OBJET DE LA DEMANDE
Attendu que la demande tend à entendre dire pour droit que les conditions des arts. 20 et suivants du « Règlement Bruxelles II » et des arts. 33 et suivants du « Règlement Bruxelles I » ne sont pas remplies pour autoriser l’exequatur de la décision rendue le 27 octobre 2003 par le tribunal de première instance de Thessaloniki ;
Que X sollicite également la condamnation de Y à lui payer une somme de 5.000 EUR pour procédure téméraire et vexatoire ;
Que Y conclut au non fondement de la tierce opposition ;
LES FAITS
X, de nationalité allemande, et Y, de nationalité grecque, se sont mariés en Grèce le 15 avril 1996 ;
Ils sont tous deux fonctionnaires européens en poste à Bruxelles ;
Deux enfants sont nés de cette union, A le 18 septembre 1996 et B le 24 juillet 1998 ;
Y a initié, le 4 septembre 2003, une procédure en « mesures urgentes et provisoires » devant le tribunal civil de Thessaloniki ;
Cette action a abouti à un jugement par défaut contre X, prononcé le 27 octobre 2003, par le tribunal de première instance de Thessaloniki ;
Par requête unilatérale du 15 juillet 2004, Y a sollicité l’exequatur de cette décision en Belgique, en ce qu’elle confiait provisoirement l’autorité parentale sur les deux enfants exclusivement à leur mère, condamnait X à payer une contribution alimentaire de 2.500 EUR par mois pour les deux enfants à partir du 5 septembre 2003 et condamnait X à payer les dépens de 290 EUR ;
Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du tribunal de céans du 15 septembre 2004, signifiée à X le 13 octobre 2004 ;
Celui-ci a lancé citation en tierce-opposition le 10 novembre 2004 ;
DISCUSSION
Attendu que le demandeur sur tierce-opposition estime que les droits de la défense ont été violés à l’occasion de la décision rendue le 27 octobre 2003 en Grèce, qu’elle est contraire à l’ordre public, que certains documents requis n’étaient pas joints à la demande d’exequatur et que le tribunal grec n’était pas compétent au regard des règles de droit international applicables ;
Dispositions applicables
Attendu que les règles déterminant, en Belgique, les conditions d’exequatur d’une décision grecque prononcée le 27 octobre 2003, sont contenues, pour ce qui concerne les obligations alimentaires, dans le Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000, dit « Règlement Bruxelles I », entré en vigueur le ler mars 2002 et dont l’art. 66 précise que ses dispositions sont applicables « aux actions judiciaires intentées postérieurement à son entrée en vigueur » et, pour ce qui concerne l’autorité parentale sur les enfants mineurs, par le règlement CE 1347/2000 du 29 mai 2000, dit « Règlement Bruxelles II », entré en vigueur le ler mars 2001 (v. arts 46 et 42) ;
Que X soutient que ce règlement a été abrogé par le règlement 2201/2003 du 27 novembre 2003 (dit Bruxelles Il bis), entré en vigueur le 1er août 2004 ;
Qu’aux termes de l’art. 71 de ce règlement, le Règlement Bruxelles II n’est toutefois abrogé qu’à la date de la mise en application de Bruxelles II bis, soit au 1er mars 2005 (art. 72) ;
Que l’art. 64 du Règlement Bruxelles II bis précise en outre que ses dispositions ne sont applicables qu’aux actions judiciaires intentées après sa mise en application, et, dans certaines conditions, aux décisions judiciaires prononcées après sa mise en application ;
Qu’en l’espèce, seul le Règlement Bruxelles II devra donc être retenu ;
En ce qui concerne l’autorité parentale
Attendu que l’art. 24 du Règlement Bruxelles II prévoit que l’exequatur ne peut être rejetée « que pour l’un des motifs prévus aux arts. 15, 16 et 17 » ; Qu’il ajoute qu’en aucun cas la décision ne peut faire l’objet d’une révision au fond ;
Que la compétence du tribunal de l’état d’origine ne peut être contrôlée par le tribunal de l’état requis et le recours à la notion d’ordre public est spécialement écartée pour les règles de compétence, conformément à l’art. 17 ;
Que l’art. 15.2. d) prévoit le rejet de la reconnaissance (et donc de l’exequatur) « à la demande de toute personne faisant valoir que la décision fait obstacle à l’exercice de sa responsabilité parentale, si la décision a été rendue sans que cette personne ait eu la possibilité d’être entendue », tandis que l’art. 15.2.c) permet de rejeter l’exequatur si « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié à la personne défaillante en temps utile et de telle manière que celle-ci puisse pourvoir à sa défense, à moins qu’il ne soit établi que cette personne a accepté la décision de manière non équivoque » ;
