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Résumé de la décision Une société luxembourgeoise a commandé à une société belge X la fourniture et la pose de matériaux destinés à un nouvel établissement thermal. Dans le contrat de vente figurait une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux luxembourgeois. La société belge X acheta à une société belge Y des tubes en acier et lui céda après la créance du montant lui étant due par l’acquéreur luxembourgeois. Cette cession de créance fut signifiée à la société luxembourgeoise. Plus tard, le Tribunal de commerce de Charleroi (BE) a déclaré ouverte la faillite de la société X. La société Y a respectivement cité le curateur de la société en faillite et la société luxembourgeoise devant le Tribunal de commerce de Charleroi pour entendre ordonner l'admission de sa créance au passif et pour entendre condamner la société luxembourgeoise à payer la somme correspondante à sa créance. Cette dernière contesta la compétence du tribunal belge mais fut déboutée. Elle fit donc appel.
La Cour d’appel de Mons (BE) se déclare incompétente pour connaître de la demande de la société belge Y contre l’acquéreur luxembourgeois. Elle affirme d’une part que la clause attributive de juridiction est conforme aux conditions de forme posées à l’art. 17 de la Convention de Bruxelles. D’autre part, en vertu du droit national ici applicable, le cessionnaire belge est devenu titulaire des droits et obligations résultant de la créance cédée, y compris celles relatives à la prorogation de compétence régissant les rapports entre cédant et débiteur cédé. La clause attributive de juridiction est lui donc opposable bien qu’il n’y ait pas expressément consenti.
Attendu que par lettre du 3 octobre 1984, la SARL Castellani a commandé à la SA Lahaye la fourniture et la rose de coupoles avec ossature tridimensionnelle destinées au nouvel établissement thermal de Mondorf-les-Bains ;
Attendu que la SA Lahaye a acheté à la SA trust des tubes en acier ; que, par acte sous seing privé daté du 15 octobre 1985, la SA Lahaye a cédé à la SA Hustinx « notre créance d'un montant de 1.922.942 FF belges à valoir sur les Sommes qui nous seront dues par les Etablissements Castellani... » ; que, par exploit d'huissier daté du 6 novembre 1985, cette cession de créance fut signifiée au débiteur cédé Castellani à la requête de la SA Hustinx ;
Que le 9 décembre 1985, le tribunal de commerce de Charleroi a déclaré ouverte sur aveu la faillite de la SA Lahaye et a désigné Maître Delvaux en qualité de curateur ;
Attendu que, par un exploit du 13 mai 1586 de l’huissier de justice Deffernez de résidence à Charleroi et un exploit du 7 mai 1986 de l’huissier Bontemps de résidence A Liége, la SA Hustinx a respectivement cité Maître Delvaux qualitate qua et ln SARL Etablissements Castellani a comparaître conjointement devant le tribunal de commerce de Charleroi, aux fins de :
– entendre ordonner l’admission de la créance de ma requérante au passif de la faillite Lahaye pour un montant de 211.056 FF sous les plus expresses réserves de majoration en prosécution de cause ;
– entendre condamner la deuxième citée SARL Etablissements Castellani et Frères à rayer à la requérante la somme de 1.922.942 FF, majorée des intérêts légaux depuis le 6 novembre 1985 ;
Attendu que, dans des conclusion déposées 3 l’audience du 5 mai 1987 du tribunal de commerce de Charleroi, le curateur de la faillite de la SA Lahaye a formulé une demande incidente tendant à entendre
– dire pour droit que la cession de créance du 16 octobre 1985 contre la SARL Castellani au profit de la demanderesse est nulle ou en tout cas annulable
– condamner la défenderesse (Castellani) à payer non au profit de la demanderesse (Hustinx) mais au bénéfice de la masse la somme provisionnelle de 1.9 22.942 FF
– admettre la créance de la demanderesse au passif de la faillite à concurrence de 2.127.403 FF (1.922.942 + 204.461) ;
Attendu que l’appelante fait grief au tribunal de commerce de Charleroi de s’être déclarée internationalement compétent pour connaitre de la demande originaire, de la SA Hustinx contre elle, ladite appelante ne contestant pas que ledit tribunal ait été compétent pour connaître de la demande de la GA Hustinx contre Maître Delvaux qualitate qua ;
Qu'a l’appui de l’exception d'incompétence par elle soulevée la SARL Castellani invoque une clause attributive de juridiction figurant à l’art. 21 du cahier des charges régissant la sous-entreprise qu'elle confia à la SA Lahaye actuellement en faillite et stipulant que les tribunaux luxembourgeois sont seuls compétents pour tous litiges mouvant résulter du présent contrat ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que le litige opposant la SA Hustinx - société de droit belge ayant son siège social à Herstal (Belgique) – et la SARL Castellani - société de droit luxembourgeois avant son siège social à Esch-sur-Alzette (Grand Duché de Luxembourg) – est un litige commercial auquel s'applique la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire ;
Qu'aux termes do l’art. 17 de ladite convention de Bruxelles « si, par une convention écrite ou par une convention verbale confirmée par écrit, les parties, dont l’une au moins à son domicile sur le territoire d'un Etat contractant, ont désigné un tribunal ou les tribunaux d'un Etat contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat sont seuls compétents » ;
