement d'un autre titulaire de la responsabilité parentale » (art. 2.11).
Il paraît évident que le droit de décider du lieu de résidence de l'enfant implique le droit de décider du lieu sa résidence habituelle.
La distinction entre 'déplacement' et 'non-retour' n'est pas précisée au règlement. Le 'déplacement' illicite vise le cas où un des parents, sans le consentement de l'autre, emmène l'enfant commun en dehors du pays dans lequel celui-ci a sa résidence habituelle. Le 'non-retour' illicite vise le cas où un des parents, après avoir emmené l'enfant commun vers un autre pays (généralement mais pas nécessairement dans le cadre de l'exercice de son 'droit de visite'), ne le ramène pas dans les délais fixés au pays dans lequel l'enfant a sa résidence habituelle.
3.2.2. La résidence habituelle en Belgique immédiatement avant le déplacement de l'enfant
Les explications fournies et les pièces produites par les parties démontrent à suffisance que, de janvier à juillet 2007, N et ses deux parents avaient leur résidence habituelle à Schaerbeek (Belgique), où ils ont vécu sous le même toit et où ils ont été domiciliés. La circonstance que madame K. a conservé un domicile en Pologne est sans intérêt à cet égard.
3.2.3. L'interdiction de modifier unilatéralement le lieu de résidence de l'enfant
Avant l'introduction de la présente procédure, aucun accord écrit et aucune décision judiciaire ne réglait les modalités d'hébergement de N.
Or, tant en droit polonais qu'en droit belge, le droit de décider du lieu de résidence de l'enfant appartient de plein droit à ses deux parents, qui doivent dès lors soit le fixer conjointement soit, en cas de désaccord, soumettre leur litige au juge compétent.
En conséquence, ni monsieur E.F. ni madame K. ne pouvait modifier unilatéralement le lieu de résidence habituelle de leur enfant commun.
3.2.4. Le caractère temporaire du déplacement de l'enfant vers la Pologne
Il n'est pas contesté qu'en août 2007 N a été déplacé vers la Pologne avec le consentement de son père, qui a d'ailleurs acheté son billet d'avion.
Monsieur E.F. soutient cependant que ce déplacement organisé de commun accord n'était pas durable mais temporaire, madame K. ne l'ayant pas informé de son intention de s'installer définitivement en Pologne avec l'enfant.
Les mails échangés entre les parties en août et septembre 2007, soit peu après le départ de madame K. avec l'enfant, fournissent des indications à ce sujet :
– Mail de monsieur E.F. du 16 août : « Quand tu sauras à quelle date tu reviens en Belgique, merci de me le dire comme ça j'achèterai le billet d'avion. C'est moins cher quand on s'y prend d'avance. J'aimerais venir voir N quelques jours en Pologne, mais je ne suis pas sûr que ce soit possible... ».
– Mail de madame K. du 20 août : « Je ne sais pas à quelle date je viens en Belgique, je sais ca va pas possible plus vite quand débute octobre. Apres il y a question comment tu voire notre vivre en Belgique, mais je te laisse ca pour reflechie... Ies facts sont comme sont, tu connes mon situation là-bas, je n'a pas ni travaile ni mon maison. Si tu va pense comment on peut organise notre vivre la-bas pronde les facts, pas ca que peut être va passe on future, pas imagination, mais situation reale ».
– Mail de monsieur E.F. du 23 août : « Je ne comprends pas ce que tu veux dire. C'est toi qui voulais chercher un travail en Belgique et rester en Belgique ».
– Mail de madame K. du même jour : « Je n'ai voulu pas dire que je ne voulais pas rester en Belgique, je veux bien mais ca depend si je trouverai bon travail et si ce possible je me débruille là-bas. Si je retrouverai meilleur travail en Pologne je vais rester ici. Pour toi j'ai lesse pour reflechier comment tu voir notre vivre la bas, si on peut vivre dans la meme maison? si on peut pas discuter? si j'aurai vivre la bas, sans la famille et sans les amies ca vais bcp plus difficile pour moi et je dois savoir si tu est persone qui je peut faire confionce, si tu m'aiderai et si tu peut etre proche avec moi (peut-être c'est trop tot) ».
– Mail de madame K. du 24 août : « Je vois que un chose entre nous c'est jugement. (...) Si c'est possible que je va faire ca (jugement) en Pologne, je n'arrive pas en Bruxelles ».
– Mail de monsieur E.F. du même jour : « Pour la question de la garde de l'enfant etc... tu m'avais bien garanti que tu reviendrais en Belgique pour le faire. Ce n'est pas gentil de me menacer comme ça (...) Je peux t'héberger le temps que tu trouves un travail et un logement, c'est ce qui était prévu. Tu me disais bien 'je ne veux pas retourner en Pologne, il n'y a pas d'avenir pour moi là-bas, je veux rester en Belgique' ».
– Mail de madame K. du même jour : « J'ai bcp envie de rester en Belgique, mais je ne suis pas masochiste, je ne veux pas habite avec toi ni un journe ».
