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Résumé de la décision Une société belge et une société allemande avaient conclu un contrat. Un litige survint entre les parties et fut différemment tranché par le Tribunal de commerce de Bruxelles (BE) et par le Tribunal de Grande Instance de Frankfurt sur le Main (DE) sur la base d’une qualification difforme du contrat. Par la suite, le Tribunal de première instance de Bruxelles (BE) accorda l’exequatur aux deux décisions allemandes, qui condamnaient la société belge au paiement d’une certaine somme. Cette dernière fit opposition en invoquant le motif de refus prévu à l’art. 34 no. 3 du Règlement « Bruxelles I ».
Le Tribunal de première instance de Bruxelles (BE) décide de surseoir à statuer en application de l'art. 46 du Règlement « Bruxelles I » jusqu'à ce que les juridictions allemandes aient prononcé une décision dans cette affaire en degré d'appel. En effet, le tribunal constate sur le fondement des pièces du dossier qu’aucune des décisions litigieuses ne disposent d’un caractère définitif puisque toutes deux frappées d'appel. Partant de là elles ne sont susceptibles d'être revues. Par conséquent, le tribunal affirme qu’il est donc prématuré de trancher le bien fondé du refus de reconnaissance ainsi que l'exécution des décisions allemandes car elles seraient incompatibles avec la décision du Tribunal de Commerce de Bruxelles (art. 34 no. 3 du Règlement « Bruxelles I ») et il sursoit donc à statuer.
Attendu que la demande mue par citation du 19 novembre 2003 dans la cause .... tend à entendre réformer la décision déclarant exécutoire en Belgique la décision rendue le 27 janvier 2003 par le Tribunal de Grande Instance de Frankfurt au Main. Attendu que la demande mue par citation du 24 février 2004 dans la cause ... tend à entendre dire que la cause .... sera jointe à celle pendante entre les mêmes parties sous le no. ... et à entendre réformer la décision déclarant exécutoire en Belgique la décision rendue le 18 mars 2003 par la Tribunal de Grande Instance de Frankfurt au Main ;
Jonction
Attendu qu'il est patent que les deux décisions allemandes précitées dont l'exequatur est contestée sont connexes puisque la seconde décision a trait aux dépens afférents à la première décision ; Que partant il est souhaitable que les deux demandes en exequatur initiées par des requêtes unilatérales distinctes et attaquées par des actes procéduraux différents soient examinées quant à leur révision éventuelle par un seul et même jugement, les deux décisions étant intimement liées entre elles dès lors que la seconde n'est qu'une conséquence de la première et suivra le sort réservé à celle-ci ;
Recevabilité
Attendu qu'il n'y a aucune contestation quant à la recevabilité des demandes mues sur tierce opposition du point de vue de leur délai d'intentement ; que les délais furent, ici respectés (ce point n'ayant de surcroît pas été contesté) (art. 43 règlement 44/2001) ;
Fondement
a) Quant au caractère exécutoire des décisions litigieuses
1. Attendu que l'art. 38 du règlement européen 44/01 prévoir certes que seules les décisions rendues dans un Etat membre et qui y sont exécutoires peuvent être mises à exécution dans un autre Etat membre ;
2. Attendu qu'il résulte des pièces produites que l'exécution provisoire a été accordée « contre une sûreté à hauteur de 110 % de la somme exécutoire » par le Tribunal de Grande Instance de Frankfurt le 21 novembre 2002 ;
3. Attendu que cette particularité n'a cependant pas pour effet d'enlever à la dite décision son caractère exécutoire ; qu'il n'appartient pas au juge de l'exequatur de vérifier si la constitution d'une sûreté a été réalisée au moment où il accorde l'exequatur ; que le défaut d'omission de cette condition est si elle apparaît se présenter une question qui devra être tranchée par le juge des saisies ; qu'admettre le contraire serait méconnaître que l'exequatur consiste (seulement) en l'assimilation entre le titre étranger et le titre national (G. de Leval, Eléments de procédure civile 2003, 258) ;
4. Attendu que partant le moyen ne peut être retenu ; qu'il convient cependant de rappeler que l'exécution provisoire était subordonnée à la constitution d'une sûreté à hauteur de 110 % de la somme exécutoire ;
b) quant au caractère inconciliable de la décision du 25.11.02 avec la décision rendue le 20 juin 2003 par le Tribunal de commerce de Bruxelles
1. Attendu que la demanderesse sur tierce opposition se fonde ici sur l'art. 45 du dit règlement du conseil no. 44/01 lequel renvoie à l'art. 34.3 ;
