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Résumé de la décision Une société luxembourgeoise a engagé une personne en tant que chauffeur international. Suite à la résiliation du contrat sans préavis ni indemnité, le chauffeur introduit une demande devant le Tribunal du travail de Liège (BE) afin d'obtenir de la société le paiement des salaires dus majoré des congés payés plus une indemnité compensatoire. Le tribunal se déclara compétent sur la base de l'art. 5 no. 1 de la Convention de Bruxelles. La société luxembourgeoise interjeta appel.
La Cour du travail de Liège déclare les juridictions sociales de Liège incompétentes. Elle affirme qu'en matière de contrat individuel de travail, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est celui où le travailleur accomplit habituellement son travail. Lorsque le travailleur n'accomplit habituellement pas son travail dans un même pays, l'employeur peut être également attrait devant le tribunal du lieu où se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. En l'espèce, le travailleur a exécuté son contrat sur le territoire de plusieurs pays. Dans ce cas, selon la jurisprudence communautaire, il faut entendre par « lieu où le travailleur accomplit son travail », le lieu où le travailleur a établi le centre effectif de ses activités professionnelles. Pour déterminer concrètement ce lieu, il convient de prendre en considération la circonstance que le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail dans un des Etats contractants où il a un bureau à partir duquel il organise ses activités pour le compte de son employeur et où il retourne après chaque voyage professionnel à l’étranger. En l'espèce, il n'est pas établi que le travailleur accomplissait habituellement son travail en un lieu se situant en Belgique. Le fait que son licenciement lui fut notifié à Liège et que la lettre de congé fut postée à Hermée (BE) ne peut déterminer en rien un lieu de travail habituel. Les juridictions belges ne sont donc pas compétentes.
I. Quant à la recevabilité de l’appel
Attendu qu’il ne résulte d’aucune pièce ni élément du dossier que le jugement dont appel aurait été signifié ;
que l’appel régulier en la forme, introduit dans le délai légal, est recevable ;
II. Les faits et la procédure.
La société de droit luxembourgeois, SARL A & B a engagé par contrat écrit Monsieur M. en tant que chauffeur international et ce pour durée indéterminée. Le contrat a été rompu le 5 avril 2000 sans préavis ni indemnité.
Par citation du 25 mai 2000, Monsieur M. réclame à son employeur le salaire des mois de mars et avril majoré des congés payés, la délivrance des documents sociaux en ce compris le document C4 ainsi qu’une indemnité compensatoire de préavis équivalente à trois mois de rémunération.
Par son jugement dont appel du 26 avril 2001, le Tribunal dit pour droit qu’il est compétent pour connaître de la cause à l’exclusion de tout autre et à la demande des parties réserve à statuer sur le fond de la demande.
III. Positions des parties en appel.
Relevons que par voie de conclusions déposées le 25 septembre 2001, le travailleur réclame en outre des arriérés de rémunération pour des heures supplémentaires ainsi qu’une indemnité pour licenciement abusif.
La société fait valoir que le Tribunal du travail de Liège ne pouvait connaître de la cause en vertu de l’art. 5 § 1 de la Convention de Bruxelles. En effet, le travailleur n’accomplissait pas habituellement son travail en Belgique ou dans l’arrondissement judiciaire de Liège.
Elle considère aussi que la loi applicable, au cas où la compétence de la juridiction de Liège serait reconnue, est la loi du Grand Duché de Luxembourg, pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur.
Enfin, elle estime que les demandes ne sont pas fondées et sont en outre en partie prescrites.
Le travailleur soutient que le Tribunal du travail de Liège est compétent en vertu de la loi du 14 juillet 1987 portant approbation de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, du protocole et de deux déclarations communes, faits à Rome le 19 juin 1980.
Il considère que son licenciement est irrégulier au vu tant de la loi belge qu’au vu de la loi luxembourgeoise.
Il précise qu’il n’a pas reçu la totalité de son salaire et que les documents sociaux ne lui ont pas été transmis. En outre il réclame une indemnité pour licenciement abusif.
IV. Discussion.
La compétence.
