La Cour d'appel de Mons, chambre de la jeunesse a rendu l’arrêt suivant :
En cause du Ministère public, contre :
M. R., domicilié au Centre ... (Espagne) ;
Représenté avec autorisation de la cour et sans opposition du Ministère Public par son conseil Maître HUEZ Geoffrey, avocat au barreau de TOURNAI ;
V. M., Comparaissant personnellement, assistée de son conseil Maître MACHOEL Jacqueline, avocat au barreau de TOURNAI ;
M. Y., Comparaissant personnellement, assisté de son conseil Maître DE METS Geert, avocat au barreau de TOURNAI ;
Les 2ème et 3ème cités en leur qualité de civilement responsables et en tant que débiteurs d'aliments envers leur fils mineur ;
Cités pour :
Présenter leurs moyens de défense et s'entendre statuer sur les appels interjetés le 10 août 2006
– par Maître MACHOEL, avocat au barreau de Tournai pour et au nom de la mère V. M.,
– par le Ministère public pour et au nom de son office,
du jugement prononcé le 31 juillet 2006 par le tribunal de la jeunesse de Tournai, lequel jugement :
« Constate que les conditions d'application de l’art. 38 du décret du 4 mars 1991 sont réunies ;
Décide que la mineure M. R. sera rapatrié pour être ensuite temporairement hébergé hors de son milieu familial de vie, en vue de son traitement, de son éducation ou de sa formation professionnelle ;
Ordonne la notification du présent jugement au Directeur de l’aide à la jeunesse en vue de sa mise en oeuvre ;
Ordonne l’exécution provisoire ;
Laisse les frais de la présente instance à charge de l’Etat » ;
Entendu à l’audience du 05 février 2007, date à laquelle les débats ont été repris ab initio ;
– la citée V. M. en ses moyens développés par son conseil Maître MACHOEL Jacqueline, avocat au barreau de TOURNAI, et en ses explications personnelles, Maître MACHOEL dépose un dossier ;
– l’enfant M. R. en ses moyens développés par son conseil Maître HUEZ Geoffrey, avocat au barreau de TOURNAI, qui dépose un écrit de conclusions ;
– le cité M. Y. en ses moyens développés par son conseil Maître DE METS Geert, avocat au barreau de TOURNAI et en ses explications personnelles ;
– le Ministère Public en ses réquisitions ;
Régulièrement formés, dans le délai légal, les appels sont recevables.
V. M. invite la cour à annuler le jugement déféré et ce soit à raison de l’incompétence des juridictions belges, soit de l’absence de base juridique à la décision de rapatriement de M. R..
Le conseil du mineur appuie la thèse de l’incompétence des juridictions belges tout en invitant la cour, à titre provisoire, à solliciter des autorités espagnoles la mise en place d'un placement de M. R. et de sa fratrie dans une famille d'accueil ...
Le ministère public requiert la confirmation du jugement dont appel.
Il ressort des débats à l’audience publique et des éléments soumis à l’appréciation de la cour que :
– par arrêt du 24 juin 2003, la cour d'appel de Bruxelles, chambre de la jeunesse, a maintenu l’hébergement principal de M. R. et de sa soeur, M. J., auprès de V. M., alors domiciliée en Espagne ;
– le même arrêt définissait les modalités d'exercice de l’hébergement accessoire reconnu à Y. M., prévoyant des retours réguliers des enfants communs chez leur père, aux frais de la mère ;
– concomitamment au prononcé de cet arrêt, V. M. et/ou son nouveau mari, de nationalité espagnole, se serai(en)t rendu coupable(s) d'une tentative d'assassinat sur la personne de M. Y. avant de se réfugier en Espagne, en y emmenant M. R. et M. J. ;
– V. M. a vécu dans la clandestinité, imposée également à ses enfants, jusqu'à son arrestation et à celle de son complice désigné, au mois de mars 2006 en Espagne ;
– les enfants paraissent avoir été particulièrement sinon maltraités, au moins négligés, pendant les trois années de « maquis », des traces d'entraves aux poignets et aux chevilles ayant, aux dires de M. Y. et du ministère public, été décelées sur M. R., outre son état de malnutrition ;
– l’hébergement accessoire reconnu à M. Y. n'a jamais été respecté postérieurement à l’arrêt du 24 juin 2003, amenant une instruction à charge de V. M. du chef de non-représentation d'enfants ;
– suite à l’arrestation de sa mère, M. R. a été pris en charge par les autorités espagnoles compétentes en matière protectionnelle et confié, avec M. J., à une institution spécialisée ;
– dès ce moment, M. Y. a repris contact avec ses enfants, leur rendant visite en Espagne à six reprises entre mars 2006 et juin 2006 ;
– les démarches d'M. Y. auprès du Conseiller d'Aide à la Jeunesse de Tournai étant demeurées vaines, étant donné le refus de V. M., détenue à la prison de Mons, de donner son accord à un retour des enfants en vue d'une prise en charge en Belgique, le ministère public, en concertation avec les Autorités centrales belge et espagnole ainsi qu'avec les autorités espagnoles compétentes, a saisi le tribunal de la jeunesse de Tournai, arrondissement du domicile de M. Y. ;
– aucun élément régulièrement soumis à l’appréciation de la cour n'établit que la compétence du premier juge ait été contestée devant lui.