2. Attendu que pour exercer le contrôle il appartient au juge requis de rechercher « si les décisions en cause entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement » (C.J.C.E. aff. 145/86 04 février 1988 Hoffman/Krieg, Recueil 88, 645 ; Fr. Rigaux, Droit international privé Tome II, p. 219 no. 841) sans qu'il soit exigé que la décision dont la reconnaissance et l'exequatur sont requis soit rendue à propos du même litige fondé sur la même cause (P. Jenard, Conv. de Bruxelles du 27.09.68 et ses prolongements Rép. Notarial Tome XI, livre VI p. 167 no. 164) ; Que les règles adoptées par la Convention de Bruxelles de 1968 n'ont pas été infirmées par le règlement CEE no. 44/01 ;
3. Attendu qu'il n'est certes pas ici déraisonnable de s'interroger sur le caractère conciliable des décisions prononcées respectivement à Frankfurt et à Bruxelles dès lors que
1° se défendant face à une réclamation formée devant le Juge de Frankfurt en réclamation d'un montant de 217.981,04 EUR, la demanderesse Y. contestait que cette somme soit due en exécution d'un vente directe intervenue entre parties et soutenait qu'il s'agissait en réalité de l'exécution des contrats d'agence liant auparavant les parties (art. 2 du règlement européen no. 44/2001) ; qu'elle contestait les décomptes et signalait que les sommes litigieuses n'étaient en tous cas pas dues, dès lors qu'elle bénéficiait quant à elle ensuite de la rupture des relations contractuelles d'une créance supérieure envers la société X., créance faisant précisément l'objet de la procédure initiée et pendante devant le Tribunal de Commerce de Bruxelles (avant l'introduction de la demande en Allemagne) ;
qu'elle invoquait que la qualification du contrat justifiait que le juge ne soit pas compétent ;
2° que le juge allemand a rejeté cette prétention ; qu'il a considéré que la prétention débattue devant lui était relative à un contrat de vente directe et qu'il n'avait pas lieu à faire application de l'art. 29 du règlement CEE ou encore de renvoyer la cause au juge belge, premier saisi ;
3° que le Tribunal de Commerce de Bruxelles a quant à lui observé que le litige qui lui est soumis est relatif à l'exécution et à la résiliation de contrats d'agence ; que la société X. a préféré assigner Y. en recouvrement de factures devant les tribunaux allemands plutôt que de recourir à l'arbitrage .... Que ce problème est néanmoins directement dépendant de l'exécution du contrat d'agence puisque les montants retenus par Asseau furent à l'origine payés par elle en vertu d'un mandat de facturation donné par X. dans le cadre de leurs relations conventionnelles ;
Attendu que néanmoins il serait hasardeux d'entreprendre dès maintenant le contrôle sollicité par la demanderesse Y. soit à un moment où aucune des décisions ici rappelées ne sont définitives ;
Qu'elles sont en effet toutes deux frappées d'appel (celle du Tribunal de Commerce l'ayant été dès le 16 juillet 2003 alors qu'elle n'alloue qu'un montant provisionnel et désigne un expert) ;
Qu'elles sont dès lors susceptibles d'être revues ;
Qu'il est donc prématuré de trancher actuellement le bien fondé du refus de reconnaissance et partant d'exécution des décisions allemandes car elles seraient incompatibles avec la décision du Tribunal de Commerce de Bruxelles précitée (art. 34 du règlement no. 44/2001) ;
Que ce point doit être actuellement réservé ;
Qu'il est cependant patent dès à présent que l'observation de la partie demanderesse sur tierce opposition selon laquelle elle serait à tout le moins en droit de postuler la surséance jusqu'à ce qu'une décision soit prise dans cette tierce opposition par les juridictions d'appel devant lesquelles la cause est portée en Allemagne, est fondée ;
Que l'enchevêtrement des diverses procédures consacrant l'existence de part et autre de créances provisoires, susceptibles d'être revues justifie en effet la plus grande prudence ;
Que la demande de surséance est à ce stade fondée ;
Attendu que les motifs ayant conduit à ce raisonnement sont exactement les mêmes pour la décision relative aux dépens laquelle doit suivre le sort de la décision principale ;
Par ces motifs,
Le tribunal,
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant contradictoirement ;
Joint les causes.
Dit les demandes mues sur tierce opposition recevables ;
Dit en application de l'art. 46 du règlement no. 44/2001 qu'il sera sursis à statuer jusqu'à ce que la décision soit rendue dans cette affaire en degré d'appel par les juridictions allemandes ;