Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
– art. 149 de la Constitution ;
– art. 5.3 de la Convention du 27 septembre 1968 entre les États membres de la Communauté économique européenne concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, du Protocole et de la Déclaration commune, signés à Bruxelles et approuvés par la loi du 13 janvier 1971 (ci-après dénommée la Convention de Bruxelles).
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué du tribunal de première instance de Bruxelles (21 chambre) du 13 décembre 2004 déclare l’appel fondé aux motifs suivants :
« Ni l’art. 2, al. 5, de la Convention du 4 mai 1971 relatif à la législation applicable aux recours et aux subrogations, ni l’art. 93, al. 1er, du Règlement CEE 1408/71 du 14 juin 1971, ni l’art. 3 du Code civil (belge) n'empêchent que le tribunal doive au préalable examiner sa compétence en la matière. La citation originale affirmait que, sur la base de l’art. 5.3 de la Convention de Bruxelles, le juge du lieu où le dommage s'est produit (se fait ressentir) est compétent (cf. affaire Mines de Potasse) ».
L'art. 5.3 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 dispose que le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait dans un autre État contractant, en matière délictuelle ou quasi-délictuelle : devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit.
Dans les affaires Bier Reinwater / Mines de Potasse d'Alsace (C.J.C.E., 21/76, 30 novembre 1976, R.W., 1976-77, 2217 et J.T., 1977,187), que le demandeur mentionne apparemment dans sa citation, il est affirmé que :
L'expression lieu où le fait dommageable s'est produit' doit être entendue en ce sens que tant le lieu où le dommage est survenu que le lieu ou le fait dommageable s'est produit sont visés. Il s'ensuit que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le juge soit du lieu où le dommage est survenu, soit du lieu du fait causant le dommage.
L'Etat belge affirme que l’accident a évidemment eu lieu en Allemagne mais que le préjudice qui en découle dans son chef, en tant qu'employeur de madame Van Den Weyngaert ayant dû constituer un capital, a été subi en Belgique ou y est né, de sorte que le lieu où est survenu le dommage' se situe en Belgique.
Il apparaît que la Cour de cassation, en se référant à la cause 21/76, a décidé ainsi (Cass., 17 septembre 2002, RG C.98.0065.N et RG C.00.0013.N) :
Suivant les arrêts rendus par la Cour de justice des Communautés européennes le 30 novembre 1976 dans la cause C 21/76 et le 27 octobre 1998 dans la cause C 51/97, il y a lieu d'entendre par le lieu où le fait dommageable s'est produit, soit le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage, soit le lieu où le dommage est survenu. Toutefois, l’art. 5, 3 de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ne peut être interprété de manière à priver de sens la règle générale de compétence de l’art. 2 de la convention précitée ou de multiplier déraisonnablement le nombre de prétoires ; il ressort notamment de l’arrêt rendu le 19 septembre 1995 par la Cour de justice dans la cause C 364/93 qu'il y a lieu d'entendre par le lieu où le dommage est survenu, le lieu où le fait causal a produit directement ses effets dommageables à l’égard de celui qui en est la victime immédiate ; en conséquence, une personne ne peut en principe pas introduire d'action là où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d'un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu ou là où elle supporte les conséquences pécuniaires d'un dommage corporel subi dans un autre État contractant. L'obligation de réparer n'est pas née en Belgique au sens de l’art. 635 du Code judiciaire. Dans ces circonstances, le tribunal est tenu de décider que les tribunaux belges sont incompétents.
Griefs
Première branche
Aux termes de l’art. 5.3 de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait dans un autre État contractant, en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit.
La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes précise la notion « lieu où le fait dommageable s'est produit » : elle doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal. Il en résulte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal soit du lieu où le dommage est survenu, soit du lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage (C.J.C.E., 30 novembre 1976, C-21/76, affaire Mines de Potasse d'Alsace, Jurispr., 1976,1735 ; C.J.C.E., 11 janvier 1990, affaire Dumez France et Tracoba, C-220/88, Jurispr., 1990, I, 49, C.J.C.E., 7 mars 1995, affaire Shevill et crts, C-68/93, Jurispr., 1993, 1, 415 ; C.J.C.E., 19 septembre 1995, affaire Marinari, C-364/93, Jurispr., 1995, I, 2719).
C'est à tort que, dans le jugement attaqué, rendu en degré d'appel, le tribunal s'est déclaré incompétent sur la base de la considération qu'en l’espèce le lieu où le dommage est survenu ne se situerait pas en Belgique.
La cause est relative à la répétition d'un capital que le demandeur a payé à la victime en sa qualité d'employeur sur la base de la loi du 3 juillet 1967 sur la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public (M.B., 10 août 1967). L'obligation du demandeur de payer cette réparation est née en Belgique, dès lors qu'elle est fondée sur le contrat de travail (belge) conclu entre le demandeur et la victime (tous deux Belges), dans le cadre duquel une incapacité de travail a été constatée donnant lieu à la réparation litigieuse.
Il y a lieu, en l’espèce, de distinguer le préjudice de la victime, dont on pourrait alléguer qu'il est né en Allemagne, du préjudice du demandeur, qui est bien né en Belgique et qui est indépendant des conséquences directes de l’accident en Allemagne. Le demandeur doit être considéré comme une « victime immédiate » en Belgique, au sens de l’arrêt de la Cour du 28 février 2002 (R.G. C.98.0065.N et C.00.0013.N, www.cass.be), sur la base de ses obligations issues du droit du travail à l’égard de madame Van Den Weyngaert.
Le tribunal n'a, dès lors, pu légalement décider que les tribunaux belges seraient incompétents (violation de l’art. 5.3 de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale).
(...)
La décision de la Cour
Quant à la première branche :
1. En vertu de l’art. 5, 3 de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ci-après nommée Convention de Bruxelles, le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait dans un autre État contractant, en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit.
2. Par lieu où le fait dommageable s'est produit il faut entendre, suivant les arrêts 21/76 du 30 novembre 1976 et 51/97 du 27 octobre 1998 de la Cour de justice des Communautés européennes, soit le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, soit le lieu où le dommage est survenu.
3. L'art. 5, 3 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ne peut, toutefois, pas être interprétée de manière à ce point extensive que la règle de compétence générale de l’art. 2 de la convention serait vidée de son contenu ou qu'une multiplication déraisonnable des juridictions compétentes s'ensuivrait.
Il ressort notamment de l’arrêt C 364/93 de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 septembre 1995 que le lieu où le dommage est survenu doit être entendu comme le lieu où l’événement causal a eu des conséquences préjudiciables directes pour la personne qui en est la victime directe.
Ainsi, une demande de réparation fondée sur une obligation quasi-délictuelle ne peut être introduite devant le tribunal du lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d'un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu, où du lieu où le demandeur subit les conséquences patrimoniales d'un dommage corporel causé dans un autre État contractant.
4. Les juges d'appel ont constaté que la demande introduite par le demandeur contre la défenderesse tend à la réparation du dommage patrimonial qu'il a subi à la suite d'un accident de la circulation ayant eu lieu en Allemagne et dont la victime était employée par le demandeur.
5. Les juges d'appel ont considéré que les tribunaux belges sont incompétents, dès lors qu'une personne ne peut, en principe, demander une réparation devant le tribunal du lieu où les conséquences préjudiciables se font ressentir d'un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu, ou du lieu où il subit les conséquences patrimoniales d'un dommage corporel causé dans un autre État contractant.
6. Ainsi, les juges d'appel ont légalement justifié leur décision.
7. Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
(...)
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;