– postérieurement au jugement déféré, les autorités espagnoles, prenant en considération les garanties données, ont pris la décision d'assurer le retour de M. R. et M. J. en Belgique,
Quant à la compétence du Tribunal de la jeunesse de Tournai
V. M. et le conseil du mineur reprochent au premier juge de ne pas avoir renvoyé d'office la cause aux juridictions espagnoles en application de le Règlement 2201/2003, dite « Bruxelles II bis ».
La cour constate que :
– l’art. 32 du décret du 4 mars 1991 relatif à l’Aide à la Jeunesse attribue compétence au conseiller de l’aide à la jeunesse de l’arrondissement dans lequel est situé la « résidence familiale » du jeune ;
– la saisine originaire du tribunal de la jeunesse, par le ministère public, visait uniquement, dans le respect de l’art. 38 du même décret, à mettre en place des mesures protectionnelles, le cas échéant sous la contrainte, à défaut d'un accord entre les parties
– la référence au règlement européen relatif au déplacement illicite des enfants n'apparaît que dans la motivation et les pièces transmises en annexe de la requête abréviative de délai, dans la mesure où les autorités espagnoles demandent aux autorités belges d'assurer en l’espèce, la protection de l’enfant
Il ne peut être contesté en l’espèce que V. M. a soustrait ses enfants à l’exécution de l’hébergement accessoire reconnu à M. Y. en vertu de l’arrêt du 24 juin 2003 précité.
Ce faisant, les dispositions applicables en cas de non-retour illicites de l’enfant pouvaient être mises en oeuvre.
La dernière résidence des enfants, au sens du Règlement, avant leur non représentation, était incontestablement située en Belgique, leur déplacement vers l’Espagne n'ayant été autorisé que par l’arrêt de la cour d'appel de Bruxelles.
Il est manifeste que M. Y. n'a jamais acquiescé au non-retour de ses enfants et que dès qu'il a eu connaissance du lieu de leur résidence, suite à l’arrestation de V. M., il a pris les dispositions qui lui paraissaient les plus appropriées, étant donné le contexte particulier, pour s'assurer de leur retour.
Par ailleurs, aucune des hypothèses envisagées à l’art. 10 du règlement « Bruxelles II bis », lit. b ii) à iv) n'est pertinente en l’espèce.
Il ressort également implicitement mais certainement de la motivation de la requête abréviative des délais et des débats devant la cour que la procédure mue devant le premier juge découle d'une application bien comprise du dispositif mis en place à l’art. 11.4 du Règlement Bruxelles II bis.
En effet, afin d'éviter toutes les difficultés susceptibles de découler de la notion de « risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable » prévu à l’art. 13 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, le Règlement 2201/2003 a mis en place un correctif.
En effet, le Règlement renforce le principe selon lequel une juridiction ordonne le retour immédiat de l’enfant en limitant au strict minimum la portée des exceptions figurant à l’art. 13(b) de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980. Le principe est désormais que le retour de l’enfant sera toujours ordonné si l’enfant peut être protégé dans l’Etat membre d'origine.
Par rapport à la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, le Règlement franchit donc une étape supplémentaire en élargissant l’obligation d'ordonner le retour de l’enfant même dans le cas où un retour pourrait l’exposer à un danger physique ou psychique ou le mettre dans une situation intolérable dès lors qu'il est établi que les autorités de l’Etat membre d'origine ont pris des dispositions adéquates pour assurer la protection de l’enfant après son retour.
Le Règlement impose toutefois que la juridiction se prononce en fonction des circonstances de l’espèce. Il ne suffit pas que des procédures existent dans l’Etat membre d'origine pour assurer la protection de l’enfant ; il doit être établi que les autorités dans l’Etat membre d'origine ont pris des mesures concrètes visant à protéger l’enfant en question.
La saisine du Conseiller de l’Aide à la Jeunesse d'abord, du tribunal de la jeunesse, sur base de l’art. 38 du Décret du 4 mars 1991, ensuite, constituait en l’espèce le moyen adéquat de démontrer aux autorités compétentes espagnoles, seules habilitées à ordonner le retour de M. R., que des mesures concrètes de protection étaient mises en oeuvre et qu'il leur appartenait dès lors d'ordonner son retour.