– Le 5 septembre (soit deux jours avant son départ en Pologne pour y rendre visite à son fils), monsieur E.F. écrit : « Est-ce que tu sais quand tu voudrais revenir en Belgique? ».
– Il aborde cette question à nouveau le 20 septembre – « Est-ce que tu as décidé quand revenir en Belgique? Pour début octobre ce serait bien, car ça fera un mois que je n'ai pas vu Nico » – puis le 3 octobre : « Comment ça se passe pour ton mémoire? Normalement tu devais le finir avant fin septembre. Est-ce que tu as du temps en plus ou quoi? J'espère que tu te rappelles que ta carte de séjour est valide pour 5 mois, donc en fin novembre elle sera expirée (terminé). Comment tu voudras faire avec ça? Si tu restes longtemps en Pologne tu vas aussi oublier le français une fois de plus ».
Ainsi, dès le 16 août 2007, soit dès la fin des vacances qu'il a passées au Maroc pendant la première quinzaine d'août, monsieur E.F. s'est informé auprès de madame K. de la date de retour de N en Belgique. Et, le 3 octobre 2007, il pensait encore toujours qu'après avoir clôturé son mémoire elle reviendrait en Belgique avec l'enfant.
Il peut être déduit des éléments du dossier, interprétés à la lumière de ces échanges de mails :
– que le séjour en Pologne devait permettre à madame K. de terminer et défendre son mémoire en vue de l'obtention d'une maîtrise en philosophie à l'université de Torun, ce qui était initialement prévu pour fin septembre 2007 mais a duré plus longtemps que prévu ;
– que monsieur E.F. croyait qu'elle reviendrait en Belgique après l'accomplissement des devoirs nécessaires à l'obtention de son diplôme ;
– qu'en conséquence, le déplacement de N vers la Pologne, avec le consentement de son père, avait un caractère temporaire qui n'impliquait pas de changement de son lieu de résidence habituelle,
3.2.5. L'absence de consentement au changement du lieu de résidence
Nonobstant les affirmations de madame K. et les attestations qu'elle produit, il apparaît établi que l'installation durable de l'enfant en Pologne n'a pas été décidée avec l'accord de monsieur E.F.
En réalité, madame K. semble avoir hésité quant à ce qu'elle allait faire après la fin de ses études – rester en Pologne ou retourner en Belgique – et elle a peut-être éprouvé un malaise grandissant provoqué par l'écart entre les espoirs de monsieur E.F. et ses propres réticences.
Si ces hésitations et ce malaise sont tout à fait compréhensibles, force est néanmoins de constater qu'à aucun moment, entre le 31 juillet 2007 (date à laquelle la résidence habituelle de l'enfant était encore située à Schaerbeek) et le 3 décembre 2007 (date à laquelle il peut être considéré qu'elle était déjà située en Pologne), monsieur E.F. n'a explicitement consenti à l'établissement de la résidence habituelle de l'enfant en Pologne. Il n'est d'ailleurs pas démontré que madame K. ait sollicité ce consentement pendant cette période, alors qu'elle savait ou devait savoir, eu égard aux mails échangés, que monsieur E.F. attendait son retour en Belgique avec impatience.
Madame K. aurait dû, au plus tard au moment où son séjour en Pologne basculait du temporaire au durable, soumettre son projet à la concertation avec monsieur E.F., puis obtenir soit son accord soit une autorisation de l'autorité judiciaire belge. Elle ne l'a manifestement pas fait.
En décidant unilatéralement de transférer vers la Pologne la résidence habituelle de N qui était précédemment établie en Belgique, elle a agi au mépris du 'droit de garde' de monsieur E.F., co-titulaire de l'autorité parentale sur l'enfant et du droit de décider du lieu de sa résidence.
Certes, les notions d'enlèvement parental, de rapt et de kidnapping, que monsieur E.F. n'a pas évoquées mais que madame K. croit déceler en filigrane à travers son argumentation, ne sont pas appropriées en l'espèce.
Cependant, même s'il est possible que madame K. n'en ait pas eu conscience, les faits soumis à la cour sont néanmoins constitutifs de non-retour illicite au sens de l'art. 2.11 du règlement Bruxelles IIbis, parce qu'elle ne pouvait pas établir la résidence habituelle de l'enfant en Pologne sans avoir recueilli le consentement de monsieur E.F. ou l'autorisation de l'autorité judiciaire compétente.
Il est sans intérêt, à cet égard, que l'enfant soit né en Pologne et qu'il ait la nationalité polonaise.
3.3. L'application de l'art. 10 du règlement Bruxelles IIbis
3.3.1. L'acquiescement postérieur au non-retour illicite
Conformément à l'art. 10, a), du règlement Bruxelles IIbis, les juridictions de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son non-retour illicite perdent leur compétence lorsque l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État et que la personne ayant le droit de garde a acquiescé au non-retour.
En l'espèce, un écrit que monsieur E.F. a rédigé le 23 février 2008 en deux versions, l'une non signée et l'autre signée mais raturée, énonce notamment : « Je suis d'accord pour que l'enfant habite avec sa mère et qu'elle en ait la garde principale. Je souhaite garder contact avec mon fils et lui rendre visite aussi souvent que possible pour avoir une bonne relation père-fils ».
