1. ANTECEDENTS – OBJET DE L’APPEL
Les parties, toutes deux de nationalité italienne, ont contracté mariage le 4 décembre 1994 à Ancona (Italie).
Une fille, prénommée A, est née de leur union, le 28 juin 1997, à Ancona.
Les parties ont vécu en leur résidence conjugale à Ancona jusqu’au 7 janvier 1998, date à laquelle monsieur X est retourné chez sa mère, à Montemarciano (Ancona).
Le 9 septembre 1999, madame Y s’est installée, avec sa fille, à Bruxelles où elle occupe un emploi auprès d’un organisme public italien.
Le 24 décembre 1999, elle a introduit une action en séparation judiciaire, aux torts de monsieur X, devant le tribunal civil d’Ancona.
Il ressort des pièces produites par les parties qu’en droit italien cette procédure, préalable à l’introduction d’une demande en divorce, s’apparente à la procédure de séparation de corps, telle qu’elle existe en droit belge.
Monsieur X a introduit une demande reconventionnelle tendant à obtenir la séparation aux torts de madame Y (chacune des parties demandant, par ailleurs, l’hébergement principal d’A).
Cette procédure est toujours pendante en ce qui concerne la séparation judiciaire demandée par les parties (des enquêtes ayant été autorisées afin de déterminer à qui sont imputables les torts de la séparation) mais plusieurs décisions ont été rendues par te tribunal civil d’Ancona et par la cour d’appel d’Ancona pour ce qui est de la situation d’A.
Madame Y a, de plus, déposé plainte au pénal contre monsieur X tant au parquet de Bruxelles qu’auprès du procureur de la République à Ancona pour des faits d’attentat à pudeur qu’il aurait commis sur la personne d’A (lesdites plaintes n’ont pas donné lieu à poursuites), et demandé au tribunal des mineurs d’Ancona que monsieur Paladin’ soit déchu de son autorité parentale.
Outre de multiples autres procédures également poursuivies en Belgique, à son initiative, concernant A, madame Y a, par citation du 15 juillet 2002, lancé une action en divorce sur pied de l’art. 232,al. 1er du Code civil (sollicitant qu’il soit sursis à statuer pour ce qui est du renversement de la présomption d’imputabilité prévue par l’art. 306 dudit Code) et demandé des mesures provisoires en référé.
En première instance, monsieur Paladin’ a demandé au tribunal de se déclarer incompétent pour cause de litispendance internationale en vertu du règlement communautaire du 29 mai 2000 (dit de « Bruxelles II »), relatif à la compétence, ta reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale.
Le premier juge a tout d’abord rendu, le 25 juin 2003, un jugement ordonnant la réouverture des débats afin d’entendre tes parties concernant l’éventuelle applicabilité dans le temps dudit règlement communautaire au litige les opposant.
La décision attaquée, prononcée le 19 novembre 2003, a ensuite déclaré l’exception de litispendance recevable et fondée et a prononcé un dessaisissement en faveur du tribunal civil d’Ancona.
L’appel formé par madame Y vise à entendre dire que l’exception tirée du règlement communautaire de « Bruxelles II » ne trouve pas à s’appliquer au cas d’espèce, à entendre prononcer le divorce des parties par application de l’art. 232, al. 1er du Code civil et à surseoir à statuer quant au renversement de la présomption d’imputabilité édictée par l’art. 306 du même Code.
2. DISCUSSION
L’appel, régulier quant à la forme et introduit dans te délai légal, est recevable.
Les parties s’opposent tout d’abord quant à la compétence des juridictions belges pour juger la demande en divorce formée par madame Y.
Cette dernière estime le premier juge compétent à cette fin sur la base de l’art. 2.1.a du règlement de « Bruxelles II », lequel prévoit que : « Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’Etat membre... sur le territoire duquel se trouve.., la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande... » (condition dont la réalisation dans le chef de madame Passarini n’est pas contestée).
Monsieur X soulève toutefois un déclinatoire de compétence basé, quant à lui, sur les dispositions des arts. 11.2 et 11.3 du même règlement, qui traitent des « actions dépendantes » :
« 11.2 – Lorsque des demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation de mariage, n’ayant pas le même objet ni la même cause, sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’Etats membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.