Qu’en l’espèce la décision dont l’exequatur est sollicitée a été prononcée par défaut contre X ;
Que celui-ci soutient qu’il n’a pas été valablement informé de l’audience et qu’aucun acte introductif ou équivalent ne lui a été signifié ou notifié,
Attendu que l’acte introductif d’instance déposé par Y le 4 septembre 2003 comporte, en traduction française, 16 pages ;
Qu’il n’est pas contesté que cet acte n’a jamais été porté à la connaissance de X avant l’audience du 24 septembre et qu’il n’est pas allégué que X aurait accepté la décision, de manière non équivoque (il a d’ailleurs introduit en Grèce une demande de révocation de cette décision) ;
Qu’il ressort des débats et des pièces produites que X a été averti de l’audience du 24 septembre 2003, en Grèce, par télégramme envoyé en allemand et en grec le 5 septembre 2003 à son domicile en Belgique ;
Que la date de réception de ce télégramme n’est pas établie ;
Que le télégramme énonce uniquement que « Vous devez vous présenter au tribunal de première instance de Thessalonique (département de mesures provisoires) mercredi, le 24 septembre 2003 à 9h :30, pour la citation en référé(30903/2003) de Y, contre vous. Cette citation concerne la prise en charge de vos enfants, la pension alimentaire pour vos enfants et l’autorité parentale ».
Que, certes, l’envoi d’un télégramme a été expressément prévue par le juge grec dans son procès-verbal du 4 septembre 2003, dans la mesure où il s’agissait d’une procédure urgente ;
Qu’il n’a cependant jamais été prévu que ce télégramme qui, selon le P.V. du 4 septembre 2003 devait être adressé « avant le jour de l’audience » sans autre précision de délai et ne devait d’ailleurs concerner que ledit P.V., dispensait Y de signifier son acte introductif en bonne et due forme, et ce d’autant que la formalité de cette signification par voie d’huissier de justice est reprise à la dernière page de l’acte (p. 18 de la traduction française).
Que le télégramme n’énonce en rien les demandes formulées par Y telles que reprises à son mémoire introductif, qui vise notamment que X soit « déchu » du « droit de soin des enfants mineurs », que la garde en soit attribuée à Y, ainsi que l’usage exclusif de l’habitation familiale commune jusqu’à la majorité des enfants et la condamnation de X à payer une pension alimentaire temporaire de 2.730 EUR par mois ;
Que l’envoi du télégramme n’a en aucun cas permis à X de faire valoir en temps utile sa défense, puisqu’il ignorait ce qui était demandé contre lui ;
Que cet envoi peut être considéré comme la signification ou la notification d’un acte introductif ou d’un acte équivalent ;
Qu’à la réception du télégramme, le conseil de X a demandé, par lettre du 11 septembre 2003 (pièce 8 de la défenderesse) de plus amples renseignements à l’avocat de Y en Belgique, qui lui a simplement répondu, par lettre du 16 septembre (8 jours avant l’audience), qu’il s’agissait d’une procédure en divorce, et n’a pas joint une copie de l’acte introductif (pièce 9 de la défenderesse) ;
Qu’il y a par conséquent lieu de constater que X n’a pas été valablement atteint par un acte introductif lui permettant de faire valoir sa défense et qu’il n’a pas eu la possibilité d’être entendu quant à l’autorité parentale, alors que la décision litigieuse le prive de tout droit à cet égard ;
Attendu enfin qu’il y a lieu de souligner que la décision grecque dont l’exequatur est demandée est inconciliable avec une décision subséquente prononcée par la cour d’Appel de Bruxelles le 3 mars 2005 entre les parties qui prévoit l’autorité parentale conjointe et accorde à X un hébergement secondaire à l’égard des enfants ;
Que l’art. 15.2. e) du Règlement Bruxelles II énonce que l’exequatur peut être rejetée « si elle est inconciliable avec une décision rendue ultérieurement en matière de responsabilité parentale dans l’état membre requis » ;
Que la tierce opposition sera déclarée fondée à cet égard ;
Quant aux contributions alimentaires
Attendu que le Règlement Bruxelles I prévoit, en son art. 45 que la juridiction saisie d’un recours ne peut refuser ou révoquer une exequatur que pour l’un des motifs prévus aux arts. 34 et 35 (cf art. 3 5 est relatif à des critères de compétence qui ne concernent pas la matière des obligations alimentaires). En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.
