I. OBJET DES DEMANDES :
Attendu que les SA BUREAU GERARD et SC BUREAU GERARD DIFFUSION poursuivent la condamnation des défendeurs, solidairement et indivisiblement, à leur payer la somme en principal de 964.000 BEF (800.000 BEF + TVA 20,5 %) augmentée des intérêts conventionnels au taux de 8 % l'an depuis le 8 juillet 1994 ainsi que d'une indemnité de 120.000 BEF (soit 15 % du montant dû en principal, par application de l'art. 6 des conditions générales d'intervention des demanderesses), outre les intérêts judiciaires, les dépens, et le caractère exécutoire du jugement à intervenir nonobstant tous recours, caution ou offre de cantonnement ;
Attendu que l'intervenante volontaire SA COBEMA sollicite la condamnation solidaire et indivisible des défendeurs à lui payer une somme de 3.000 000 BEF à titre de dommages et intérêts pour non-exécution fautive et abusive du contrat de cession des parts de la SARL ALFRED SELIGMANN - réduite, subsidiairement, à la somme de 1.000 000 BEF à titre de dommages et intérêts pour culpa in contrahendo - outre les intérêts judiciaires, les dépens, et le caractère exécutoire par provision du jugement à intervenir, nonobstant tous recours et sans caution ni offre d'affectation spéciale ;
II. QUANT A L'EXCEPTION D'INCOMPETENCE TERRITORIALE SOULEVEE PAR LES DEFENDEURS IN LIMINE LITIS :
Attendu que les demandeurs fondent la compétence du Tribunal de céans sur l'art. 8 des conditions générales d'intervention de la 1ère demanderesse, annexées au contrat du 12 avril 1995 et signées par les défendeurs, et qui disposent qu'« en cas de litige les tribunaux de Bruxelles seront seuls compétents. » ;
Attendu que les défendeurs étant de nationalité luxembourgeoise, il convient d'avoir égard, en ce qui les concerne, non seulement à l'art. 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1958 mais également à l'art. 1, al. 2 de son Protocole ;
Que l'art. 17 de la convention dispose que « la convention attributive de juridiction doit être conclue soit par écrit, soit verbalement avec confirmation écrite, soit, dans le commerce international, en une forme admise par les usages dans ce domaine et que les parties connaissent ou sont censées connaître » ;
Que l'art. 1, al. 2 du Protocole dispose quant à lui que « toute convention attributive de juridiction au sens de l'art. 17 ne produit ses effets à l'égard d'une personne domiciliée au Luxembourg que si celle-ci l'a expressément et spécialement acceptée. » ;
Qu'appelée à se prononcer sur la portée de cette dernière disposition, la Cour de Justice des Communautés Européennes a précisé « qu'une clause attributive de juridiction au sens de cette disposition ne peut être considérée comme expressément et spécialement acceptée par une personne domiciliée au Luxembourg que si, en plus de la forme écrite exigée par l'art. 17 de la convention, cette clause fait l'objet d'une disposition qui lui est particulièrement et exclusivement consacrée et qui a été spécialement signé
e par la partie domiciliée au Luxembourg, la signature de l'ensemble du contrat n'étant pas, quant à elle, suffisante à cet égard. Il n'est toutefois pas nécessaire que cette clause soit mentionnée sur un document distinct de celui qui constitue l'instrumentum du contrat. » (« Arrêt Porta-Leasing », CJCE, 6 mai 1980, JT 1980, p. 669) ;
Que la jurisprudence, approuvée par la doctrine, en a déduit que l'acceptation globale, eût-elle été expresse, par une personne domiciliée au Luxembourg, de conditions générales de vente contenant, parmi d'autres, une clause d'élection de for, ne rencontrait pas l'exigence du consentement non seulement exprès mais spécial posée par l'art. 1, al. 2 du Protocole (BORN et FALLON, Droit judiciaire privé (chronique de jurisprudence 1978-1982), JT 1983, p. 207, no. 94 et la jurisprudence citée) ;
Attendu qu'en l'espèce, les défendeurs ont apposé leur signature au bas du contrat lui-même (lettre de la demanderesse du 12 avril 1994) ainsi qu'au bas des conditions générales d'intervention annexées audit contrat, dont l'art. 8 est relatif à l'attribution de compétence aux tribunaux de Bruxelles ;
Attendu que s'il n'est pas contestable qu'ainsi, les défendeurs ont marqué leur accord exprès sur cette clause d'attribution de compétence, force est de constater par contre que cette acceptation ne fut pas « spéciale » au sens de l'art. 1, al. 2 du Protocole ;
Attendu en effet que la signature apposée par le 1er défendeur au bas des conditions générales d'intervention constitue, manifestement, une signature pour acceptation de l'ensemble de ces conditions générales ainsi qu'il ressort de la mention précédant cette signature, qui énumère les articles des conditions générales qui avaient fait l'objet de biffures (« 3 alinéas barrés : 2/4, 1er al. et 5 a ») ;
