Objets des demandes et retroactes
Attendu que par requête déposée le 7 novembre 2002, la société M. International a demandé l'exequatur d'un jugement rendu par la High Court of Justice de Londres le 20 mars 2002, condamnant la Sprl L. à lui payer une somme de 152.205,85,-£, outre les intérêts et les frais ;
Attendu que le tribunal de céans a fait droit à cette demande, sur pied du Règlement CE du Conseil no. 44/2001 du 22 décembre 2000, et ce par ordonnance du 18 décembre 2002 ;
Que cette ordonnance a été signifiée à la Sprl L. par acte du 15 janvier 2003 ;
Que la Sprl a formé tierce opposition à cette ordonnance par acte du 14 février 2003 ;
Les faits
Attendu qu'ainsi qu'en conviennent les parties, il est sans intérêt d'examiner le fond du litige opposant, devant les juridictions anglaises, L. et M., le juge de l'exequatur ne pouvant réexaminer le fond de l'affaire conformément au prescrit de l'art. 36 du Règlement CE ;
Qu'il sera simplement rappelé que la décision anglaise a été prise par défaut contre L., qui a signalé au juge anglais et à son adversaire, 8 jours avant l'audience à Londres, ne plus avoir d'avocat ;
Discussion
Attendu que pour contester l'exequatur de la décision du 20 mars 2002, la demanderesse en opposition invoque l'art. 34 1° et 2° du Règlement CE du 22 décembre 2000 ;
1. L'art. 34, 1)
Attendu qu'aux termes de cet article une décision n'est pas reconnue si « la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat membre requis » ;
Que, selon la partie demanderesse, la décision britannique serait contraire à l'ordre public belge en raison de la violation du principe du droit à un procès contradictoire, et ce dans la mesure où la société M. a modifié sa demande lors de l'audience tenue devant le juge anglais en l'absence de L. et sans que ces modifications, qui auraient abouti à une augmentation des sommes mises à charge de celle-ci, ait été portées à sa connaissance ;
Attendu que L. soutient que « le principe du contradictoire constitue en Belgique une garantie procédurale essentielle et fait dès lors partie de l'ordre public international belge » ;
Que ce principe serait consacré notamment par l'art. 807 du code judiciaire ;
Attendu que la Cour de justice européenne des droits de l'homme a rappelé, dans son arrêt « Krombach » du 28 mars 2000 (Rec. 2000, I-1935) « que la convention vice à faciliter, dans toute la mesure du possible, la libre circulation des jugements en prévoyant une procédure d'exequatur simple et rapide... S'agissant plus précisément du recours à la clause de l'ordre public... la Cour a précisé qu'il ne doit jouer que dans des cas exceptionnels... Un recours à la clause de l'ordre public... n'est concevable que dans l'hypothèse où la reconnaissance ou l'exécution de la décision rendue dans un autre état contractant heurterait de manière inacceptable l'ordre juridique de l'état requis, en tant qu'elle porterait atteinte à un principe fondamental... L'atteinte devrait constituer une violation manifeste d'une règle de droit considérée comme essentielle dans l'ordre juridique de l'Etat requis ou d'un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique. » (cet arrêt a été rendu dans le cadre de la précédente convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, dont l'art. 27 permettait de refuser l'exequatur si « la reconnaissance est contraire à l'ordre public de L'Etat requis » ; L'actuel art. 34 est encore plus restrictif, puisqu'il exige désormais que la reconnaissance soit « manifestement » contraire à l'ordre public de l'Etat membre requis) ;
Que la Cour de Cassation a été amenée à préciser récemment que ni l'art. 807 du code judiciaire, ni le « principe du contradictoire » ne ressortissaient de l'ordre public belge : « Attendu que l'art. 807 du Code judiciaire relatif à l'extension et à la modification de la demande n'est ni une disposition d'ordre public ni une disposition impérative ; Qu'il n'appartient dès lors pas au juge de vérifier d'office si les conditions d'application en sont réunies ; » (Cass. 17 juin 2002, no. de rôle S990144 F) et « Attendu que ... dans la mesure où ils se fondent sur des principes généraux du droit inexistants, tel celui selon lequel tout prévenu aurait droit à un double degré de juridiction ou celui du « contradictoire », les griefs manquent en droit ; » (Cass. 16 mai 2001, no. de rôle P 010305 F) ;
Qu'en conséquence, il échet de considérer que la modification des demandes intervenues en cours d'audience devant le juge anglais, sans que la partie L. en ait été avisée, ne constitue nullement une violation de l'ordre public belge qui empêcherait la reconnaissance de la décision querellée ;
Que les commentaires du juge anglais quant à ce ne sont pas pertinents pour le présent litige, dans la mesure où l'appréciation de la notion d'ordre public appartient au juge de l'Etat requis et non à celui de l'Etat d'origine ;
