A) LES FAITS DE LA CAUSE :
Madame H a été occupée par la partie défenderesse dans le cadre d'un contrat d'emploi à durée indéterminée conclu le 1/12/2004.
Elle était domiciliée en Belgique (Sprimont) tandis que la Société avait son siège au Luxembourg.
Ses fonctions étaient celles de déléguée commerciale.
L'art. 1er du contrat stipulait notamment que :
– « 2. le lieu de travail sera situé à 2 rue Fort du Moulin, L- 1425 Luxembourg et à de la consultance à l'étranger ;
– 3. selon les besoins opérationnels objectifs de la Société, l'Employé peut être amené à exécuter des missions temporaires à l'étranger ».
L'art. 10 du contrat stipule que « Droit applicable et compétence : le présent contrat sera régi selon le droit du Grand-Duché du Luxembourg. Tout litige y relatif ayant trait qui ne pourrait être résolu à l'amiable sera soumis aux juridictions du grand-Duché de Luxembourg ».
Le 25/11/2005, la partie défenderesse a mis fin au contrat, moyennant préavis de 3 mois (législation belge), pour des raisons économiques.
Les prestations ont été soumises à la sécurité sociale belge (voir compte individuel : retenues ONSS).
Divers courriers furent adressés par la partie demanderesse à la partie défenderesse relativement au paiement de ses arriérés de rémunération et ses pécules de vacances.
Par lettre du 28/3/2006, la partie défenderesse proposa de payer sa dette suivant un plan d'échelonnement.
Par un courriel du 5/12/2006, madame H sollicita un rendez-vous précis afin de rendre le matériel toujours en sa possession.
Elle dépose une attestation datée du 18/10/2005, signée par elle et 4 autres personnes, suivant laquelle la partie défenderesse n'aurait jamais eu de domicile réel à l'adresse luxembourgeoise, de sorte qu'elle n'aurait ou y rapporté le matériel lui réclamé.
N'obtenant pas satisfaction à ses revendications, la partie demanderesse a introduit la présente procédure.
B) OBJET DE LA DEMANDE ET THESES DES PARTIES :
Par ses conclusions de synthèse, la partie demanderesse postule à titre principal condamnation de la défenderesse au paiement des sommes suivantes :
– 343,44 EUR brut au titre de rémunération de décembre 2005 ;
– 330,23 EUR brut au titre de prime de fin d'année 2005 ;
– 350,84 EUR au titre de rémunération de janvier 2006 ;
– 350,84 EUR au titre de rémunération de février 2006 ;
– 58,47 EUR brut au titre de prime de fin d'année 2006 ;
– 653,38 EUR brut au titre de pécule de sortie 2005 ;
– 116,61 EUR brut au titre de pécule de sortie 2006 ;
Elle réclame condamnation de la défenderesse au paiement des intérêts légaux et judiciaires sur les sommes brutes.
Elle sollicité que la demande reconventionnelle soit dite non fondée.
Elle réclame condamnation de la défenderesse au paiement des dépens (frais de citation).
A titre subsidiaire, elle développe des moyens et arguments relativement à l'application ou non du nouvel art. 1022 du Code judiciaire (indemnité de procédure).
Par ses conclusions principales, la partie défenderesse soutenait que la demande principale était partiellement fondée.
Elle introduisait une demande reconventionnelle par laquelle elle demandait condamnation de madame H à lui verser la somme de 1.413,15 EUR à augmenter des intérêts de 12 % à partir du 4/5/2006 sur la somme de 1.333,17 EUR à augmenter des intérêts judiciaires sur la somme de 79,98 EUR.
Par ses conclusions additionnelles, la partie défenderesse soutient :
– sur la demande principale, que celle-ci soit déclarée recevable mais non fondée ; qu'il soit dit le contrat dépend du droit luxembourgeois et que les autres avantages ont été crées pour les besoins de la cause grâce à l'aide de monsieur Z ;
– sur la demande reconventionnelle, la dire recevable et fondée.
Elle réclame condamnation de la demanderesse au paiement des dépens (indemnité de procédure).
