Faits et antécédents de la procédure.
MM. X. et Y. ont écrit un ouvrage intitulé Dossier pédophilie, le scandale de l'affaire D. qui est édité par la S.A. Editions F.
Cet ouvrage fait notamment état de propos qui auraient été tenus par M. Z. lors d'un entretien avec M.
C. enregistré par une équipe technique de l'A.
Estimant que cet ouvrage portait gravement atteinte à sa réputation et à son honneur l'A., organisme de radiodiffusion de droit public allemand, a cité les deux auteurs et leur éditeur devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles, lui demandant :
- d'interdire la diffusion du livre précité tant que les pages 124, 125, 128, 129 et 130 ou, à tout le moins, les passages de ces p. s cités en conclusions, n'auraient pas été supprimés,
- d'étendre l'interdiction de diffusion des passages litigieux à tout support en ce compris l'Internet,
- d'assortir cette interdiction d'une astreinte et d'autoriser la publication du jugement aux frais des défendeurs.
Par voie reconventionnelle, X. a postulé la condamnation de l'A. à lui payer une indemnité de 100.000 FF pour procédure abusive ainsi que la publication du jugement à intervenir.
Accessoirement, il a demandé la nomination d'un expert.
Le premier juge a dit les demandes principale et reconventionnelle recevables mais non fondées et a débouté chacune des parties de ses demandes.
Devant la cour, l'A. réitère ses demandes originaires et formule une demande nouvelle tendant à voir interdire aux intimés de mentionner l'enregistrement de l'A. ou d'impliquer de façon directe ou indirecte l'A. en tant que source de réseaux pédophiles dans ses écrits publiés sous quelque forme que ce soit, et à voir assortir cette interdiction d'une astreinte.
X. forme un appel incident et une demande nouvelle pour procédure abusive et porte le montant de l'indemnité réclamée à 10.000 EUR.
Les Editions F. formulent une demande nouvelle réclamant à l'A. une indemnité de 6.000 EUR pour appel téméraire et vexatoire.
Discussion.
Quant à la compétence.
1.1. X. invoque l'incompétence des tribunaux belges pour connaître de la demande au motif que les défendeurs originaires, actuels intimés, n'étaient pas domiciliés en Belgique au jour de la citation.
L'A. justifie à bon droit la compétence des tribunaux belges par l'application de l'art. 5 § 3 de la Convention de Bruxelles du 27.09.1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Selon cette disposition : « le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait ...en matière délictuelle ou quasi-délictuelle devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ».
La Cour de Justice des Communautés européennes a eu l'occasion de préciser, dans son arrêt Fiona Shevill du 7.03.1995 (Aff. C-68/93, Rec. p. I-0415), ce qu'il faut entendre par « lieu où le fait dommageable s'est produit ».
Elle explique notamment que « dans le cas d'une diffamation internationale par voie de presse, l'atteinte portée par une publication diffamatoire à l'honneur, à la réputation et à la considération d'une personne physique ou morale se manifeste dans les lieux où la publication est diffusée, lorsque la victime est connue. Il en résulte que les juridictions de chaque Etat contractant dans lequel la publication diffamatoire a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation sont compétentes pour connaître des dommages causés dans cet Etat à la réputation de la victime. » (,§,para. 29 et 30).
La Cour de Justice a précisé par la suite que, dans tous les cas où le lieu où se situe le fait susceptible d'entraîner une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle et le lieu où ce fait a entraîné un dommage ne sont pas identiques, l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit » figurant à l'art. 5 § 3 de la convention doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou l'autre de ces deux lieux (C.J.C.E., 27.10.1998, Réunion européenne, Aff. C-51/97).
L'interprétation donnée à l'art. 5 § 3 par l'arrêt Fiona Shevill n'est donc pas limitée aux cas de diffamation mais s'étend à toutes les hypothèses de faits susceptibles d'entraîner une responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle.
En l'espèce, les tribunaux belges seraient compétents pour connaître de la demande en dommages et intérêts que l'A. introduirait au fond puisque celle-ci invoque que l'atteinte à son honneur et à sa réputation causée par la diffusion de certains passages de l'ouvrage litigieux est survenue sur le territoire belge.
Il n'est pas contesté que le livre litigieux a été diffusé sur le territoire de la Belgique et que l'A. y exerce certaines activités.
Le juge des référés belge est compétent pour accorder les mesures provisoires ou conservatoires de nature à prévenir la survenance de ce dommage dont la réparation pourrait être poursuivie en Belgique.
Contrairement à ce que les Editions F. soutiennent, l'A. ne se plaint pas, dans le cadre de la présente instance, du préjudice que lui aurait causé la publication de deux articles de journaux en Belgique mais uniquement du préjudice lié à la diffusion de certains passages du livre publié par F.
La réalité du dommage subi par l'A. ressortit, pour le surplus, de l'examen du fondement de la demande.
1.2. Les Editions F. invoquent à tort la compétence exclusive de la cour d'assises pour connaître de la présente affaire dès lors qu'il ne s'agit pas de la répression d'un délit de presse mais d'une simple demande civile.
1.3. Enfin, l'urgence ayant été invoquée par l'A. dans sa citation introductive d'instance, le juge des référés était compétent, selon le droit belge, pour connaître de la demande (Cass., 11.05.1990, Pas., I, 1050).
Pour le surplus, l'urgence de la demande est un élément constitutif du fondement de la demande en référé.
Quant à l'apparence de droit.
Il appartient à l'A. de démontrer l'existence d'une atteinte ou d'un risque grave d'atteinte à sa réputation et à son honneur justifiant que les mesures d'interdiction qu'elle postule soient ordonnées.