Que l'art. 34, 1) du Règlement ne trouve donc pas à s'appliquer en l'espèce ;
2. L'art. 34, 2)
Attendu que la partie demanderesse invoque également l'art. 34, 2) du règlement, aux termes duquel une décision étrangère ne sera pas reconnue si « l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre, à moins qu'il n'ait pas exercé de recours à l'encontre de la décision, alors qu'il était en mesure de la faire. » ;
Attendu que cette exception ne peut être invoquée par la partie contre laquelle l'exequatur est demandée si il ressort du dossier qu'elle n'a pas intenté de recours contre la décision querellée alors qu'elle était en mesure de le faire ;
Attendu qu'en l'espèce, il a été précisé lors de l'audience du 8 septembre et n'est d'ailleurs pas contesté, que la décision anglaise du 20 mars 2002 a été signifiée à L. le 27 mars 2002 (la pièce n'est toutefois pas déposée) ;
Que L. disposait d'un délai de 15 jours pour interjeter appel ;
Que le recours n'a été interjeté que le 28 juin 2002, soit hors délai ;
Que l'appel a été rejeté par décision du 4 septembre 2002 ;
Attendu que la demanderesse expose qu'elle aurait tardé à introduire le recours en raison de difficultés internes et de l'absence d'avocat anglais ;
Qu'il ne s'agit nullement de raisons impérieuses, indépendantes de sa volonté, mais bien de négligence ;
Que la décision querellée ayant été signifiée à L. à son adresse en Belgique, il lui était loisible d'intenter le recours prévu dans le délai imparti, à charge pour elle de faire les démarches nécessaires pour se trouver un avocat en Grande-Bretagne en temps utiles ;
Qu'un appel tardif ne peut être considéré comme un recours au regard de l'art. 34,2) mais doit au contraire être considéré comme une absence de recours, à moins de vider cet article de sa substance ;
Que la partie défenderesse souligne à bon droit que l'art. 19 du Règlement CE 1348/2000, sur la signification et la notification des actes à l'étranger, prévoit expressément que le juge du pays d'origine peut relever la forclusion du délai de recours lorsque le défendeur démontre qu'il n'a pas eu connaissance de l'acte introductif d'instance en temps utile pour se défendre (ce qui n'est pas le cas en l'espèce, L. ayant même déposé des conclusions écrites devant le juge anglais, avant de faire défaut) ni de la décision en temps utile pour exercer un recours (ce qui n'est pas allégué), et que les moyens n'apparaissent pas dénués de tout fondement, ce qui a été rejeté en l'espèce par la Cour d'appel anglaise, dans sa décision de rejet de l'appel du 4 septembre 2002 ;
Qu'en conséquence les conditions de l'art. 34, 2) ne sont pas non plus remplies en l'espèce ;
Que l'opposition sera dite non fondée ;
3. Sur la demande incidente
Attendu que la partie M. sollicite par voie de conclusions l'exécution provisoire de la présente décision ;
Attendu qu'il ressort des éléments soumis à l'attention du tribunal que l'opposante n'a pas adopté un comportement loyal, en faisant défaut 8 jours avant l'audience, sur les conseils de son avocat qui aurait expliqué à ses responsables que « même s'ils étaient condamnés, le montant serait petit et le demandeur ne pourrait pas le faire exécuter à Bruxelles » (selon les déclarations faites par Monsieur P. devant le juge d'appel anglais, p. 3 des conclusions de l'opposante) ;
Qu'elle a ensuite inutilement tardé à interjeter appel ;
Qu'elle n'a de même interjeté le présent recours que la veille de la date d'expiration du délai d'opposition ;
Qu'elle tente ainsi, manifestement, de retarder au maximum l'issue de ce procès ;
Que les risques d'insolvabilité sont en outre réels, au vu des documents comptables produits par la demanderesse sur incident ;
Qu'il sera fait droit à la demande d'exécution provisoire ;
Que la société M. sollicite également la condamnation de l'opposante en tous les frais et dépens « de la procédure d'exécution » ;
Que ces frais doivent toutefois être limités à ceux liquidés par la décision anglaise (déjà visés dans la décision d'exequatur entreprise) et les dépens de la procédure d'exequatur, indemnité de procédure comprise, à l'exception des frais de traductions, et de signification qui sont des frais d'exécution ;
Par ces motifs
Le tribunal
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;
Statuant contradictoirement ;
Dit les demandes recevables ;
Dit la tierce opposition non fondée et en déboute la Sprl L. International ;
Dit la demande incidente fondée dans la mesure ci-après :
Confirme la décision entreprise accordant l'exequatur de la décision du 20 mars 2002 de la High Court of Justice of London ;
Dit que la présente décision sera exécutoire nonobstant appel et sans caution ni garantie ni faculté de cantonnement ;