Dans une autre attestation manuscrite, signée et datée du 16 août 2008, il a déclaré : « Je soussigné déclare que mon ex-compagne Karolina K. n'a pas enlevé notre enfant N, et elle n'en est pas accusée. Je suis d'accord pour qu'elle choisisse son lieu de vie avec notre enfant dont elle a la garde principale. La requête que j'ai déposée au tribunal de Bruxelles a pour but de fixer les modalités de visite, le montant de la pension alimentaire et le droit à participer aux choix d'éducation de l'enfant, et n'a pas pour but d'accuser madame K. ».
Ces attestations, incontestablement écrites à la demande de madame K., ont peut-être fait suite à une certaine pression.
Toutefois, le retour de N en Belgique n'est revendiqué dans aucun des écrits de procédure de monsieur E.F. qui, dès sa requête en première instance, a demandé au tribunal de « dire que l'enfant sera hébergé à titre principal chez sa mère, aussi longtemps que celle-ci résidera en Pologne » et qui dit encore dans ses conclusions d'appel du 24 février 2009 : « Bien qu'il ignore les intentions précises de madame K. quant à un éventuel retour de N en Belgique, monsieur E.F. n'avait pas l'intention, en introduisant la présente procédure, d'exiger le retour de l'enfant, au sens de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, mais entendait, compte tenu du bas âge de l'enfant, que son droit aux relations personnelles puisse être réglé sans tarder » (p. 11).
Il résulte de ces éléments que monsieur E.F. ne revendique pas le retour de N en Belgique mais propose au contraire, eu égard à l'âge de l'enfant et au coût des déplacements entre Bruxelles et la Pologne, de se rendre sur place, en Pologne, pour s'occuper de l'enfant. L'enjeu n'est pas – comme souvent dans des litiges fondés sur les arts. 10 et suivants du règlement – de savoir dans quel pays la résidence principale de l'enfant doit être établie.
Il doit en être déduit que monsieur E.F. – qui, tout au long de la procédure, s'est montré remarquablement patient et conciliant – a finalement acquiescé au non-retour de l'enfant en Belgique.
Or, dès l'instant où N a acquis une résidence habituelle en Pologne et où monsieur E.F. a acquiescé à son non-retour en Belgique, les juridictions belges perdent leur compétence pour connaître du litige, ce qui est tout à fait logique eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur européen.
Entre le consentement (ou l'autorisation) nécessaire à la modification du lieu de résidence de l'enfant, et l'acquiescement au sens de l'art. 10, a), du règlement, il y a un écart chronologique et une différence de nature.
Madame K. a mis monsieur E.F. devant un fait accompli. Ce dernier a fait preuve de souplesse et de bon sens en se résignant à la situation.
L'acquiescement du père est postérieur au non-retour illicite de l'enfant, et ne le fait pas disparaître.
Mais l'existence de l'acquiescement exclut la compétence internationale des juridictions belges sur la base de l'art. 10 du règlement Bruxelles IIbis.
En conséquence, madame K. fait valoir à juste titre que les juridictions belges ne sont pas compétentes pour connaître des demandes.
Son appel est fondé.
3.3.2. L'absence de demande de retour en Belgique
A titre surabondant, la cour relève l'existence d'un autre motif pour lequel les juridictions belges ne sont pas compétentes pour connaître de la demande en application de l'art. 10 du règlement Bruxelles IIbis.
En effet, conformément à l'art. 10, b), i), les juridictions de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son non-retour illicite perdent leur compétence lorsque les quatre conditions suivantes sont remplies :
– l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État ;
– il y a résidé pendant au moins un an après que le titulaire du droit de garde a eu connaissance du lieu où se il trouve ;
– il s'est intégré dans son nouvel environnement ;
– aucune demande de retour n'a été faite auprès des autorités compétentes de l'État où l'enfant est retenu dans un délai d'un an après que le titulaire du droit de garde a eu connaissance du lieu où l'enfant se trouve.
En l'espèce, ces quatre conditions sont remplies : N réside depuis 21 mois en Pologne, où il a acquis une résidence habituelle et où il s'est incontestablement intégré dans son nouvel environnement ; et monsieur E.F., qui a d'emblée eu connaissance du lieu où son fils se trouve, n'a introduit aucune demande de retour auprès des autorités compétentes en Pologne.
4. Quant aux mesures provisoires
La cour n'est pas en mesure de prendre des mesures provisoires et conservatoires sur la base de l'art. 20 du règlement Bruxelles IIbis, parce que N n'est pas présent en Belgique.
5. Quant aux dépens
Vu la qualité des parties, il convient de compenser les dépens des deux instances comme il sera précisé ci-après.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, chambre de la jeunesse,
Statuant contradictoirement,
Vu l'art. 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,
Entendu monsieur l'avocat général Nouwynck en son avis,
Reçoit l'appel et le déclare fondé.
Met le jugement attaqué à néant.
Statuant à nouveau,
Dit pour droit que les juridictions belges ne sont pas compétentes pour connaître des demandes formées par monsieur E.F.