11.3 – Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci.
Dans ce cas, la partie ayant introduit la demande devant ta juridiction saisie en second lieu peut porter cette action devant la juridiction première saisie ».
Monsieur X fait valoir qu’en vertu du nouveau principe de « quasi-litispendance internationale » ou de « fausse litispendance internationale » ainsi établi pour les « actions dépendantes » (procédures parallèles mues par les deux parties n’ayant ni le même objet ni la même cause), les juridictions belges doivent se dessaisir au profit des juridictions italiennes dont la compétence territoriale a été établie, dès lors qu’une demande en « séparation de corps » a été introduite en Italie antérieurement à la demande en divorce pour séparation de fait de plus de deux ans introduite en Belgique, et ce même si les deux demandes n’ont ni le même objet ni la même cause.
Le rapport explicatif de ce règlement communautaire élaboré par Mme Alegria Borras, professeur de droit international privé à l’Université de Barcelone, explique que tes dispositions concernées résultent du mécanisme de litispendance conçu comme un moyen d’éviter des actions parallèles qui impliquent le risque de décisions inconciliables sur des questions identiques mais que le mécanisme traditionnel de la litispendance ne suffisant pas à résoudre tous les problèmes, il a fallu trouver une nouvelle formule permettant d’atteindre le but ainsi défini.
Il apparaît en effet, bien que madame Y le conteste vainement, qu’en l’espèce un risque réel de contradiction existe à tout le moins entre la décision que rendrait la juridiction italienne et celle que prononcerait la juridiction belge concernant l’imputabilité des torts dans l’origine de la séparation des parties.
Cette constatation n’est pas battue en brèche par la circonstance invoquée par madame Passarini que, selon la jurisprudence de la cour de cassation italienne, une procédure en séparation judiciaire et une procédure en divorce peuvent être menées parallèlement sans qu’il y ait aucune litispendance entre les deux :
– les dispositions des arts. 11.2 et 11.3 du règlement de « Bruxelles II » ont, en effet, trait à la notion nouvelle d’actions « dépendantes » (ou fausse litispendance) et non à la notion classique de litispendance proprement dite ;
– les deux arrêts de la cour de cassation italienne produits par madame Passarini (20 octobre 1995 et 20 juillet 2001) ont trait à des procédures initiées bien avant la rédaction et l’entrée en vigueur du règlement de « Bruxelles II ».
Madame Y prétend toutefois que les dispositions des arts. 11.2 et 11.3 du règlement communautaire, invoquées par monsieur X, ne peuvent être appliquées au présent litige en vertu de l’art. 42.1 qui stipule que « les dispositions du présent règlement ne sont applicables qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques reçus et aux transactions conclues devant une juridiction au cours d’une instance, postérieurement à son entrée en vigueur ».
Or l’art. 46 dudit règlement énonce qu’il entre en vigueur le 1er mars 2001.
Madame Y soutient que, dans la mesure où l’art. 11 règle un conflit entre deux actions distinctes, cette disposition n’est applicable que si les deux actions concernées ont été intentées postérieurement à l’entrée en vigueur du règlement, ainsi que le prévoit clairement l’art. 42.
L’action en séparation ayant été intentée par elle en Italie avant ladite entrée en vigueur, il n’y aurait donc pas lieu d’appliquer l’art. 11 du règlement.
Monsieur X se réfère cependant à un arrêt von Horn du 9 octobre 1997 rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes à propos de ta convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
L’art. 29, para. 1 de la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise à la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 prévoit, en effet, parmi les mesures transitoires que : « La convention de 1968 et le protocole de 1971, modifiés par la convention de 1978, la convention de 1982 et par la présente convention, ne sont applicables qu’aux actions judiciaires intentées et aux actes authentiques reçus postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente convention dans l’Etat d’origine et, lorsque la reconnaissance ou l’exécution d’une décision ou d’un acte authentique est demandée, dans l’Etat requis ».
