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Résumé de la décision Par un jugement de 2006, le Tribunal de la jeunesse d’Eupen (BE) a notamment confié la garde exclusive provisoire d’un enfant à son père, accordé un droit de visite de la mère, assorti d’un encadrement par le service d’assistance judiciaire (décret du 20.03.1995 concernant l’aide à la jeunesse) et fixé la réouverture des débats au 21.11.2007. Par ordonnance du 23.05.2007, le Tribunal, après avoir constaté que l’enfant avait sa résidence habituelle depuis plus de trois mois en Allemagne, se déclara incompétent au profit d'une juridiction allemande. En deuxième instance, la Cour d'appel de Liège (BE) confirma cette ordonnance au motif que, l’enfant disposant d’un « domicile officiel » en Allemagne depuis le mois d’août, les juridictions allemandes étaient les seules compétentes en vertu de l’art. 9 n°1 du Règlement « Bruxelles II bis». L’affaire fut portée devant la Cour de cassation (BE).
La Cour de cassation casse l’arrêt attaqué. Le Règlement « Bruxelles II bis » est applicable en l’espèce. En effet, en vertu de son art. 1 n°1 et n°2, ce Règlement concerne, entre autres, les droits de garde et de visite ainsi que le placement d'un enfant dans une famille d’accueil ou dans un établissement. Le fait que la question de la responsabilité parentale puisse relever du droit public au sens du droit interne ne fait pas obstacle à son application. Il est donc applicable dans le cadre de l’aide judiciaire à la jeunesse prévue par le décret du 20.03.1995 lorsque la mesure prise consiste à confier le jeune à l’un de ses parents. Toutefois, le premier juge, qui n’avait pas épuisé sa saisine, ne pouvait pas se déclarer incompétent sur le fondement de l’art. 9 n°1 puisqu’en vue de renvoyer la cause devant une juridiction allemande, il lui incombait d'appliquer la procédure de coopération prévue par l’art. 15 du même texte. En confirmant l'ordonnance, les juges d’appel n’ont donc pas légalement justifié leur décision.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen pris, d'office, de la violation des arts. 1er, 2, 8, 9 et 15 du règlement (CE) no. 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (Règlement Bruxelles II [corr.: Bruxelles II bis]) et 2, 3, 6, 27, para. 1er, 28, 13°, et 30 du décret du 20 mars 1995 du Conseil de la Communauté germanophone concernant l'aide à la jeunesse :
1. Le Règlement Bruxelles II [corr.: Bruxelles II bis] établit des règles de compétence, de reconnaissance et d'exécution notamment en matière de responsabilité parentale, que l'art. 2, 7°, définit comme l'ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d'une décision judiciaire, d'une attribution de plein droit ou d'un accord en vigueur, à l'égard de la personne ou des biens d'un enfant, en ce compris le droit de garde et le droit de visite.
2. En vertu de l'art. 1er, 1 et 2, dudit règlement, celui-ci s'applique notamment, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives à l'attribution, à l'exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale. Ces matières concernent, entre autres, le droit de garde et le droit de visite, ainsi que le placement de l'enfant dans une famille d'accueil ou dans un établissement. La circonstance que la question spécifique de la responsabilité parentale peut relever du droit public au sens du droit interne ne fait pas obstacle à l'application de ce règlement.
Ainsi, il est d'application dans le cadre de l'aide judiciaire à la jeunesse organisée par le décret du 20 mars 1995 du Conseil de la Communauté germanophone concernant l'aide à la jeunesse lorsque la mesure prise consiste à confier le jeune à l'un de ses parents.
3. Aux termes de l'art. 8, 1, du règlement précité, les juridictions d'un Etat membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l'égard d'un enfant qui réside habituellement dans cet Etat membre au moment où la juridiction est saisie.
L'art. 9, 1, prévoit que, par dérogation à cette disposition, lorsqu'un enfant déménage légalement d'un Etat membre dans un autre et y acquiert une nouvelle résidence habituelle, les juridictions de l'Etat membre de l'ancienne résidence habituelle de l'enfant gardent leur compétence durant une période de trois mois suivant le déménagement, pour modifier une décision concernant le droit de visite rendue dans cet Etat membre avant que l'enfant ait déménagé, lorsque le titulaire du droit de visite en vertu de la décision concernant le droit de visite continue à résider habituellement dans l'Etat membre de l'ancienne résidence habituelle de l'enfant.
4. Lorsqu'une juridiction compétente a été saisie, elle conserve sa compétence même si l'enfant acquiert une résidence habituelle dans un autre Etat membre au cours de la procédure.
Toutefois, aux conditions fixées par l'art. 15, les juridictions d'un Etat membre compétentes pour connaître du fond peuvent, si elles estiment qu'une juridiction d'un autre Etat membre avec lequel l'enfant a un lien particulier est mieux placée pour connaître de l'affaire et lorsque cela sert l'intérêt supérieur de l'enfant, demander à la juridiction de cet autre Etat membre d'exercer sa compétence.
5. Il s'ensuit qu'après la saisine du tribunal compétent d'un Etat membre, le changement de résidence de l'enfant dans un autre Etat membre n'entraîne pas de plein droit un transfert de la compétence à une juridiction de cet autre Etat.
6. Le 9 mars 2005, le procureur du Roi a saisi le tribunal de la jeunesse d'Eupen sur la base des arts. 27, paras. 1er et 3, 28, 29 et 30 du décret précité.
7. Par jugement du 20 décembre 2006, ledit tribunal a confié la garde exclusive de l'enfant au défendeur, son père, pour une durée de deux ans. Il a également déterminé les conditions d'un droit de visite de la demanderesse, la mère de l'enfant, assorti d'un encadrement par le service d'assistance judiciaire, et a ordonné une expertise. Il a enfin fixé la réouverture des débats au 21 novembre 2007.
8. Par ordonnance du 23 mai 2007, le tribunal précité, après avoir constaté que l'enfant avait sa résidence habituelle depuis plus de trois mois auprès du défendeur en Allemagne, s'est déclaré incompétent et a renvoyé la cause devant le « Familiengericht » du « Amtsgericht » de Königswinter.
9. Le premier juge, qui n'avait pas épuisé sa saisine, ne pouvait pas se déclarer incompétent au motif que l'enfant a une résidence habituelle depuis plus de trois mois en Allemagne. En vue de renvoyer la cause devant une juridiction allemande, il lui incombait en effet de faire application de la procédure de coopération prévue par l'art. 15 du Règlement Bruxelles II [corr.: Bruxelles II bis].
10. En confirmant le jugement entrepris au motif que, l'enfant disposant d'un « domicile officiel » en Allemagne depuis le mois d'août 2005, les juridictions allemandes sont seules compétentes en vertu de l'art. 9, 1, dudit règlement, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué ;