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Résumé de la décision Une société belge était concessionnaire exclusive d’une société française. Suite à la résiliation unilatérale par cette dernière, la concessionnaire intenta une action devant le Tribunal de commerce de Bruxelles (BE) afin d’obtenir une indemnité compensatoire et une indemnité complémentaire. La défenderesse contesta la compétence de la juridiction belge au motif que l'obligation en litige devait être exécutée en France et que ses conditions générales de vente contenaient une clause attributive de compétence en faveur du tribunal français.
Le Tribunal de commerce de Bruxelles (BE) s’estime compétent. En effet, il constate d’une part, qu’il ne ressort pas du dossier que lesdites conditions générales ont été portées à la connaissance de la concessionnaire, les copies des bons de commande et des factures produites ne contenant aucune référence à celles-ci. Les conditions pour l'application de l'art. 17 de la Convention de Bruxelles ne sont donc pas remplies. D’autre part, le Tribunal se déclare compétent en vertu de l’art. 5, no. 1 de la Convention de Bruxelles. Pour ce qui concerne l’indemnité compensatoire, elle remplace le préavis qui n'a pas été donné et qui aurait dû permettre au concessionnaire de poursuivre temporairement ses activités sur le territoire concédé, soit en l'espèce en Belgique. Pour ce qui concerne l’indemnité complémentaire, elle est en principe quérable au domicile français du débiteur, mais dans le souci d'une bonne administration de la justice, le Tribunal estime qu’il y a lieu d'éviter de dissocier cette obligation de celle du préavis, toutes ces obligations découlant du même contrat de concession invoqué, pour la soumettre isolément à la juridiction française.
Attendu que l'objet de l'action principale de Khéops tend à voir régler les suites de la résiliation unilatérale par Les Créations Ada Tuchbant, d'une concession exclusive de vente conclue verbalement en date du mois de janvier 1987 ; Qu'elle est basée sur l'art. 2 de la loi belge du 27 juillet 1961 (modif. en 1971) relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente ;
Attendu que les Créations Ada Tuchbant concluent à l'incompétence du Tribunal de céans et à titre subsidiaire, au non fondement de l'action principale ; Qu'elles introduisent par voie de conclusions, pour le cas où le Tribunal de céans se déclarerait tout de même compétent, une action reconventionnelle en paiement du prix de marchandises livrées à Khéops ;
Attendu que les parties s'opposent sur la nature de la convention verbale avenue entre elles en janvier 1987 ; Que Les Créations Ada Tuchbant, au contraire de Khéops, ne l'assimilent pas à une concession de vente régie par la loi belge susmentionnée de 1961 ;
Que Les Créations Ada Tuchbant opposent tout d'abord l'incompétence du Tribunal de céans, en se prévalant des art. 5, 1° et 17 de la convention C.E.E. du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dont les termes sont reproduits en fin d'attendu ;
Qu'elles estiment que l'obligation en litige, que la loi sur les concessions de vente régisse la convention litigieuse ou pas, doit être exécutée en France ; Que les conditions générales de vente des Créations Ada Tuchbant contiennent d'ailleurs une clause attributive de compétence au Tribunal français ;
« art. 5, 1° : Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État Contractant peut être attrait dans un autre État Contractant :
1° en matière contractuelle, devant le Tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée ; (...)
art: 17 : Si, par une convention écrite ou par une convention verbale confirmée par écrit, les parties dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d'un État sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont seuls compétents ; »
A. Compétence du Tribunal de céans
§ 1. Attendu que le Tribunal ne peut considérer, en exécution de l'art. 17 de la convention C.E.E. du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, et par application des conditions générales de vente des Créations Ada Tuchbant, que c'est le Tribunal français qui est seul compétent ;
Qu'en effet, il n'apparaît pas du dossier que lesdites conditions générales, in tempore non suspecto, ont été portées à la connaissance de Khéops qui les a alors acceptées, information et acceptation requises pour l'application de l'art. 17 (v. en ce sens, l'arrêt de la C. de Justice de Luxembourg du 11 juillet 1985 dans l'affaire 221/84 :
« L'article 17…, doit être interprété en ce sens qu'il est satisfait à la condition de forme qu'il édicte lorsqu'il est établi que l'attribution de juridiction a fait l'objet d'une convention verbale portant expressément sur ce point, qu'une confirmation écrite de cette convention émanant de l'une quelconque des parties a été reçue par l'autre et que cette dernière n'a formulé aucune objection » ;
(Obs. d'ailleurs que les copies des bons de commande et des factures qui sont produites ne contiennent aucune référence aux conditions générales de vente invoquées, que ce soit au recto ou au verso) ;
§ 2. 1. Attendu qu'aux termes de l'art. 2 de la loi belge sur les concessions de vente, au droit du concédant de résilier unilatéralement la concession indépendamment d'une faute du concessionnaire, correspond une obligation d'accorder au concessionnaire un préavis raisonnable, lequel, lorsqu'il n'est pas respecté, doit être remplacé par une indemnité compensatoire ;
Que c'est l'exécution de cette dernière obligation légale que Khéops poursuit devant le Tribunal de céans ; Que telle est l'obligation en litige au sens de l'art. 5, 1° de la convention C.E.E. du 27 septembre 1968 ;
Que le lieu d'exécution de cette obligation se trouve en Belgique ; Que l'indemnité postulée remplace le préavis qui n'a pas été donné et qui aurait dû permettre au concessionnaire de poursuivre temporairement ses activités sur le territoire concédé, soit en l'espèce en Belgique ; Que le lieu d'exécution de l'obligation de payer l'indemnité compensatoire est à assimiler à celui de l'exécution de la concession (v. notamment, M. Willemart, Les concessions de vente en Belgique, Bruxelles, Story-Scientia, 1988, n° 135 et la jurisprudence citée) ;
2. Que Khéops poursuit également le paiement d'une indemnité complémentaire (application de l'art. 3 de la loi belge sur les concessions de vente) et la reprise du stock par le concédant ; Que cette dernière obligation en l’occurrence doit également être exécutée en Belgique chez le concessionnaire; Que par contre, en ce qui concerne l'indemnité complémentaire, elle est en principe quérable au domicile français du débiteur Les Créations Ada Tuchbant ; Que toutefois, dans le souci d'une bonne administration de la justice, l'efficacité et la sécurité juridique devant prendre le pas sur un formalisme excessif des règles de procédure, il y a lieu d'éviter de dissocier cette obligation de celles susvisées, toutes ces obligations découlant également du même contrat de concession invoqué, pour la soumettre isolément au Juge français ;
3. Qu'il suit de ce qui précède sub § 2. 1 et 2, que conformément à la disposition de l'art. 5, 1° de la convention C.E.E. du 27 septembre 1968, le Tribunal de céans est compétent ;
B. Fondement
§ 1. Khéops / Les Créations Ada Tuchbant
1.1. Attendu que la loi belge sur les concessions de vente s'applique aux
« – concessions de vente exclusive ;
– concessions de vente en vertu desquelles le concessionnaire vend, dans le territoire concédé, la quasi-totalité des produits faisant l'objet de la convention ;
– concessions de vente dans lesquelles le concédant impose au concessionnaire des obligations importantes qui sont liées à la concession d'une manière stricte et particulière et dont la charge est telle que le concessionnaire subirait un grave préjudice en cas de résiliation de la concession » (cf. art. 1 § 1er) ;
Qu'elle définit la concession de vente comme « toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et pour leur propre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue » (cf. art. 1 § 2) ;
2. Attendu que le dossier produit établit que Les Créations Ada Tuchbant avaient accordé à Khéops la distribution d'articles-bijoux de la marque Givenchy ;
Que les lettres des Créations Ada Tuchbant des 17 et 27 juillet 1987 sont éloquentes à cet égard: elles attestent de l'existence même d'un tel accord entre parties, et de sa résiliation par Les Créations Ada Tuchbant à la demande de la Maison Givenchy ;
Attendu cependant, que le dossier produit ne prouve pas que Les Créations Ada Tuchbant avaient accordé l'exclusivité de la distribution des articles Givenchy à Khéops, ou que la distribution dont cette dernière bénéficiait était assimilable à une « concession » au sens de la loi belge de 1961. ; Qu'il échet de relever à cet endroit, notamment, que le dossier ne contient aucun élément de nature à démontrer l'existence de l'exclusivité invoquée, la lettre du 17 juillet 1987 des Créations Ada Tuchbant n'étant à elle seule pas probante à cet égard, et qu’il n’en ressort pas davantage que Khéops s’était vu imposer des obligations importantes au sens de l’art. 1 §1er 3° de la loi de 1961 (il est à relever aussi qu'aucun quota ne lui avait été imposé comme Khéops le reconnaît elle-même dans sa lettre du 10 septembre 1987) ; Que la circonstance que Khéops, sur base de la lettre des Créations Ada Tuchbant du 1er septembre 1987, se prétende créancière d'une commission pour livraison directe par le concédant dans le territoire concédé, ne suffit pas à prouver l'existence d'une concession au sens de la loi de 1961 ;
2. Attendu que Khéops ne justifie, ni en droit, ni en fait, sa demande formulée à titre subsidiaire pour le cas où le Tribunal considérerait qu'il n'y a pas de concession de vente au sens de la loi de 1961, de condamner Les Créations Ada Tuchbant à reprendre le stock de marchandises encore en sa possession et à lui payer un montant de 30% de sa valeur ;
2. Les Créations Ada Tuchbant
Attendu que Khéops ne conteste pas le montant lui réclamé par Les Créations Ada Tuchbant ;
(…)
(Dispositif conforme aux motifs).