Pour déterminer la ou les juridictions compétentes, il convient de se référer à la convention de Bruxelles qui a pour objet de déterminer les juridictions compétentes pour les états signataires et notamment pour la Belgique, le Luxembourg et l’Italie. La convention de Rome vantée par la partie intimée a pour objet de définir la loi applicable aux obligations contractuelles sans s’occuper de définir la ou les juridictions compétentes.
En vertu de l’art. 2 de la Convention de Bruxelles, les personnes domiciliées sur le territoire d’un état contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat, sous réserve des dispositions de cette Convention.
En vertu de l’art. 5 de la convention de Bruxelles, le défendeur domicilié sur le territoire d’un Etat contractant peut être attrait dans un autre Etat contractant, notamment : « en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;
en matière de contrat individuel de travail, ce lieu est celui où le travailleur accomplit habituellement son travail ; lorsque le travailleur n’accomplit habituellement son travail dans un même pays, l’employeur peut être également attrait devant le tribunal du lieu où se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur ».
Il importe dès lors de déterminer dans le cas d’espèce, dans un premier temps, si le travailleur accomplissait habituellement son travail en un lieu déterminé. Le travailleur soutient que son contrat s’est effectué au zoning industriel des Hauts Sarts à Liège, siège d’exploitation de la société luxembourgeoise, où le contrat d’engagement a du reste été signé. L’employeur affirme que le travailleur a accompli son travail dans plusieurs pays et que le contrat a été signé au Grand-Duché.
Au vu des éléments du dossier, il résulte que le travailleur, chauffeur international, a exécuté son contrat sur le territoire de plusieurs pays. Le contrat d’engagement d’autre part renseigne que celui-ci a été signé au Grand-Duché et le travailleur n’apporte aucun élément de preuve permettant de contredire cet écrit.
Par son arrêt Rutten c/ Cross Medical, la Cour de Justice a précisé ce qu’il fallait entendre par « lieu où le travailleur accomplit son travail » (Cfr. C.J.C.E., affaire C-383/95). La Cour considère qu’il faut tenir compte du lieu où le travailleur a établi le centre effectif de ses activités professionnelles.
Pour la détermination concrète de ce lieu, il conviendra de prendre en considération, selon la Cour de justice, la circonstance que le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail dans un des états contractants où il a un bureau à partir duquel il organise ses activités pour le compte de son employeur et où il retourne après chaque voyage professionnel à l’étranger.
Au vu des disques tachygraphes déposés, qui ne sont qu’au nombre de 7, rien n’indique que le travailleur débutait ses transports et les terminait à Herstal. En effet, pour autant que l’on puisse prendre en considération seulement 7 disques tachygraphes, ce que la présente Cour ne fait pas, on constate qu’il y a deux départs de Herstal mais aussi deux départs de Sarre, ville où le travailleur réside, mais qu’en outre le travailleur est resté deux jours entiers à Sarre avec son camion où il n’a pas roulé (arrivée le 22 janvier à 13 heures et départ le 24 janvier vers 13 heures). Il n’est nullement établi d’autre part que le travailleur ait disposé d’un logement, même de fortune, en Belgique et il semble, au vu des explications des parties données au cours de l’audience de plaidoirie, que le travailleur retournait en Italie régulièrement. Le fait que le camion soit immatriculé en Belgique ne peut donner aucune indication quant à son lieu de travail dès lors qu’il voyageait au-delà des frontières avec celui-ci. Enfin, même si le travailleur arrivait et partait de Herstal avec son camion, il est établi aussi qu’il arrivait et partait de Sarre, en Italie avec celui-ci.
Il n’est dès lors pas établi, au vu des éléments du dossier et des explications données par les parties que le travailleur accomplissait habituellement son travail en un lieu se situant en Belgique ou dans l’arrondissement judiciaire de Liège au sens défini par la Cour de justice. Le fait que son licenciement lui fut notifié à Liège et que la lettre de congé fut postée à Hermée ne peut déterminer en rien un lieu de travail habituel.
Le jugement dont appel doit être réformé.
Par ces motifs, la Cour, statuant contradictoirement,
Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire et notamment son art. 24,dont le respect a été assuré
Écartant comme non fondées toutes conclusions autres, plus amples ou contraires,
Reçoit l’appel, le déclare fondé,
Réforme le jugement entrepris,
Dit pour droit que les juridictions sociales de Liège ne sont pas compétentes pour connaître de la présente cause,