On relèvera tout d'abord que l'A. ne conteste nullement avoir prêté son concours à l'enregistrement secret de la conversation entre MM. Z. et C. mis au point par MM. X. et Y. Elle produit d'ailleurs aux débats une cassette lui appartenant et contenant, selon elle, l'intégralité de cet enregistrement.
L'A. se plaint en revanche de ce que certains passages du livre écrit par MM X. et Y. seraient présentés comme trouvant leur source dans l'enregistrement effectué par l'A. alors qu'ils ne seraient pas conformes au contenu de celui-ci.
L'A. n'a aucun intérêt personnel à défendre l'honneur et la réputation de toutes les personnes mises en cause par MM X. et Y. dans leur livre ou par MM Z. et C. Elle fait : cependant un amalgame entre la réputation de ces personnes et la sienne propre.
En l'espèce, la réputation de l'A. ne peut certainement pas être entachée du seul fait que les auteurs du livre auraient déclaré des choses fausses sur certaines personnes en vue.
On n'aperçoit pas davantage en quoi la réputation de l'A. pourrait être atteinte par le fait que ces auteurs auraient déclaré puiser ces informations éventuellement fausses dans un enregistrement réalisé par l'A. dès lors qu'il n'est dit nulle part que l'A. en aurait fait elle-même un usage illicite ou diffamatoire quelconque. Cet enregistrement a d'ailleurs été mis à la disposition du parquet par l'A., ainsi que le conseil de l'appelante l'a expliqué à l'audience.
Il ressort clairement des explications fournies à la p. 123 de l'ouvrage de MM X. et Y. que l'A. n'a fait que fournir une aide technique permettant l'enregistrement de l'entretien entre MM Z. et C., orchestré par M. X. L'A. n'est présentée à aucun moment dans le livre comme la responsable des propos tenus au cours de cet entretien ou comme l'instigatrice de leur divulgation.
Plus particulièrement, l'A. critique le passage suivant, extrait de la p. 124 du livre litigieux :
« Qu'on le sache d'emblée, les propos échangés par la suite se trouvent soit consignés sur les bandes magnétiques provenant de l'appareil d'enregistrement auquel C. était relié par micro HF, soit sur un compte rendu réalisé in extenso peu après la fin des discussions par C. En outre, ils ont été entendus par l'équipe planquée en bas de l'immeuble, deux journalistes, un cameraman et un preneur de son ».
Contrairement à ce que l'A. laisse entendre, le lecteur ne peut déduire de ce passage que tous les propos relatés dans la suite du chapitre proviendraient de l'enregistrement qu'elle a effectué puisque le texte dit clairement qu'ils sont consignés « soit » sur des bandes magnétiques provenant de l'enregistrement, « soit » sur un compte rendu réalisé par A. C.
L'A. ne conteste pas que certains de ces propos sont effectivement consignés sur les bandes magnétiques provenant de son enregistrement. Il importe peu que les autres propos ne soient que pure invention s'il n'est pas affirmé par les auteurs du livre qu'ils sont : empruntés à l'enregistrement de l'A. En l'absence de certitude quant à leur source, la relation de ces propos ne pourrait porter atteinte à la réputation de l'A.
Par ailleurs, l'A. ne justifie d'aucun intérêt à faire valoir que les propos litigieux n'auraient pas été consignés dans le compte rendu réalisé par A. C. ou l'auraient été sous une forme plus nuancée. Seul A. C. aurait intérêt à s'en plaindre.
A la p. 128 du livre, les auteurs citent comme référence, en bas de p. , à la fois les enregistrements sonores de l'A. et l'enregistrement du témoignage récapitulatif d'A. C., à propos de confidences que M. Z. aurait faites sur l'identité de certains participants à des partouzes. Il n'est pas douteux que les auteurs affirment ici que l'enregistrement de l'entretien contient ces déclarations de M. Z.
Il est toutefois sans intérêt de tenter de vérifier en écoutant la totalité de l'enregistrement de très médiocre qualité, si ces propos ont été effectivement tenus par M. Z. dès lors que, comme cela a été exposé précédemment, l'A. ne peut se plaindre d'une atteinte grave à sa réputation du seul fait que l'ouvrage litigieux citerait erronément comme source un enregistrement qu'elle a effectivement réalisé.
L'A. ne justifie donc pas d'une apparence de droit suffisante fondant ses demandes.
Dans ces conditions, il est sans intérêt d'examiner les autres moyens de défense soulevés par les intimés et concernant notamment la recevabilité des demandes principales.
Quant aux demandes pour procédures abusives.
Le premier juge a estimé à juste titre que l'action de l'A. ne présentait pas les caractéristiques d'une procédure téméraire et vexatoire et que celle-ci n'avait pas abusé de son droit d'ester en justice, même si son action apparaissait dénuée de fondement.
Le premier juge a rejeté les demandes de l'A. notamment parce que celle-ci ne produisait pas, comme tel, l'enregistrement sonore de la conversation entre MM Z. et C.
Cet enregistrement a été soumis à la cour de sorte que l'A. a pu croire, sans abuser de son droit d'interjeter appel, que la décision lui serait plus favorable en degré d'appel.
Par ces motifs,
La Cour, statuant par défaut à l'égard de Y. et contradictoirement à l'égard des autres parties,
Vu l'art. 24 de la loi du 15.06.1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,
Reçoit l'appel principal, l'appel incident et les demandes nouvelles mais les dit non fondés ;
En déboute chacune des parties ;