Dans l’arrêt von Horn, la cour européenne décide que : « L’art. 29, para. 1 de la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise à la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens que, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties dans deux Etats contractants différents, dont la première a été introduite avant la date d’entrée en vigueur de ladite convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale entre ces Etats et la seconde après cette date, la juridiction saisie en second lieu doit appliquer l’art. 21 de cette dernière convention [qui prévoit que la juridiction saisie en second lieu doit, même d’office, se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi] si la juridiction saisie en premier lieu s’est déclarée compétente sur la base d’une règle conforme aux dispositions du titre 11 de la même convention ou aux dispositions prévues par une convention qui était en vigueur entre les deux Etats concernés lorsque l’action a été intentée ; si la juridiction saisie en premier lieu ne s’est pas encore prononcée sur sa propre compétence, la juridiction saisie en second lieu doit appliquer ledit article à titre provisoire.
En revanche, la juridiction saisie en second lieu ne doit pas appliquer l’art. 21 de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale si la juridiction saisie en premier lieu s’est déclarée compétente sur la base d’une règle non conforme aux dispositions du titre II de la même convention ou aux dispositions prévues par une convention qui était en vigueur entre ces deux Etats lorsque l’action a été intentée ».
La cour estime qu’il y a lieu, comme le préconisent les professeurs Nadine Watté et Hakim Boularbah (in « Le règlement communautaire en matière matrimoniale », R.T.D.F., 2001, p.554, n°10) de transposer à l’art. 11 du règlement dit « Bruxelles II » la solution retenue par la Cour de justice dans l’affaire von Horn à propos de l’art. 21 de la Convention de Bruxelles de 1968 relatif à l’exception de litispendance.
Cette voie s’impose d’autant plus que les mécanismes mis au point dans la convention et le règlement sont similaires et que les préoccupations qui les sous-tendent sont comparables.
La circonstance que la convention de 1968 ne visait que la litispendance proprement dite alors que le règlement de « Bruxelles II » inclut aussi dans son champ d’action les « actions dépendantes » (ou fausse litispendance) ne prive pas cette démarche de pertinence, pas plus que les arguments que madame Passarini croit, à tort, pouvoir trouver dans les dispositions du règlement communautaire du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, qui n’est entré en vigueur que le 1er août 2004 et dont la majorité des articles ne s’appliquent qu’à partir du 1er mars 2005 (soit postérieurement à l’intentement des deux actions litigieuses).
Il reste, dès lors, en appliquant les principes dégagés par la Cour de justice dans l’affaire von Horn, à vérifier si le premier juge, en l’occurrence le tribunal civil d’Ancona, s’est déjà prononcé sur sa compétence et, dans l’affirmative, si c’est sur la base d’une règle conforme aux dispositions du chapitre II du règlement de « Bruxelles II ».
Le tribunal civil d’Ancona s’est, de manière implicite mais certaine, déclaré compétent puisqu’il a rendu une ordonnance le 15 janvier 2003 autorisant tes parties à prouver leurs griefs par voie d’enquête.
Sa compétence n’a du reste jamais été contestée.
Aux termes de l’art. 706 du Code de procédure civile italien, la demande de séparation personnelle se soumet au tribunal du lieu où Le conjoint prévenu a sa résidence ou son domicile.
Il n’est pas contesté que monsieur X avait sa résidence habituelle à Ancona en Italie lorsqu’il a été assigné par madame Y devant le tribunal d’Ancona, lequel est, dès lors, compétent.
Le critère de la résidence du défendeur qui justifie la compétence de la juridiction saisie en premier lieu est conforme aux dispositions du chapitre II du règlement de « Bruxelles II » et plus particulièrement à l’art. 2.1.a), troisième tiret.
Toutes autres considérations émises par les parties en termes de conclusions sont non fondées.
C’est donc à bon droit que le premier juge, estimant établie la compétence du tribunal d’Ancona, s’est dessaisi en sa faveur.
L’appel de madame Y doit, en conséquence, être déclaré non fondé sans que la cour doive examiner le fond de sa demande.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant contradictoirement ;
Vu l’art. 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire ;
Reçoit l’appel ;
Le dit non fondé ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement attaqué ;