LA COUR,
Attendu que l'appelante se fondant sur la loi du 27 juillet 1961 sur les concessions exclusives de vente réclame le paiement d'une indemnité compensatoire et d'une indemnité complémentaire sur base des articles 2 et 3 de la loi précitée suite aux préavis successifs qui lui ont été notifiés par la SA Cuno Europe les 20 mars et 19 mai 1998; qu'elle postule également la condamnation de l'intimée au paiement de dommages et intérêts complémentaires pour cause de violation à partir du 1er janvier 1992 de l'exclusivité qui lui avait été réservée;
Attendu que la SA Cuno Europe invoque l'article 10 C du contrat de distribution intervenu entre parties le 20 avril 1977 qui prévoit que «le présent contrat sera régi à tous égards par les lois françaises et le Distributeur accepte de se soumettre à la compétence des tribunaux de Paris» et soulève un déclinatoire de juridiction à laquelle l'appelante oppose que le contrat originaire est expiré depuis le 20 avril 1992 et qu'il a été remplacé par un nouveau contrat oral à durée indéterminée «fixant de nouvelles obligations réciproques à charge de chacune d'entre elles, et ce sans plus aucune référence au contrat initial» (conclusions additionnelles, pt. 3, p. 8, § 6) soumis à la loi belge;
Attendu que le contrat du 20 avril 1977 prévoyait effectivement en son article 10 B que «Les présentes resteront en vigueur pendant cinq ans à compter de la date de la signature. Par la suite, elles pourront être renouvelées automatiquement par tacite reconduction pour une durée maximum de dix périodes supplémentaires d'un an chacune (sauf) si l'une des parties notifie à l'autre (dans un certain délai) son intention de ne pas renouveler le contrat»;
qu'il n'y a pas eu résiliation et que le contrat est allé jusqu'à son échéance maximale, soit le 20 avril 1992 mais que les parties ont poursuivi leurs relations contractuelles au-delà de cette date;
Attendu que l'appelante soutient en vain qu’à partir de ce moment, les relations entre parties auraient été radicalement modifiées au point qu'il y aurait eu une véritable novation; que tel n'est pas le cas; que l'on en veut pour preuve que dans l'échange de correspondances intervenu entre parties les 9 et 17 septembre 1997 (dossier Condifluid, pièces 47 & 44bis), il est fait expressément référence par les deux parties au contrat du 20 avril 1977;
Que la substance même de l'obligation n'a pas été altérée même s'il y a eu, sans intention de nover, de nombreux aménagements nouveaux par rapport au contrat de base pour tenir compte du développement exponentiel de la distribution des produits Cuno;
que les éléments essentiels du contrat de distribution que sont l'organisation d'un cadre qui constitue le moule des rapports contractuels subséquents, l'exclusivité, la définition d'un territoire, d'une gamme de produits – à savoir des filtres industriels – qui peut elle-même varier en fonction des évolutions technologiques, des mises en fabrication et des nécessités du marché, sont restés inchangés; que l'appelante ne se plaint pas de ce que ses droits dans la distribution des produits Cuno auraient été restreints après le 20 avril 1992;
que la substance des obligations réciproques n'a pas été altérée par le système des prix spéciaux mis en place par l'intimée en 1992;
Attendu que s'il est exact que durant la dernière année qui a précédé la fin des relations des parties, l'intimée a tenté d'imposer à l'appelante la signature d'un nouveau contrat ce que celle-ci dans un premier temps semblait avoir accepté (v. échange de correspondances des 17 juin et 16 juillet 1997, dossier Condifluid, pièces 51 & 48) avant que la situation entre parties ne se dégrade à propos de l'application des SPA (demandes de prix spéciaux), ceci n'implique pas que les parties se soient organisées de manière radicalement différente par rapport aux dispositions du contrat du 20 avril 1977;
qu'au contraire, ainsi qu'il vient d'être vu, ce contrat a continué à constituer le cadre juridique de référence des parties dans leurs relations commerciales courantes et le fondement juridique des relations contractuelles qu'elles ont poursuivies après le 20 avril 1992;
Attendu que pour apprécier l’efficacité actuelle de la clause d’élection de for litigieuse dont la conformité à l'article 17 de la convention du 27 septembre 1968 entre les États membres de la Communauté économique européenne dite convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale n'est pas discutée, il reste à vérifier «si d'après la loi applicable, les parties pouvaient valablement proroger le contrat initial sans observer la forme écrite ou si, dans l'hypothèse inverse, l'une ou l'autre des parties a confirmé par écrit cette clause ou l'ensemble des clauses tacitement reprises dont elle fait partie, sans que l'autre partie qui a reçu cette confirmation s'y soit opposée» (C.J.C.E., 11 novembre 1986, affaire 313/85 en cause Spa Iveco Fiat contre Van Hool nv, Recueil de la jurisprudence de la Cour, 1986, quatrième partie, p. 3337 et s.);