Les moyens et arguments des parties sont longuement développés dans leurs conclusions.
C) QUANT A LA PROCEDURE :
La partie défenderesse dépose à l'audience copie d'une plainte avec constitution de partie civile reçue au greffe du Juge d'Instruction de liège ce 8/10/2008.
Elle sollicite le renvoi au rôle de l'affaire, invoquant le principe « le pénal tient le civil en l'état ».
La partie demanderesse s'y oppose formellement, estimant que cette attitude est purement dilatoire et qu'il s'agit manifestement d'une entrave au traitement normal du présent litige.
Le tribunal constate que ce moyen et cette pièce sont invoqués sans respecter l'art. 748 du Code judiciaire, alors que la partie défenderesse envisageait de déposer une plainte au pénal dans ses conclusions du 25/6/2008 (attendant attitude de la demanderesse avant fin juillet 2008.
Quoi qu'il en soit, le dépôt en dernière minute de cette plainte est un fait, touchant à l'ordre public et le tribunal se doit d'examiner ce moyen.
Application du principe selon lequel « le criminel tient le civil en l'état » :
L'art. 4, al. 1er, de la loi du 17/4/1878 énonce que « L'action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action publique. Elle peut aussi l'être séparément ; dans ce cas l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique, intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile. ».
Cette règle d'ordre public est exprimée par l'adage « le criminel tient le civil en l'état ».
Comme l'écrit A. FETTWEIS, les conditions d'application de cette règle sont les suivantes : « ...
a)il faut que l'action publique soit déjà intentée, c'est à dire que le magistrat instructeur ou la juridiction répressive soit effectivement saisie ...
b)l'action civile doit être née du même fait que l'action publique dont l'intentement provoque le sursis ou elle doit être relative à des points qui sont communs à une action publique intentée avant ou au cours de l'exercice de l'action civile... En d'autres termes, les faits générateurs de la prétention soumise au juge civil (la cause de la demande), doivent être, en tout ou en partie, ceux qui justifient la saisine du magistrat répressif... ».
(Manuel de procédure civile, Facultés de droit, d'économie et de sciences sociales de Liège, édition 1985, p 438 et 439).
La Cour de cassation a consacré récemment une conception factuelle de la cause (arrêts du 18/11/2004 et du 14/4/2005).
(voir à ce sujet J-F Van Drooghenbroeck, « Le juge, les parties, le fait et le droit », publié dans l'ouvrage Actualités en droit judiciaire, CUP ULG, 12/2005, vol. 83, p. 174 à 239).
La Cour de cassation a en effet jugé que « Le juge est tenu d'examiner la nature juridique des faits invoqués par les parties et, quelle que soit la qualification que celles-ci leur ont donnée, peut suppléer d'office aux motifs invoqués devant lui, dès lors qu'il n'élève aucune contestation dont les parties ont exclu l'existence, qu'il se fonde uniquement sur des faits régulièrement soumis à son appréciation et qu'il ne modifie ni l'objet ni la cause de la demande » (Cass. 14/4/2005, C.03.0148.F,publié sur le site internet de la Cour de cassation).
La cause de la demande principale civile, à savoir le complexe ou l'édifice de faits invoqué à l'appui de la prétention (contrat de travail dont personne ne conteste l'existence : chacune des parties le dépose à son dossier), consiste dans les faits étrangers à l'action publique (plainte pour vol, faux et usages de faux, escroquerie), au regard des termes de la constitution de partie civile déposée.
En revanche, la cause de la demande reconventionnelle civile, à savoir le complexe ou l'édifice de faits invoqué à l'appui de la prétention reconventionnelle, consiste dans les faits en relation étroite avec l'action pénale (plainte pour vol, faux et usages de faux, escroquerie), au regard des termes de la constitution de partie civile déposée.
En conséquence, le tribunal estime que les conditions de surséance à statuer dans l'attente de l'issue qui sera donnée à l'action publique et qui mettra fin à celle-ci, sont réunies en l'espèce en ce qui concerne l'action reconventionnelle.
Elles ne sont pas réunies en l'espèce en ce qui concerne l'action principale.
