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Résumé de la décision Une société luxembourgeoise était en relation commerciale avec une société belge. A la suite d’un contentieux, la société belge intenta une action devant le Tribunal de commerce de Liège (BE) sur la base d’une clause attributive de juridiction contenue dans ses conditions générales et dans ses factures. La société luxembourgeoise contesta la compétence du juge saisi sur la base de l’art. 1 al. 2 du Protocole annexé à la Convention de Bruxelles. Le tribunal s’estima compétent. La défenderesse fit donc appel.
La Cour d’appel de Liège (BE) déclare l’appel fondé. En effet, en vertu de l’art. 1 al. 2 du Protocole annexé à la Convention de Bruxelles, tel qu’interprété par la CJCE (CJCE 6. 5. 1980 - 784/79 - Porta-Leasing), une clause attributive de juridiction ne peut être considérée comme expressément et spécialement acceptée par une personne domiciliée au Luxembourg que si, en plus de la forme écrite exigée par l'art. 17 de la Convention de Bruxelles, elle fait l'objet d'une disposition qui lui est particulièrement et exclusivement consacrée et qui a été spécialement signée par la partie domiciliée au Luxembourg, la signature de l'ensemble du contrat n'étant pas, quant à elle, suffisante à cet égard. Ainsi, en l'espèce, d’une part, les conditions générales de l'offre ne sont pas produites et il n'est pas allégué par la société belge qu'elle contiendrait une clause séparée d'attribution de compétence. D’autre part, la clause attributive de juridiction n’était pas contenue dans la commande écrite mais seulement dans les factures, qui ne l'expriment pas dans une clause particulière, spécialement signée par la société luxembourgeoise.
Attendu que l'appelante, société de droit luxembourgeois, conteste la compétence des tribunaux belges sur pied de l'article 1er du Protocole additionnel de la Convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
Attendu que tant la Convention de Bruxelles de 1968 que le Protocole sont des dispositions de droit communautaire, c'est-à-dire d'ordre supranational, primant les diverses dispositions nationales qui les contrarieraient ou les limiteraient ;
Que les dispositions de compétence ratione loci de ces normes font partie de l'ordre public communautaire et doivent être appliquées par les juges nationaux ;
Attendu que dans la présente cause, l'appelante défenderesse originaire et demanderesse sur reconvention n'a accepté la compétence des tribunaux belges que dans les limites de sa demande reconventionnelle subsidiaire et l'a contestée pour le surplus (cf. ses premières conclusions déposées devant le tribunal de commerce de Liège, le 26 avril 1991, p. 2 in termine et 3 initio et dispositif, p. 4) ;
Attendu qu'en déclarant, en terme de dispositif, se référer à justice sur la recevabilité de la demande principale dirigée contre elle et former subsidiairement une demande reconventionnelle en désignation d'expert, l'appelante a certainement et nécessairement confié aux premiers juges l'obligation de vérifier leur compétence ratione loci conformément aux dispositions supranationales faisant partie de l'ordre public communautaire ;
Qu'elle n'a jamais comparu que sous réserve de sa contestation de la compétence des tribunaux belges à connaître l'action principale dirigée contre elle ;
Qu'il n'y a donc pas eu de prorogation de compétence au sens de l'article 18 de la Convention ;
Attendu que l'appelante, société de droit luxembourgeois, bénéficie du privilège prévu à l'article 1er du Protocole annexé à la Convention, en faveur des ressortissants luxembourgeois ;
Attendu que l'article 1er, alinéa 1er, du Protocole dispose: « Toute personne domiciliée au Luxembourg attraite devant un tribunal d'un autre État contractant en application de l'article 5, 1°, peut décliner la compétence de ce tribunal... » ;
Que c'est donc à tort que les premiers juges ont affirmé leur compétence sur pied de l'article 5, 1°, alors que l'appelante contestait cette compétence dans le cadre de la demande principale ;
Attendu que l'article 1er, alinéa 2, du Protocole dispose: « Toute convention attributive de juridiction au sens de l'article 17 ne produit ses effets à l'égard d'une personne domiciliée au Luxembourg que si elle l'a expressément et spécialement acceptée » ;
Qu'aux termes de cet article, applicable à la présente espèce, un ressortissant luxembourgeois ne peut être attrait devant la juridiction d'un autre État membre que s'il a « expressément » et « spécialement » accepté la clause contractuelle élective de compétence du contrat sur pied duquel il est recherché (Born et Fallon, « Chronique de jurisprudence – Droit judiciaire international », J.T., 1983, p. 207, n° 94) ;
Attendu que le sens et la portée de ces termes ont été établis par la Cour de justice conformément au Protocole du 3 juin 1971 lui conférant le pouvoir exclusif d'interpréter la Convention du 27 septembre 1968 ;
Attendu que la Cour européenne, par arrêt du 6 mai 1980, a interprété ces normes communautaires :
« Il en résulte pour les personnes domiciliées au Luxembourg, deux exigences supplémentaires par rapport aux conditions de l'article 17 de la Convention, qui doivent être cumulativement remplies, à savoir, d'une part, une acceptation expresse et, d'autre part, une acceptation spéciale. La comparaison entre le texte de l'article 17 et celui de l'article 1er du Protocole indique qu'il n'est satisfait à la première de ces conditions que si la convention attributive de juridiction fait l'objet d'une disposition qui lui est particulièrement et exclusivement consacrée ;
« Pour répondre à l'exigence d'une acceptation spéciale, il est, en outre, nécessaire que la clause attributive de juridiction soit spécialement signée pour accord par la partie luxembourgeoise, la simple signature du contrat par cette partie ne suffisant pas pour assurer les garanties visées à l'article 1er, alinéa 2, du Protocole. Il n'est toutefois pas nécessaire que cette clause soit mentionnée sur un document distinct de celui qui constitue l'instrumentum du contrat ».
et a dit pour droit :
« L'article 1er, alinéa 2, du Protocole annexé à la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens qu'une clause attributive de juridiction au sens de cette disposition ne peut être considérée comme expressément et spécialement acceptée par une personne domiciliée au Luxembourg que si, en plus de la forme écrite exigée par l'article 17 de la Convention, cette clause fait l'objet d'une disposition qui lui est particulièrement et exclusivement consacrée et qui a été spécialement signée par la partie domiciliée au Luxembourg, la signature de l'ensemble du contrat n'étant pas, quant à elle, suffisante à cet égard. Il n'est toutefois pas nécessaire que cette clause soit mentionnée sur un document distinct de celui qui constitue l'instrumentum du contrat ».
Attendu que cette décision de la Cour de justice lie les juridictions belges par application de la loi du 18 juillet 1973 approuvant le Protocole du 3 juin 1971 ;
Attendu qu'en l'espèce les conditions générales de l'offre ne sont pas produites, et il n'est pas allégué par l'intimée qu'elle contiendrait une clause séparée d'attribution de compétence spécialement signée par l'appelante, la commande écrite ne contient aucune clause attributive de juridiction, et les factures qui contiennent une telle clause, ne l'expriment pas dans une clause particulière, spécialement signée par l'appelante ;
Attendu que l'appel est fondé ;