Attendu que la loi applicable au contrat du 20 avril 1977 est la loi française choisie par les parties; qu'il n'y a pas place en l'espèce pour l'application de l'article 7 de la loi du 14 juillet 1987 portant approbation de la convention de Rome sur les dispositions contractuelles dans la mesure où ses dispositions ne s'appliquent pas aux conventions d'élection de for (art. 2, § 2 d) (Born, Fallon, Van Boxtael, Droit judiciaire international, chronique de jurisprudence 1991-1998, Les dossiers du JT n° 28, n° 143, p. 264);
Attendu que selon le droit français, s'«il est de principe que les parties demeurent liées par les stipulations du contrat originaire lorsqu'elles en poursuivent l'exécution par tacite reconduction au-delà du terme convenu» (Cass. soc., 27 avril 1964, D. 1965, p. 214) et ce même si «la tacite reconduction n'entraîne pas prorogation du contrat primitif mais donne naissance à un nouveau contrat» (Ghestin et Billiau, Traité de droit civil, Les obligations, Les effets du contrat, L.G.D.J., 1992, n° 231 & 232) d'une durée indéterminée (Encyclopédie Dalloz, Droit l, Civil IV – V° Contrats et conventions, n° 464), il reste que le renouvellement du contrat par tacite reconduction n'est pas possible lorsque le contrat ne le permet pas (Ph. Le Tourneau, Concessions. Exécution et rupture du contrat de concession commerciale, Droit commercial, Tome III, fascicule n° 1035, Editions du Juris-Classeur, Paris, 1997, n° 129);
que tel est bien le cas en l'espèce où l'article 10 B du contrat prévoit que «les présentes ... pourront être renouvelées pour une durée maximum de dix périodes supplémentaires d'un an chacune»; qu'en ce cas, «il n'est que d'appliquer la clause» et «la reconduction ne saurait être déduite du seul comportement ultérieur des parties, sauf modification de leur accord sur ce point avant l'échéance du terme» (Ph. Le Tourneau, déjà cité qui se réfère à «l'affirmation catégorique contenue dans Cass. com., 17 novembre 1992, Bull. civ., IV, n° 356).
Attendu par contre que la seconde hypothèse visée par l'arrêt précité du 11 novembre 1986 de la Cour de Justice des Communautés européenne est rencontrée;
qu'ainsi qu'il a été dit, la clause attributive de compétence fait partie d'un ensemble de clauses tacitement reprises d'un contrat écrit antérieur expiré, qui ont continué de constituer le fondement juridique des relations contractuelles qui se sont poursuivies entre parties;
qu'à l'intimée qui lui écrivait le 9 septembre 1997 pour la mettre en demeure de régulariser la situation résultant de l'inexécution de ses obligations contractuelles «dans les conditions prévues à l'article 12-1 du contrat de distribution 0 du 20 avril 1977», l'appelante a répondu le 17 septembre 1997 qu'«Il est heureux que vous reconnaissiez la longévité de nos relations commerciales (et) la relation avec notre contrat du 20 avril 1977» ce qui confirme bien que les parties ont entendu que l'ensemble des clauses figurant dans le contrat du 20 avril 1977 étaient toujours d'application (dossier Condifluid, pièces 47 et 44bis);
que «dans ce cas, le consentement des parties au renouvellement de l'élection de for se déduit du respect des «formes» souples admises par la jurisprudence Berghoeffer (J.T., 1987, p. 478, n° 57) nonobstant l'absence de renouvellement verbal, préalable et spécifique de cette élection» (Born et Fallon, Droit judiciaire international, Chronique 1986-1990, J.T., 1992, n° 70, p. 418);
Attendu que le moyen tiré par l'appelante du non-respect par l'intimée de la loi Doubin n° 89-1008 du 31 décembre 1989 relative à l'obligation précontractuelle d'information n'est pas pertinent dans la mesure où il touche au fond de l'affaire tandis que la validité de la clause d'élection de for doit être examinée exclusivement sur pied de l'article 17 de la convention de Bruxelles;
«qu'une clause attributive de juridiction, qui répond à une finalité procédurale, est régie par les dispositions de la convention, dont l'objectif est la création de règles uniformes de compétence internationale ...
Il est conforme à cet esprit de sécurité juridique que le juge national saisi puisse aisément se prononcer sur sa propre compétence sur la base des règles de la convention, sans être contraint de procéder à un examen de l'affaire au fond» (C.J.C.E., aff.-269/95, Benincasa c/ Dentakil, 3 juillet 1997, Rec., p. 3797, pts 25 & 27);
Attendu que l'appelante ne peut sans violer le principe de la bonne foi s'opposer à l'application de la clause d'élection de for contenue dans la convention originaire dont elle a admis que celle-ci constituait toujours le cadre dans lequel les relations entre parties se sont poursuivies au-delà du 20 avril 1992;
PAR CES MOTIFS,
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935,
La cour statuant contradictoirement,
Reçoit l'appel,
Confirme le jugement entrepris;