En vertu de l’art. 32 du décret du 4 mars 1991 relatif à l’Aide à la Jeunesse, il doit par ailleurs être admis que le domicile de M. Y., situé dans l’arrondissement judiciaire de Tournai, constituait, au jour de la saisine, la seule résidence familiale susceptible de justifier la compétence d'une juridiction belge statuant au protectionnel.
Le ministère public a saisi, à bon droit, cette juridiction.
Cette compétence n'a d'ailleurs pas été contestée devant le premier juge, ainsi que la cour l’a précédemment relevé.
L'ensemble des moyens invoqués par l’appelante et le conseil du mineur pour contester la compétence des tribunaux belges procèdent dès lors d'une analyse erronée de la procédure mise en ¿uvre et sont dès lors dépourvus de pertinence.
Quant à la violation des droits de l’enfant
V. M., seule, soutient que les droits de l’enfant aurait en l’espèce été violés.
La cour constate que M. R. a été cité et régulièrement représenté devant le premier juge, son avocat n'ayant alors émis aucune réserve.
L'urgence dans laquelle le tribunal de la jeunesse devait statuer et l’éloignement de M. R. ne permettaient par ailleurs pas qu'il soit, en l’espèce, entendu personnellement devant le tribunal.
Les circonstances de l’espèce permettent en outre de douter que, malgré son âge, M. R. ait pu disposer, à l’époque, de la sérénité et de la clairvoyance lui permettant de s'exprimer valablement.
Cependant, depuis son retour, il a été entendu devant la cour en manière telle que le reproche formulé par l’appelante n'est en tout état de cause plus fondé.
Quant au fond
Dès lors que leurs parents résidaient tous les deux en Belgique, de gré ou de force, et que V. M., détenue, n'était plus en mesure d'assumer l’hébergement principal qui lui a été confié au vu de sa détention, l’urgence à voir mettre en oeuvre des mesures de protection adéquate des enfants ne peut être contestée.
Les attaches familiales invoquées en Espagne, à savoir les parents du nouveau mari de V. M., ne peuvent en aucun cas prévaloir sur les droits des parents, et notamment ceux du père.
Sous réserve de la décision de rapatriement des enfants, dont il ne ressort d'aucun élément du dossier qu'elle lui ait été demandée et qui ne relève pas de la compétence du juge de la jeunesse, saisi au protectionnel, les dispositions prises par le premier juge pour permettre l’hébergement DE M. R. et de M. J. hors de leur milieu familial, correspondaient dès lors au plus grand intérêt de l’enfant, au sens de la Convention Internationale des droits de l’Enfant et permettent une juste application du Règlement Bruxelles II bis.
Les autorités espagnoles, ayant ainsi reçu les garanties prévues par l’art. 11.4 du Règlement quant à la protection concrète des mineurs, ne s'y sont d'ailleurs pas trompées puisqu'elles ont pris immédiatement toutes les dispositions utiles pour assurer le retour de M. R. et de sa soeur, M. J..
La cour constate qu'actuellement, les conditions requises par l’art. 38 du décret du 4 mars 1991 relatif à l’Aide à la Jeunesse sont toujours d'actualité.
V. M. conteste toujours, sinon l’utilité, au moins les mesures mises en oeuvre pour venir en aide à ses enfants.
Sa personnalité, son refus de collaborer avec les services compétents, son impossibilité d'assumer l’hébergement qui lui a été jusqu'ici dévolu et sa propension à détruire l’image de M. Y., père de M. R., constituent par ailleurs autant d'éléments qui continuent de mettre la santé physique ou psychique de l’enfant en danger.
PAR CES MOTIFS ;
La Cour, Chambre de la Jeunesse, statuant contradictoirement, dans les limites de sa saisine ;
Vu les dispositions légales visées par le premier juge ; et vu encore les articles :
– le Règlement 2201/2003 du Conseil de l’Union Européenne constituant le Règlement Bruxelles II bis, et particulièrement son art. 11.4,
– 24 de la loi du 15 juin 1935 ;
– 62 de la loi du 8 avril 1965 ;
– 185, 190, 199, 200, 202, 203, 203 bis, 210 et 211 du Code d'instruction criminelle ;
Après avoir constaté la persistance du danger pour la sécurité psychique et affective de M. R. et la nécessité toujours actuelle de recourir à la contrainte ;
Reçoit les appels,
Constate que le premier juge a statué hors de sa saisine en ce qui concerne le rapatriement ordonné ;
Dit toutefois l’appel de V. M., actuellement sans objet à cet égard, le retour du mineur ayant été ordonné et mis en oeuvre, depuis lors, par les autorités espagnoles ;
Dit les appels non fondés pour le surplus,
Confirme, quant à ce, le jugement déféré en toutes ses dispositions ;