Que vainement les demanderesses soulignent que les défendeurs ont marqué leur accord, paragraphe par paragraphe, sur toutes les parties du texte du corps du contrat et des conditions générales, en paraphant les phrases et/ou morceaux de phrases sur lesquelles ils ne pouvaient, précisément, marquer leur accord, et qu'en précisant, au bas des conditions générales, « 3 alinéas barrés : 2/4 al. 1 et 5 a », cela signifiait que toutes les autres clauses recontraient leur complète et totale approbation ;
Que cette argumentation est pertinente pour démontrer que les défendeurs ont bien marqué expressément leur accord sur la clause attributive de compétence, mais ne permet pas de considérer que cette clause a fait l'objet d'une signature spéciale ainsi que l'exige l'art. 1, al. 2 du Protocole tel qu'interprété par la Cour de Justice des Communautés Européenne ;
Que l'on ne peut, en effet, considérer que cette exigence de signature spéciale puisse être remplie autrement que par la formalité qu'elle exige, à savoir que le défendeur ait apposé sa signature spécialement au regard de la clause attributive de compétence, outre sa signature sur l'ensemble des autres clauses du contrat ;
Que vainement également les demanderesses soutiennent que la signature figurant aux conditions générales se situerait à côté de la clause attributive de compétence, et qu'ainsi elle répondrait à l'exigence de spécialité prévue par le Protocole ;
Que cette affirmation est inexacte en fait ;
Que la signature en question se situe, en effet, au bas des conditions générales ;
Que, certes, l'art. 8 de ces conditions générales, contenant l'élection de for, en est le dernier article et qu'ainsi la signature se trouve juste en dessous de cette clause ;
Que toutefois la mention manuscrite qui précède cette signature (« 3 al. barrés : 2/4, 1er al. et 5 a ») indique clairement que cette signature a été donnée pour l'ensemble des conditions générales et non pour l'art. 8 spécialement ;
Qu'il n'y a pas de signature spéciale et distincte qui se rapporte exclusivement à la clause d'élection de for ;
Attendu qu'il convient, quant à la ratio legis de l'art. 1, al. 2 du Protocole de ne pas y voir une protection supplémentaire du consentement des personnes domiciliées au Luxembourg, ce qui ne pourrait s'expliquer dès lors que l'art. 17 de la convention protège suffisamment le consentement des parties et que l'on ne pourrait considérer que les personnes domiciliées au Luxembourg nécessiteraient une protection accrue, au motif qu'elles seraient plus faibles ou moins attentives aux clauses attributives de juridiction que les personnes domiciliées dans d'autres états contractants ;
Qu'en réalité, la finalité de l'art. 1, al. 2 du Protocole doit s'analyser à la lumière de celle identique, qu'assure l'art. 1, al. 1 de ce Protocole, et qui a pour objectif d'éviter que les personnes domiciliées au Luxembourg soient contraintes de comparaître en justice à l'étranger plus fréquemment que les justiciables domiciliés dans d'autres Etats et, subséquemment, d'éviter un désaisissement trop fréquent des juridictions luxembourgeoises (JCP, Rep. procédure, t I, v° Convention de Bruxelles, no. 64, p. 24) ;
Attendu en effet que la nature particulière des relations économiques entre le Luxembourg et les autres Etats contractants a pour conséquence que la plupart des obligations contractées par une personne domiciliée au Luxembourg sont exécutées ou doivent l'être hors de cet Etat et qu'ainsi, sans la protection spéciale de l'art. 1, al. 1 du Protocole, le défendeur domicilié au Luxembourg pourrait dans la majorité des cas être attrait devant des tribunaux non luxembourgeois (P. JENARD, Rapport sur la convention concernant la compétence judiciaire, JOCE, 5-0379, C 59, p. 63 ; G. DROZ, Compétence judiciaire et effet des jugements dans le marché commun, DALOZ, no. 172, no. 165) ;
Que, dans la même optique, l'art. 1, al. 2 du Protocole énonce des conditions solennelles de validité visant à éviter la désertion des tribunaux luxembourgeois (A. HUET, Chronique de jurisprudence de la CJCE, JDI - CLUNET, 1980, p. 934 et ss, spéc. no. 935 et les références citées) ;
Que tel est le cas de l'exigence d'une signature spécialement consacrée à la clause d'élection de for ;
Attendu qu'il ressort des considérations qui précèdent que l'exception d'incompétence soulevée par les défendeurs l'est à bon droit ;
Attendu que les défendeurs ne sollicitent aucune condamnation des demanderesses aux dépens, pour le cas où l'exception d'incompétence qu'ils soulèvent serait accueillie par le Tribunal ;
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant contradictoirement ;
Se déclare incompétent pour connaître des demandes principale et en intervention volontaire ;