Que cette volonté des parties contractantes une fois exprimée valablement au regard de l’art. 17 de la Convention de Bruxelles a pour effet d'exclure tant la compétence générale déterminée par l’art. 2 de la Convention que la compétence spéciale prévue aux arts. 5 et 6 de la même Convention ;
Que, par une lettre du 3 octobre 1984, la SARL Castellani a commandé à la SA Lahaye la fourniture et la pose de coupoles avec ossature tridimensionnelle destinées au nouvel établissement thermal de Mondorf-les-Bains ; que ce courrier précisait sans ambigüité : « ... Nous avons l’avantage par la présente de vous confirmer notre commande pour ces prestations, conformément aux termes et conditions du cahier des charges ainsi qu'aux prix de vos téléx » ;
Que, dans sa réponse a Castellani datée du 15 novembre 1984, la SA Lahaye écrivait : « Nous avons bien reçu votre bon de commande du 3 octobre 1984. Nous vous remercions de la confiance que vous nous avez accordée en nous confiant l’exécution de ce travail. Nous joignons en annexe copie signée du cahier des charges et du métré... » ;
Qu'il n'est pas contesté qua la SA Lahaye a paraphé page par page pour accord ledit cahier des charges et notamment la page 4 comportant la clause attributive de juridiction litigieuse ;
Qu'ainsi, dans les relations entre la SARL Castellani et la SA Lahaye, il est satisfait à la condition d'une convention écrite au sens de l’art. 17 de la Convention de Bruxelles, dès lors que la SA Lahaye a exprimé par écrit son consentement aux conditions du cahier des charges comportant la clause attributive de juridiction, et ce tant sur ledit cahier des charges qu' elle a signé et paraphé page par page que dans sa lettre non ambigüe du 15 novembre 1984 ;
Que cette clause attributive de juridiction est opposable à la SA Hustinx et lie cette dernière à laquelle la SA Lahaye a cédé, à concurrence d'un montant de 1.922.942 FF, la créance qu'elle possédait sur la SARL Etablissements Castellani en raison du contrat de sous-entreprise régi par le cahier des charges contenant ladite clause ;
Qu'en vertu du droit national applicable – qui in specie ne peut, dans les rapports entre cédant et cessionnaire de la créance, être que la loi belge A la fois lex fori et lex contractus – et par le fait de ladite cession de créance régulièrement signifiée au débiteur cédé, la SA Hustinx a succédé à la SA Lahaye dans ses droits et obligations envers l’appelante ; qu'en effet la cession de créance laisse subsister l’obligation primitive et le cessionnaire se borne à prendre la place du cédant dans un rapport d'obligations qui pour le surplus demeure inchangé en ce qui concerne le débiteur cédé ; qu'il en est tellement ainsi que la Cour de cassation de Belgique a admis que le débiteur cédé oppose l’exception d'inexécution au cessionnaire même si l’inexécution est intervenue après la signification de la cession, au motif que cette exception est inhérente au contrat synallagmatique et existe dans la conclusion de celui-ci, de sorte qu'elle est née antérieurement à la signification de la cession ;
Que la cession de créance intervenu en l’espèce n'a donc pu conférer au cessionnaire davantage droits que n'en détenait la cédante SA Lahaye ; que ledit cessionnaire SA Hustinx est devenu titulaire des droits et obligations résultant de la créance cédée, y compris celles relatives à la prorogation de compétence (clause attributive de compétence régissant les rapports entre cédant et débiteur cédé, qui lui est ainsi opposable bien qu’elle n’y ait pas expressément consenti ;
Qu'il suit qu’à la lecture de l’acte introductif d'instance le tribunal était sans pouvoir de juridiction pour connaitre de la demande de la SA Hustinx contre la SARL Castellani et Frères ;
Attendu que par contre le tribunal de commerce de Charleroi était compétent pour connaître du litige opposant ladite SA Hustinx au curateur de la faillite de la SA Lahaye, litige dérivant directement de la faillite de cette société et dont les éléments de solution résident dans le droit particulier qui concerne le régime des faillites ;
Qu'en application de l’art. 1068 du code judiciaire il appartiendra la cour de connaître du fond de ce litige opposant la SA Hustinx à Maître Delvaux qualitate qua ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant contradictoirement
Vu l’art. 24 da la loi du 15 juin 1935,
Reçoit l’appel ;
Met à néant le jugement entrepris et
Dit pour droit que le tribunal de commerce de Charleroi était sans pouvoir de juridiction pour connaitre de la demande de la SA Hustinx dirigée contre la SARL Etablissements Castellani et Frères ;
Condamne la SA Hustinx aux frais et dépens des deux instances liquidés pour la SARL Etablissements Castellani et Frères 25.815 FF selon son état ;
Dit pour droit que le tribunal de commerce de Charleroi était compétent pour connaitre du lit opposant la SA Hustinx à Maitre Delvaux qualitate qua ;
Dit qu'en application de l’art. 1068 du code judiciaire il appartiendra à la cour de connaitre du fond de ce litige ;
Renvoie la cause ainsi limitée au rôle particulier de la première chambre de la cour ;