L’art. 34 permet de pas reconnaître une décision étrangère si « la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’état membre requis » (34,1) et si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ». (34,2) ;
Attendu que l’envoi d’un simple télégramme avisant de la date de l’audience, sans l’énoncé de l’objet précis des demandes de Y ne peut être considéré, pour les motifs exposés ci-dessus, comme valant signification ou notification d’un acte introductif d’instance ou d’un acte équivalent, permettant au défendeur de faire valoir utilement sa défense ;
Attendu que X a exercé le « recours » prévu par la loi grecque, en ayant demandé, par acte du 2 décembre 2003 la révocation de la décision ;
Que ce recours a été rejeté par décision du 15 avril 2004 du tribunal de Thessaloniki (pièce 5 de la défenderesse) ;
Attendu qu’il ressort de la lecture de cette décision, telle qu’elle est produite en traduction par la défenderesse, que X ne pouvait en réalité faire valoir, sur son recours, que des arguments relatifs à son mode de convocation, ou demander une réformation si des éléments nouveaux le justifiait, et ce alors que le conseil de Y a affirmé le contraire lors de l’audience de plaidoirie (« De ces dispositions, il résulte que la décision par laquelle sont ordonnées des référés ou la décision les concernant est réformée ou révoquée, totalement ou en partie par ce même tribunal, seulement si le plaideur qui demande sa réforme ou sa révocation n’a pas participé à la discussion... en raison de son assignation pas légitime ou si (dans l’intervalle) s’est opéré un changement des choses qui justifie sa réforme ou sa révocation et non pas lorsque même le plaideur qui demande la réforme ou la révocation... a été assigné de façon légitime et ... invoque ... seulement des fautes juridiques ou réelles sur la décision en question, parce que dans ce cas sa demande relative constitue une voie de recours contre cette décision ce qui pour commencer est interdit par l’art. 699 du code de procédure civile », page 2 de la traduction en français du jugement du 15 avril 2004) ;
Que le tribunal grec a estimé que le mode de convocation par télégramme était légitime et conforme à sa législation ;
Qu’il n’a donc’ pas examiné les arguments de droit, notamment concernant sa compétence internationale, qui étaient soulevés par X ;
Attendu que la reconnaissance et l’exécution d’une décision prononcée par défaut dans les conditions de fait de l’espèce, rappelées ci-dessus, et alors qu’aucun recours au fond n’est ouvert au défendeur défaillant est manifestement contraire à l’ordre public belge ;
Que la tierce opposition sera également déclarée fondée quant aux obligations alimentaires i
Quant aux dommages-intérêts
Attendu qu’il ressort des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Y a agi avec une légèreté coupable, voire avec une réelle intention de nuire, en multipliant les procédures, tant en Belgique qu’en Grèce, tout en se désistant de certaines d’entre elles, (2 actions en divorce et 4 demandes relatives aux mesures provisoires en quelques semaines), semant ainsi le trouble quant à celles qui étaient poursuivies ;
Qu’elle n’a pas hésité à tromper les tribunaux grecs quant à sa résidence habituelle et à celle de ses enfants, en affirmant qu’elle était située en Grèce, alors qu’elle travaille à Bruxelles où les enfants sont scolarisés sans interruption depuis plusieurs années, et ce pour asseoir artificiellement la compétence des juridictions de son pays (v. les attendus du jugement du 11 juin 2004 prononcé par le juge grec saisi du divorce, pièce 3 du demandeur), voire de profiter de ses vacances en Grèce avec les enfants pour invoquer l’art. 12 du Règlement Bruxelles II, dans la présente cause ;
Que cette attitude est fautive et doit être sanctionnée ;
Que des dommages-intérêts de 2.500 EUR répareront adéquatement le préjudice subi par le demandeur en tierce-opposition, dont les revenus sont saisis suite à la signification de l’ordonnance entreprise ;
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant contradictoirement ;
Dit la tierce opposition recevable et fondée ;
En conséquence met à néant l’ordonnance du 15 septembre 2004 ayant ordonné l’exequatur de la décision prononcée le 27 octobre 2003 par le tribunal de première instance de Thessaloniki ;
Dit n’y avoir lieu à exequatur ;