Le principe « le pénal tient le civil en l'état » ne justifie le renvoi au rôle que pour l'action reconventionnelle.
Le tribunal examinera donc l'action principale.
D) COMPETENCE DES TRIBUNAUX BELGES.
Bien qu'une clause de for est stipulée à l'art. 10 du contrat, la partie défenderesse n'en demande pas application.
Elle ne demande pas in limine litis le renvoi de l'affaire devant un tribunal luxembourgeois.
La partie demanderesse avance qu'elle travaillait chez elle sur le territoire belge, ce qui n'est pas sérieusement contesté par la partie défenderesse (voir les termes de la lettre de licenciement et comptes individuels).
Le tribunal est compétent en application de l'art. 19 du Règlement CE 44/2001 et en application de l'art. 17 de la Convention de Bruxelles (la clause de for est antérieure à la naissance du litige et est donc nulle).
E) RECEVABILITE ET FONDEMENT DE L'ACTION PRINCIPALE :
DROIT APPLICABLE AU CONTRAT :
Le tribunal du travail de Nivelles a jugé que :
« Par application de l'art. 6 de la » Convention de Rome « du 19 juin 1980, si les parties à un contrat de travail présentant des éléments d'extranéité n'ont pas expressément choisi le droit applicable à leurs relations, ce choix peut résulter des dispositions du contrat et des circonstances de la cause sous réserve que la loi choisie par les parties ne peut avoir pour effet de priver le travailleur d'une protection garantie par les lois impératives du lieu d'exécution du contrat.
Les lois belge et française en matière de licenciement offrent une protection comparable : la loi belge n'est pas plus protectrice que la loi française sauf en ce qui concerne la durée du préavis »
(TT Nivelles, 9/3/2006.503/N/2005, sommaire publié sur le site internet JURIDAT).
Par l'art. 10 du contrat, les parties ont convenu du principe selon lequel que le droit luxembourgeois s'appliquait au contrat.
Le contrat a cependant été exécuté selon la législation belge (voir les termes de la lettre de licenciement et comptes individuels dont il ressort que les prestations furent déclarées à l'ONSS).
La partie défendereresse demande que le droit luxembourgeois soit appliqué au contrat.
L'art. 10 du contrat impose t-il d'appliquer le droit luxembourgeois au contrat ?
Des considérations d'ordre public ou des règles impératives s'y opposent-elles ?
Si le droit luxembourgeois devait s'appliquer, contient-il des règles différentes du droit belge en ce qui concerne le droit à la rémunération, aux pécules de vacances et aux primes de fin d'année ?
Les parties ne se sont pas expliquées à ce sujet en termes de conclusions, ni en termes de plaidoieries.
Avant faire droit à la recevabilité et au fond, le tribunal considère qu'il y a lieu d'ordonner d'office la réouverture des débats en application des arts. 774 et 775 du Code judiciaire, afin de permettre aux parties de s'expliquer quant au droit applicable au contrat (question de droit international privé) et de développer leur moyens et arguments quant à la recevabilité et au fond, en fonction de considérations reprises ci-dessus et dans un parfait respect des droits de la défense de chacune des parties.
PAR CES MOTIFS,
Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,
Le Tribunal,
Statuant contradictoirement,
Quant à l'action principale ;
Se déclare compétent pour en connaître ;
Avant faire droit à la recevabilité et au fond, ordonne d'office la réouverture des débats en application des arts. 774 et 775 du Code judiciaire, afin de permettre aux parties de s'expliquer quant au droit applicable au contrat (question de droit international privé) et de développer leur moyens et arguments quant à la recevabilité et eu fond ;
Invite les parties à s'échanger et remettre au tribunal leurs observations écrites sur ces questions, au plus tard le 31/12/2008, sous peine d'être écartées d'office des débats.
Fixe audience à cette fin le 28/1/2009 à 16H 15 pour une durée de 20 minutes.
Quant à l'action reconventionnelle :
Renvoie la cause au rôle en ce qui concerne la demande reconventionnelle, en application du principe « le pénal tient le civile en l'état ».